Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nabis

Nom d’origine biblique (signifiant « hommes inspirés », « prophètes ») pris par un groupe d’artistes formé en 1888 à Paris et dispersé vers 1900.


Il comprenait Paul Sérusier, Maurice Denis, Pierre Bonnard*, Paul Ranson, Henri Grabriel Ibels, Ker Xavier Roussel, Édouard Vuillard et René Piot (1869-1934), auxquels s’associèrent souvent Félix Vallotton, Georges Lacombe, Maillol*, Armand Séguin (1869-1903), le Danois Mögens Ballin (1871-1914), le Hongrois József Rippl-Rónai (1861-1927), le Néerlandais Jan Verkade (1868-1946).

Sérusier est le fondateur du groupe des nabis, auxquels il apporte l’expérience de l’école de Pont-Aven, groupement épisodique qui doit son intérêt à la rencontre, en Bretagne, à Pont-Aven, de Gauguin* avec le peintre et théoricien Émile Bernard (1868-1941). Sérusier explique à ses camarades — presque tous, comme lui, issus de l’atelier de Gustave Moreau* à l’académie Julian — les idées élaborées à Pont-Aven. C’est en 1888 qu’il exécute d’après les indications de Gauguin un tableau appelé Paysage du bois d’Amour à Pont-Aven ou le Talisman (coll. priv., Paris). Ainsi naît le groupe, d’une adhésion enthousiaste aux théories de Gauguin et de ses proches. Les principales caractéristiques du style « nabi » résident dans l’emploi des couleurs en aplats — cloisonnées ou cernées par des couleurs plus sombres —, le « synthétisme » de la facture et l’absence quasi complète de perspective, ainsi que dans un goût très marqué pour l’arabesque et les volutes sous l’influence des estampes japonaises. Cette prédilection pour des formes contournées et dynamiques a des analogies avec celle d’autres artistes de la fin du xixe et du début du xxe, dont l’esthétique est désignée sous le nom d’Art* nouveau.

Le symbolisme* est, d’autre part, une source d’inspiration pour les nabis, qui doivent beaucoup à la lecture et à la fréquentation des écrivains et des poètes symbolistes, et, plus encore, à la connaissance d’artistes comme Odilon Redon*, Eugène Carrière (1849-1906) et Puvis* de Chavannes. La musique de l’époque suscite aussi, surtout de la part de Maurice Denis et de Sérusier, des essais de transposition dans le domaine pictural. Ce que les nabis retiennent de l’œuvre des trois artistes cités plus haut, c’est leur sens de la composition décorative : arbres-colonnes et silhouettes des personnages adaptées au décor environnant (Puvis de Chavannes), emploi des noirs avec ou sans dégradés dans la lithographie et la peinture, palette de couleurs restreinte, formes vagues ou indéterminées (Carrière et Redon). Cela n’empêche pas les nabis d’utiliser tout de même les tons vifs, qu’affectionneront quelques années plus tard les fauves : Autoportrait de Vuillard (v. 1890-1892, coll. priv., Paris).

Les nabis contribuent aussi — par passion pour la décoration — à faire renaître l’intérêt et la pratique des métiers artisanaux (arts du feu, tapisserie, illustration de livres et de programmes de théâtre, etc.). C’est ainsi que Paul Ranson, comme Maillol, exécute de remarquables cartons de tapisseries et Maurice Denis des céramiques, conseillé et guidé par de grands praticiens comme Ernest Chapelet ou André Méthey. La plupart des nabis créeront des décors pour le théâtre de l’Œuvre, fondé en 1893 par leur ami A. M. Lugné-Poe.

Nourri de recherches expérimentales, mais plein de fantaisie et de fraîcheur (surtout dans les peintures murales de Vuillard, de Bonnard et de Roussel), le style décoratif des nabis n’exclut pas un parti pris de réalisme bourgeois dans les sujets traités : scènes de jardins publics et de rues, intimités délicates et intérieurs cossus, monde du théâtre et du cirque. Bien qu’ouverts à toutes les innovations et ne dédaignant pas la turbulence, voire l’anarchisme, les artistes du groupe sont des bourgeois travaillant pour leur classe sociale. Ce réalisme accueille les leçons de Cézanne*, comme le proclame Maurice Denis dans son Hommage à Cézanne, tableau de groupe peint en 1900 (musée national d’Art moderne, Paris).

Enfin, les nabis sont à l’origine de la Renaissance de l’art religieux grâce à l’action de Maurice Denis, de Sérusier et de Verkade, fervents catholiques. Leurs relations — par l’entremise de Verkade — avec l’école d’art de l’abbaye de Beuron (Allemagne) ont été d’une importance capitale, bien qu’elles soient encore mal définies. La théosophie y a joué un grand rôle. En 1919, cette action s’est concrétisée par la fondation des Ateliers d’art sacré par Maurice Denis et Georges Desvallières (1861-1950).

Les nabis tiennent leurs premières réunions dans un cabaret du passage Brady et chez Paul Ranson, puis ils se réunissent périodiquement dans les locaux de la Revue blanche, dirigée par les frères Natanson, qui sont parmi leurs premiers mécènes. Dès 1891, ils exposent régulièrement avec des impressionnistes et des symbolistes à la galerie Le Barc de Boutteville, puis aux Salons d’automne, des indépendants et des arts décoratifs, de la libre esthétique de Bruxelles pour certains d’entre eux. En 1896-97, le succès de la plupart des nabis est concrétisé par le soutien des galeries Bernheim-Jeune, Ambroise Vollard et Durand-Ruel notamment.

B. C.


Les principaux nabis et artistes apparentés

Voir les articles Bonnard et Maillol.


Maurice Denis

(Granville 1870 - Paris 1943). Ancien et brillant élève du lycée Condorcet à Paris, il étudie la peinture et le dessin dans l’atelier Gustave Moreau. Il est l’un des théoriciens de l’esthétique des nabis, qu’il contribue largement à imposer au public avec celle de Gauguin et de l’école de Pont-Aven. Très caractéristiques sont ses premières œuvres, qui allient les préceptes de Gauguin, la leçon des estampes japonaises et le symbolisme de Puvis de Chavannes : Portrait de Mme Paul Ranson (v. 1890, coll. priv., Saint-Germain-en-Laye) ; Eva Meurier en robe verte (1891, coll. priv., Alençon) ; Soir trinitaire (1891, coll. priv., Saint-Martin-de-Londres) ; la Tasse de thé ou Allégorie mystique (1892, coll. priv., Paris) ; les Muses (1893, musée national d’Art moderne). Il tire dans ces peintures un parti remarquable et séduisant de l’arabesque. Ses moyens d’expression sont très variés : peinture de chevalet, dessin, céramique, fresque, vitrail, illustration de livres.