Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mystères (les) et le théâtre médiéval (suite)

C’est ce caractère composite des textes — le mélange constant du sacré et du profane —, les libertés prises avec les Évangiles, la grossièreté de certaines scènes qui provoqueront la disparition progressive du genre, sous les attaques conjuguées des humanistes, des réformés et de l’Église catholique. Les mêmes caractères dramatiques sont développés dans les miracles ou mystères des saints, joués en l’honneur d’un saint patron local ou d’une pieuse corporation, lors des fêtes communales ou pour perpétuer le souvenir d’un miracle (fin d’une épidémie ou d’une période de sécheresse). Au xve s., le théâtre religieux est surtout remarquable par son ampleur. La première grande Passion française, qui regroupe tous les thèmes de la Chute et de la Rédemption, est composée par un official de Corbie, Eustache Marcadé (fin du xive s. - 1440) : cette œuvre, dite la Passion d’Arras, 25 000 vers, se joue en quatre journées. Le Mystère de la Passion, composé vers 1450 par Arnoul Gréban (v. 1420-1471), se joue également en quatre journées, mais a déjà près de 35 000 vers. En 1486, Jean Michel d’Angers (v. 1430 ou 1435-1501) développera les mêmes thèmes en 45 000 vers et dix journées de représentation. Cette démesure atteindra son comble au xvie s. avec la représentation du Mystère des Actes des Apôtres (62 000 vers) à Bourges en 1536 et celle du Mystère de la Passion à Valenciennes en 1547.


Le lieu théâtral

On peut établir une typologie partielle des scènes médiévales (dont les formes sont souvent identiques pour les mystères, les miracles ou les moralités) d’après les documents écrits ou iconographiques qui nous sont parvenus.

Hormis Paris et Lyon, où des salles fermées ont été utilisées pour certaines représentations, les mystères ont, la plupart du temps, été représentés en plein air dans le cadre urbain. Places, carrefours, cours de châteaux ou de couvents, cimetières même furent les lieux de ces jeux. Mais la place, devenue avec le développement des marchés au xive s. un des centres de la cité, fut l’espace privilégié de ces spectacles.


La place théâtralisée

Une Passion jouée à Francfort vers 1350, un Mystère de saint Pierre et saint Paul représenté à Aix-en-Provence en 1444, une Passion jouée à Lucerne en 1583 montrent la perpétuation d’une organisation spatiale du jeu fort archaïque, mais très efficace. Il n’y a pas, à proprement parler, de scène, mais la place est enclose d’une barrière derrière laquelle se tiennent les spectateurs. Les fenêtres des maisons peuvent servir de loges. Sur le pourtour de cette aire centrale délimitée par l’enclos, dos tourné au public, sont assis les acteurs ou disposés quelques éléments décoratifs symboliques ou succincts. D’autres décors de même nature (un siège peut aussi bien signifier un trône que, par extension, un palais ou même une ville) sont dispersés sur la place, dont le mobilier urbain (par exemple une fontaine) est recouvert d’échafauds qui supportent également des lieux dramatiques. L’architecture de la place est intégrée au jeu : ainsi, à Lucerne, le paradis est construit entre les pignons d’une maison. Dans de tels lieux théâtraux, la fusion entre l’espace de jeu et l’espace urbain est fortement marquée. Comme sur toutes les scènes médiévales, l’enfer (figuré par une gueule de dragon) est opposé au paradis, construit en hauteur et orné de symboles cosmiques (roues angéliques, soleils, nuées) selon un axe est-ouest ou droite-gauche par rapport aux acteurs.

Sur la place théâtralisée, tous les acteurs sont présents sur scène durant tout le spectacle et se lèvent tour à tour pour participer à l’action. De même, tous les lieux dramatiques, marqués par un décor ou un accessoire, sont simultanément présents, les personnages se déplaçant d’un lieu à un autre selon les impératifs du texte. Ce principe de simultanéité, commun à tous les arts visuels du Moyen Âge, commandera toutes les scènes médiévales, avec des variations allant de la simultanéité totale à la transformation partielle de quelques éléments décoratifs de base servant à signifier tous les lieux dramatiques, et cela même après les transformations de l’espace plastique par les artistes de la Renaissance.


L’espace circulaire

De nombreux spectacles médiévaux ont été organisés dans des théâtres en rond. À Rome, le Colisée fut aménagé pour des représentations religieuses. En France, les archives signalent de tels théâtres tout au long de la première moitié du xvie s. : à Doué, à Poitiers, à Meaux, à Autun, à Bourges, à Issoudun...

Deux exemples, dont il nous reste des documents iconographiques, permettent de concevoir une des formes prises par ces théâtres circulaires : un dessin anglais pour une moralité, The Castle of Perseverance (v. 1405), et une miniature du peintre Jean Fouquet, le Martyre de sainte Apolline, conservée au musée de Chantilly. Autour d’une aire centrale circulaire sont groupés alternativement des lieux pour les acteurs et pour les spectateurs. Le document anglais indique que seules les mansions étaient construites et que le public était assis par terre ou sur des bancs, mais la miniature de Fouquet montre au contraire des loges surélevées de même structure pour les acteurs et les spectateurs. De plus, d’autres spectateurs se tenaient sous les loges. L’aire centrale était réservée au déroulement de l’action dramatique.

Les derniers spectacles médiévaux en rond se sont souvent déroulés dans d’anciens amphithéâtres romains ou bien dans des fosses circulaires résultant d’anciennes carrières et que l’on considérait comme des vestiges de théâtres antiques. Les spectateurs étaient groupés sur des gradins et dans des loges disposés de manière à former un cercle, mais l’absence de documents ne permet pas de préciser la forme que les organisateurs donnaient à leur dispositif scénique. Sur le même plan furent également construits des théâtres permanents en bois, comme celui de Meaux, qui fonctionna durant deux années avant de disparaître.