Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mythe et mythologie (suite)

Le mythe est donc essentiellement un événement religieux. « Le mythe se définit par son mode d’être : il ne se laisse saisir en tant que mythe que dans la mesure où il révèle que quelque chose s’est pleinement manifesté, et cette manifestation est à la fois créatrice et exemplaire, puisqu’elle fonde aussi bien une structure du réel qu’un comportement humain. [...] Il n’y a pas de mythe s’il n’y a pas dévoilement d’un mystère. » Mircea Eliade écrit encore : « Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des « commencements ». Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Êtres surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution [...]. En somme, les mythes décrivent les diverses et parfois dramatiques irruptions du sacré dans le monde. »

L’inconvénient majeur de cette définition du mythe réside évidemment dans sa limitation : elle élimine ce qui n’est pas religieux. Eliade assume cette objection : il évoque une distinction que font certaines sociétés indigènes « où le mythe est encore vivant » entre les « histoires vraies » et les « histoires fausses ». Les « histoires fausses » ont un « contenu profane », même si les personnages en sont des divinités, alors que « dans les histoires vraies, nous avons affaire au sacré et au surnaturel ». Aux premières, seules, est réservé le nom de mythes, « tandis que les contes et les fables se réfèrent à des événements qui, même lorsqu’ils ont apporté des changements dans le monde [...], n’ont pas modifié la condition humaine en tant que telle ».

Les mythologues d’aujourd’hui n’ont pas accepté cette délimitation. Le sacré et le surnaturel sont des événements ressentis par ceux qui appartiennent à la culture où ces événements se manifestent. Aucune preuve ne peut, évidemment, être apportée pour affirmer que telle ethnie (historiquement, géographiquement et linguistiquement étrangère au mythologue moderne) éprouve ou non le sentiment du sacré lorsque est, devant lui, évoqué un mythe. La définition extensive du mythe doit être conservée, en ce sens qu’il comporte toujours des personnages surnaturels et des aventures fantastiques. Les objections à la thèse phénoménologique et comparatiste paraissent être les suivants : 1o la méthode phénoménologique introduit le risque permanent d’une confusion entre le sens du mythe perçu par celui à la culture duquel il appartient, et le sens du mythe perçu par l’analyste ; 2o à cause de sa jonction avec le comparatisme, elle ne permet pas de situer le « signifié » (sens du mythe) par rapport au « signifiant » (histoire racontée, personnages en cause). Ou bien le sens apparaît avant, au moment où se situe l’opération de classement faite par l’analyste qui regroupe des mythes d’origines hétéroclites. Ou bien il apparaît après, mais qui nous assure que l’opération du classement n’a pas d’influence sur lui ?

Tel est le sens des critiques émanant des mythologues les plus récents, agissant au nom d’une méthodologie générale, le structuralisme*.


Le structuralisme de Lévi-Strauss : « Anthropologie structurale » (1958) ; Mythologiques I : le Cru et le cuit (1964) ; Mythologiques II : Du miel aux cendres (1966) ; Mythologiques III : l’Origine des manières de table (1968) ; Mythologiques IV : l’Homme nu (1971)

Dans un article paru en 1955 et repris dans l’Anthropologie structurale, Lévi-Strauss, rejetant avec vigueur les écoles naturalistes, psychologiques et enfin psychanalytiques (notamment Jung) qui ont cherché à expliquer le mythe, propose une méthode générale, l’analyse structurale. Par la suite, il entreprend l’analyse des mythes amérindiens et aboutit à la rédaction des Mythologiques, où il pratique une analyse structurale des mythes : rapprochement de ce qui peut être considéré comme différentes versions d’un noyau mythique donné ; application d’une forme stricte aux résultats à l’aide d’équations logiques.

• Anthropologie structurale. On peut extraire d’abord de l’article recueilli dans l’Anthropologie structurale des éléments de définition, notamment deux antinomies que présente le temps mythique :
1o La succession temporelle des événements du mythe et le caractère apparemment imprévisible, à chaque fois, de ce qui va suivre s’opposent à l’universalité du contenu mythique, de ce qu’il veut dire : « Tout peut arriver dans un mythe ; il semble que la succession des événements n’y soit subordonnée à aucune règle de logique ou de continuité [...]. Pourtant, ces mythes, en apparence arbitraires, se reproduisent avec les mêmes caractères et souvent les mêmes détails dans diverses régions du monde » ;
2o Si le temps des événements d’un mythe est bien passé (« autrefois il arriva que »), en revanche l’ensemble renvoie dans une autre direction et concerne en quelque sorte le diseur de mythe : « La valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que ces événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur. »

Ces deux antinomies ont pour effet que le mythe est substantiellement de même nature que le langage : « Il est simultanément dans le langage et au-delà. » Un tel axiome est fondamental. Il explique notamment le recours à la méthode structurale, puisque aussi bien le structuralisme est en 1955 la théorie linguistique qui a donné le plus de preuves de sa fécondité. Il implique deux corollaires :
1o « Si les mythes ont un sens, celui-ci ne peut tenir aux éléments isolés qui entrent dans leur composition, mais à la manière dont ils sont combinés » ;
2o Les éléments constitutifs du mythe sont hiérarchisés comme le sont dans une structure linguistique les phonèmes, les morphèmes, les syntagmes et les phrases.