Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arabes (suite)

• Un genre nouveau : la séance. La haute société citadine de la fin du xe s. paraît à la fois avoir cultivé son ennui et fait de violents efforts pour s’en arracher. Sur elle s’est exercé parfois un attrait des bas-fonds qui favorisait cette évasion ; en de savoureuses anecdotes, la petite histoire s’est chargée de nous renseigner sur cet aspect des mœurs. Du moins, cet attrait de l’encanaillement a-t-il eu cette conséquence heureuse de susciter un genre nouveau : la maqāma, ou « séance ». L’idée de narrer en prose rimée une scène dont le personnage central est un gueux plein de verve, de talent littéraire et de cynisme est apparue soit à Bagdad, soit à Rayy ou à Djurdjān, en Iran ; c’est à un écrivain-poète versé dans la culture irano-arabe, al-Hamadhānī († Harāt 1007), que revient le mérite d’avoir donné sa forme définitive à un genre de saynète qu’on a pris l’habitude de nommer séance. En général sont en scène des bourgeois lettrés dissertant sur des questions de littérature ou rapportant des anecdotes piquantes, dans la narration desquelles on utilise la prose rimée et le style fleuri ; un gueux surgit alors, qui confond l’assistance par son éloquence et sa verve insolente, et qui se retire chargé de dons ; souvent, la saynète est aussi une caricature ou une satire des mœurs du siècle, de la sottise des hommes et de leur lâcheté. Très vite, al-Hamadhānī suscite des imitateurs à Bagdad même, mais, un siècle plus tard, la « séance », sous la plume des beaux esprits et des pédants, comme al-Ḥarīrī († Bassora 1122), se dépouille de son réalisme de salon pour devenir simple exercice de « grand rhétoriqueur ».


La littérature et le poids du classicisme (de 1050 à 1500)


Cadre et courants

L’effondrement des émirats buwayhides sous les coups des Turcs Seldjoukides, le recul du chī‘isme et du califat fāṭimide d’Égypte, accélérés par l’installation des croisés en Palestine et sur la côte syrienne, sont bien plus qu’un bouleversement politique ; ils provoquent aussi un arrêt dans la montée de l’humanisme. Progressivement, en effet, le sunnisme reprend toutes ses positions en Iraq et jusqu’en Égypte. D’une manière méthodique s’organise la lutte contre ce qui pourrait compromettre l’unité spirituelle ; ce mouvement se développe grâce aux écoles de « traditions » et aux universités, dont la plus célèbre est la Niẓāmiyya de Bagdad. La place accordée dans ces établissements aux sciences coraniques et à la théologie n’exclut pas l’intérêt porté à l’adab. Ce terme, toutefois, cesse à ce moment de s’identifier aux « humanités » et ne désigne plus que les belles-lettres, entendons les œuvres classiques en vers et en prose dont le fond n’éveille point l’inquiétude.

Au cours de cette période, un dernier événement achève de donner au Proche-Orient la physionomie qu’il conservera jusqu’à la fin du xve s. En 1258 — moins de trente ans après la prise de Cordoue et de Séville par les chrétiens —, la métropole qui, pendant un demi-millénaire, avait été le pôle de la civilisation et de la culture arabo-islamique, Bagdad, succombe sous le flot mongol. La lente montée de l’Égypte, commencée avec les Fāṭimides, culmine par un transfert, celui du califat de Bagdad au Caire, qui devient la capitale intellectuelle et spirituelle du Proche-Orient ; il le demeurera jusqu’à l’occupation de l’Égypte par le sultan ottoman Selim en 1517.

La période dont on va esquisser l’histoire littéraire se caractérise par une soumission à peu près totale au classicisme. Les poètes et les écrivains sont tout aussi nombreux qu’aux siècles précédents ; leur art et leur culture sont dignes du passé, qu’ils continuent, mais, hélas ! rien n’apparaît chez eux qui traduise la moindre velléité d’échapper à cette tyrannie. Il serait aisé d’accumuler les noms des panégyristes ou des écrivains dont les anthologues ont fait de grands talents. Il l’est moins de discerner ceux qui, dans cette foule, méritent plus qu’une mention.


Les œuvres poétiques

• La poésie sous le poids du classicisme. Dans les cercles de Bagdad et d’Iran, sous les Seldjoukides, le poète ibn al-Habbāriyya (Bagdad v. 1050 - au Kirmān 1115?) nous rappelle, par bien des points, la vie aventureuse et folle d’Abū Nuwās ; ce que l’on connaît de lui révèle un talent où la grâce, d’ailleurs, côtoie trop souvent la truculence grivoise, tandis que, dans la poésie d’apparat, inlassablement s’étale le poncif. Ce poète fut d’ailleurs un esprit cultivé, nourri de traditions iraniennes, ce qui l’amènera à mettre en vers une œuvre de parénèse comme le livre de Kalīla et Dimna. Al-Ṭurhrā’ī (Ispahan 1061 - Hamadhān 1121?), au contraire, est le type de ces poètes de cour qui, par leur virtuosité, réussissent à s’élever dans la hiérarchie administrative jusqu’aux plus hautes charges. Lui-même devint vizir d’un prince seldjoukide, ce qui lui valut d’ailleurs de périr supplicié ; auteur d’un grand nombre de panégyriques de facture classique, il est surtout célèbre pour une ode composée à Bagdad en 1111, où il déplore sa solitude dans un monde où tout est injustice et laideur.

Il est naturellement impossible de penser que la dynastie fāṭimide n’ait pas réussi à susciter des panégyristes ; le vide que nous constatons dans la production en vers pour la période qui indique la fin de cette dynastie doit vraisemblablement trouver son explication dans la disparition de ses successeurs sunnites. Deux noms, ici encore, sont cependant à retenir, celui d’‘Umāra († 1174), qui paraît avoir été fort dévoué au régime, et surtout celui d’ibn Qulāqis (Alexandrie 1138 - Aidhab 1171), personnage singulier, trafiquant au Yémen, familier des hauts fonctionnaires et des vizirs, émigré quelque temps en Sicile, où il adresse un panégyrique au roi Guillaume II ; son œuvre, maintenant accessible, reflète ce qu’a dû être la poésie de cour sous les Fāṭimides en ses aspects les plus conventionnels malgré des efforts pour se rénover dans l’afféterie.