Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mussolini (Benito) (suite)

1908 le revoit dans son village romagnol auprès des siens. Le jeune homme, tout en retrouvant avec joie le cadre familier, vit sur place les luttes d’influence où s’affrontent propriétaires, souvent très modestes (les neuf dixièmes d’entre eux possèdent moins d’un hectare), et braccianti, ouvriers agricoles qui, eux, n’ont pour toute richesse que leurs bras, et où les ligues paysannes, contrôlées par les socialistes, s’efforcent d’éviter le chômage prolongé et, entre prolétaires trop nombreux, d’assurer à chacun, en même temps qu’un salaire équitable, un emploi pendant au moins une partie notable de l’année. Pour les propriétés plus vastes, la règle est le métayage, qui là encore favorise les braccianti et donnera en 1911 la reconnaissance légale aux ligues paysannes, que plus tard désorganiseront et ruineront les fascistes pour leur substituer leurs propres organisations aux ordres du patronat et d’une bureaucratie étatique.

Fin 1908, Mussolini gagne le Trentin. La province est autrichienne, mais peuplée en majorité d’Italiens. En Suisse, Mussolini a appris aussi l’allemand, et, à Trente, il rencontre son futur adversaire, catholique et irrédentiste, le député Alcide De* Gasperi. Il collabore à deux journaux de langue italienne auprès de Cesare Battisti, que ses campagnes irrédentistes désignent dans un proche avenir à la vindicte autrichienne, mais lui-même est venu prêcher le socialisme, non l’irrédentisme, et plus tard les nationalistes lui en feront sévèrement grief. Durant cette décennie, le mouvement nationaliste est limité d’abord à quelques jeunes revues et aux œuvres d’un fervent patriote, Enrico Corradini, humilié pour son pays que ses compatriotes en Amérique latine soient réduits à une condition presque servile. Gabriele D’Annunzio* confère au groupe nationaliste le prestige éclatant de son verbe, puis le monde industriel favorise la naissance d’un hebdomadaire (il deviendra quotidien en 1914), l’Idea Nazionale, qu’une équipe de publicistes intransigeants dans leur doctrine conduira d’étape en étape jusqu’à l’impérialisme, en liaison avec une association nationaliste qui a tenu à Florence en décembre 1910 son premier congrès. Bien entendu, le même groupe poussera l’année suivante à outrance l’idée de guerre à la Turquie pour occuper la Tripolitaine.


Le militant

À toute cette agitation Mussolini reste alors étranger ; il la combat même avec violence à Forli, où il est rentré en 1909 et s’est fiancé à Rachele Guidi, qu’il épousera en 1915. Dans cette même ville, il est directeur et principal rédacteur du journal socialiste La Lotta di classe. Son inspiration, nourrie de ses lectures et de ses souvenirs de Suisse, est bien plutôt, d’ailleurs, anarchiste que socialiste. Il exalte Francisco Ferrer Guardia à côté des terroristes russes, et une véritable émeute éclate à Forli à l’occasion du départ d’un train chargé de troupes. « Pas un homme, pas un sou » est le mot d’ordre du parti, et Mussolini l’applique à la lettre, alors secondé par le jeune Pietro Nenni, secrétaire de la section républicaine de Forli.

La ville est mise en état de siège, et Mussolini, arrêté peu après, est condamné à cinq mois de prison ; admis au régime politique, il écrit sa première autobiographie. À sa sortie a lieu le congrès de Reggio nell’Emilia ; après quelques mois d’intérim rempli par un camarade, Mussolini, grandi dans l’opinion socialiste par sa participation à l’action révolutionnaire, est nommé directeur de l’Avanti ! à l’unanimité. Il en élimine les éléments qui lui déplaisent, même les plus importants jusque-là, tel Claudio Trèves, et, par de continuelles surenchères, fait monter le tirage du journal de 20 000 à 100 000, chiffre énorme pour l’Italie d’alors. Mais les agissements de Mussolini inquiètent les esprits les plus réfléchis de la direction du parti. Anna Koulichoff notamment, la compagne de Turati, se refuse à voir en lui un marxiste.

En 1912, année où Giolitti accorde le droit de suffrage à tous les hommes de vingt et un ans ayant accompli leur service militaire ou ayant atteint trente ans (ce qui fait passer le corps électoral à 8 millions), Mussolini, candidat à Forli, est battu de loin, sauf dans son bourg natal, et il est probable que cet échec, alors que 52 socialistes sont élus, l’incline secrètement à réfléchir sur les chances de succès durable du parti politique choisi par lui. Néanmoins, il renforce encore son action révolutionnaire lorsqu’à Milan, au printemps de 1913, éclate une grève générale industrielle de deux jours, qui se reproduit de nouveau en octobre et se prolonge l’année suivante à Parme, avec un caractère encore plus anarchisant. À Ancône, le 7 juin 1914, une manifestation antimilitariste, dont la répression fera trois morts, déclenche une grève générale en Romagne et dans les Marches. À Ravenne, on malmène les officiers et l’on va jusqu’à planter des arbres de la liberté. Ce sera la « semaine rouge », dont le souvenir demeurera longtemps et qui commence à faire réfléchir les milieux conservateurs.

Giolitti, suivant une tactique qui lui a souvent réussi, cède alors le gouvernement au libéral de droite Antonio Salandra, qui n’est nullement disposé à prolonger la faveur accordée par le vieil homme d’État piémontais aux organisations socialistes. Puis la Première Guerre mondiale éclate. Mussolini prêche alors, en accord avec la majorité de ses camarades, la neutralité absolue, puisque aussi bien il est à prévoir que les fractions allemande et française de la IIe Internationale suivront leur gouvernement. À la mi-septembre, la victoire de la Marne ébranle profondément la confiance des dirigeants et des nationalistes italiens dans la victoire des Empires centraux.

Après avoir magnifié l’alliance germanique, l’Idea Nazionale, la première, tourne casaque et rappelle que l’Italie a des comptes à régler avec l’Autriche. Mussolini, lui, hésite encore ; il encense Gustave Hervé, qui d’antimilitariste s’est mué en patriote ; il insère dans l’Avanti ! la protestation du Trentin Battisti contre les Italiens qui feraient bon marché des vœux de leurs compatriotes encore soumis à un joug étranger. Puis, sous prétexte qu’une « neutralité active et agissante » serait préférable à la neutralité absolue, il préconise un changement de front que les chefs du parti repoussent sans hésitation en même temps qu’ils retirent à Mussolini la direction de l’Avanti !