Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mythe et mythologie (suite)

Les principales conceptions de la mythologie


Fontenelle : Histoire des oracles (1687)

Les philosophes du xviie s., comme Fontenelle (v. lumières [esprit des], et surtout ceux du « Siècle des lumières », comme Voltaire*, se refusent à attribuer une quelconque valeur à la mythologie. Pour eux, ce sont des récits enfantins dont il importe de souligner la fausseté. Dans l’Histoire des oracles, Fontenelle s’efforce de montrer que, si certains oracles de l’Antiquité, attribués à des « génies », à des « faux dieux », se sont révélés justes, c’est à la volonté de Dieu qu’ils le doivent. « L’Antiquité est pleine de je ne sais combien d’histoires surprenantes et d’oracles qu’on croit ne pouvoir attribuer qu’à des génies. » Mais le souci apologétique n’empêche pas de savoir comment le problème mythologique a déjà été analysé. Ainsi, après avoir raconté quelques légendes « surprenantes » sur l’oracle de Delphes et rappelé une anecdote qui courait du temps de Plutarque, et suivant laquelle des navigateurs, au ier s. av. J.-C., auraient entendu une voix sur la mer leur annonçant que le dieu Pan était mort, Fontenelle écrit : « Il est aisé de voir que sur de pareilles histoires on n’a pas pu douter que les démons se mêlassent des oracles. Ce grand Pan qui meurt sous Tibère, aussi bien que Jésus-Christ, est le maître des démons, dont l’empire est ruiné par cette mort d’un dieu si salutaire à l’univers ; ou si cette explication ne vous plaît pas, car enfin on peut, sans impiété, donner des sens contraires à une même chose, quoiqu’elle regarde la religion, ce grand Pan est Jésus-Christ lui-même, dont la mort cause une douleur et une consternation générales parmi les démons, qui ne peuvent plus exercer leur tyrannie sur les hommes. C’est ainsi qu’on a trouvé moyen de donner à ce grand Pan deux faces bien différentes. » L’analyse mythologique est en fait réduite à néant par Fontenelle (si cette explication ne vous plaît pas) : il refuse d’avoir à choisir entre les deux hypothèses. Mais les deux hypothèses donnent la mesure de ce qu’était alors l’analyse mythologique : le symbolisme de l’histoire. Ainsi, ou bien la mort de Pan constitue le symbole d’un événement contemporain, la fin du paganisme devant l’avènement du christianisme (et c’est cette interprétation que donnent à l’histoire de Pan les auteurs chrétiens et plus tard, au xixe s., le philosophe allemand Nietzsche*), ou bien la mort de Pan est la traduction en termes païens d’un événement universel, l’avènement du christianisme. Il faut cependant admettre que le refus de choisir entre les deux hypothèses est aussi pour Fontenelle une élégance ; la seconde impliquerait en effet un acte de foi théologique, la volonté de Dieu d’utiliser la mythologie païenne à des fins apologétiques. Fontenelle est trop rationaliste pour se permettre un tel pas de clerc...


Schelling : Philosophie et religion (1804) ; Philosophie de la mythologie (1842)

La naissance du problème de la mythologie sous une forme moderne date de la philosophie de Schelling* et coïncide avec le moment où a disparu le problème d’une quelconque liaison avec l’apologétique chrétienne. Pour Schelling, le mythe est un récit verbeux en surface, qu’il faut décrypter pour arriver à un sens profond. Il relie ainsi très étroitement le mythe à l’allégorie et au langage. Comme l’allégorie, le mythe traduit le lien entre deux plans, une personnalisation sur un plan d’art, fait de tromperies agréables, et une volonté de signifier quelque chose. Mais, comme le langage, le mythe est essentiellement équivoque ou multivoque : les significations qu’on lui découvre sont nombreuses et incertaines.

L’originalité de Schelling consiste en l’introduction de l’histoire dans son analyse. Il lie l’allégorie au prophétisme en les définissant comme deux systèmes signifiant l’un le présent, l’autre l’avenir et en leur proposant deux impacts différents, l’instant et la durée : « L’allégorie est le prophétisme de l’instant, le prophétisme est l’allégorie de la durée. » Cette analyse permet également de préciser la situation du récit mythique par rapport à la religion, pour autant que le prophétisme est une activité religieuse, que ce soit l’activité contestataire d’individus élus au sein d’une religion, jugée par eux sclérosée ou incomplète, comme chez les Hébreux, ou que ce soit un art de prédire l’avenir intégré à une religion et à un clergé officiel, comme chez les Grecs.

La conception de Schelling de l’analyse mythologique apporte ainsi les éléments essentiels qui permettent d’interpréter tout mythe comme un symbolisme.


Malinowski : le Mythe dans la psychologie primitive (1926)

Malinowski* élabore une méthode et une théorie, le « fonctionnalisme* », dont le principe est que « dans tous les types de civilisation, chaque coutume, objet, croyance, remplit une fonction vitale, a une tâche quelconque à accomplir, représente une partie indispensable de l’ensemble de l’appareil ». Le fonctionnalisme est « la théorie de la transformation des besoins organiques, c’est-à-dire individuels, en impératifs sociaux découlant de ces besoins ». La mythologie appartient en quelque sorte au troisième étage des impératifs humains, le premier étant constitué par les besoins organiques individuels (nourriture, habillement, sécurité, reproduction, etc.), le deuxième par les mêmes besoins mais en tant que leur meilleure satisfaction nécessite l’existence d’un groupe (famille, système économique de production). La mythologie joue le même rôle intégrateur que la religion, l’art, la science : elle contribue à la cohésion du groupe. La science organise les activités humaines, récupérant les expériences passées en un système qui permet d’affronter l’avenir ; la magie récupère le caractère inexplicable de certains phénomènes et compense la source d’angoisse que ces phénomènes constituent ; le mythe valorise une institution sociale, un comportement, une croyance, etc., en replaçant ces phénomènes dans un cadre qui est celui de leur origine divine.