Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musique (suite)

À l’art religieux de l’Église catholique va s’opposer la musique de l’Église protestante. La Réforme aura plus d’une conséquence pour les pays germaniques, qui vont s’affirmer dans l’Europe musicale. Luther* assignait à la musique une valeur sociale, voulait faire chanter le peuple dans la langue vulgaire, non plus en latin. Du coup, il rompait avec Rome et sera l’instigateur d’un genre nouveau, le choral. Des éléments grégoriens simplifiés, des thèmes populaires ou créés par Luther et par Johann Walther (1496-1570) servent de base à des chants fort simples par leur symétrie rythmique. Et, quand ils deviendront polyphoniques, l’homophonie (qui assigne simultanément à chaque chanteur une note par syllabe) en facilitera l’exécution tout en leur conférant un caractère de calme gravité, de religieuse austérité. J.-S. Bach* doit au choral l’un des aspects les plus attachants de son art. Si l’Italie et l’Espagne ne sont pas touchées, la Réforme trouve en France deux musiciens de valeur : Claude Goudimel (v. 1505-1572) et Claude Le Jeune* (v. 1530-1600). Les Psaumes mis en vers français par Clément Marot*, œuvre achevée par Théodore de Bèze, constituent l’essentiel du Psautier huguenot, qui a pénétré en Allemagne. Traduit en plusieurs langues, celui-ci assure une certaine unité spirituelle entre les divers pays protestants.


Une floraison parisienne

La chanson polyphonique française connaît au xvie s. une variété digne de remarque : la chanson descriptive parisienne, qu’a illustrée un Janequin* (1485-1558), auteur de la Bataille de Marignan, du Chant des oiseaux, du Caquet des femmes, des Cris de Paris. Les onomatopées, la volubilité des textes, la vivacité des dessins musicaux et le sens de la déclamation font de ces tableaux de la vie sociale de l’époque un genre des plus originaux du génie français.

Plus homophonique que contrapuntique, sans mélismes ni vains ornements, la chanson parisienne tire sa forme de la poésie même, qui domine, et c’est le vers qui crée ses rythmes. L’éditeur Pierre Attaingnant († v. 1551) publie à partir de 1528 plus de 50 volumes de chansons. Chacune des quatre voix paraît dans un recueil séparé, et, le soir venu, on se réunit pour chanter autour d’une table. Au nom de Janequin, il faut associer ceux de Passereau, de Certon, de Sermisy, de Costeley, qui mit en musique le célèbre « Mignonne allons voir si la rose » de Ronsard*. Jacques Mauduit et Claude Le Jeune se sont particulièrement attachés aux vers de Ronsard et de Baïf, mesurés à l’antique avec l’alternance des brèves et des longues. C’est le temps où l’amitié du roi Charles IX pour les poètes de la Pléiade a permis la fondation, en 1570, de l’Académie de poésie et de musique. C’était aussi, peu avant, le temps des élégantes Danceries de Claude Gervaise et d’Étienne Dutertre (pavanes, gaillardes, branles), confiées à des ensembles instrumentaux, certaines transcrites à partir des polyphonies vocales (v. chanson).


Le règne de l’Italie

Sans oublier le rôle important de l’Angleterre dans la constitution du contrepoint, il faut reconnaître, à considérer les conquêtes successives du langage musical, ses développements, ses premiers monuments valables, que la France a toujours été à la pointe de la recherche. Six siècles durant, elle domine l’Europe, et ce n’est qu’à la fin du xvie s. que l’hégémonie passe à l’Italie, créatrice de formes nouvelles. Le madrigal* est un premier exemple. Sa structure primitive, héritée de l’Ars nova florentin, s’appuyait sur un genre populaire, la frottola et la villanelle napolitaine. Avec ses prétextes variés, badinage, chanson d’amour, sujets religieux ou moraux, le madrigal italien constitue un modèle plus savant, point culminant de la polyphonie profane. Si le style, par réaction contre les contrapuntistes franco-flamands, est plus libre, plus aéré, les premières réalisations sont l’œuvre de Flamands : Willaert, Cyprien de Rore — souvent chromatique —, Philippe Verdelot, Jacob Arcadelt, dont le « cygne mourant » décrit le mouvement de l’onde. Luca Marenzio, Giovanni Giacomo Gastoldi, Ignazio Donati, Gesualdo*, aux harmonies audacieuses, et Monteverdi sont les grands noms italiens du genre. Certains « madrigaux dramatiques » annoncent l’opéra, notamment l’Amfiparnaso d’Orazio Vecchi (1550-1605), comédie musicale d’écriture polyphonique et de style madrigalesque. L’Angleterre et l’Allemagne ont également connu des madrigalistes de haute valeur.

Si l’art vocal a eu longtemps la priorité, les œuvres pour instruments vont connaître un développement qui ne cessera de croître avec le temps. À part quelques danses monodiques d’origine (pour flûte ou vièle), le premier répertoire instrumental est fourni dès le xive s. par la transcription des polyphonies vocales. À l’orgue, ce sera, au xve s., l’œuvre de l’Allemand aveugle Konrad Paumann (v. 1410-1473) qui enrichit le modèle original de « colorations » (ornements) et de traits. Au xvie s., l’Espagnol Luis Milán applique le procédé au luth*, qui jouera aussi un grand rôle comme accompagnateur de la voix soliste. Le style du luth va d’ailleurs s’imposer aux instruments à clavier, le clavicorde, le clavecin* : en France avec Chambonnières (qui ordonne la suite) et ses successeurs Louis Couperin, son neveu François Couperin* le Grand, et Rameau* ; en Italie avec Domenico Scarlatti* ; en Allemagne avec Bach ; en Angleterre, dès le xvie s., avec les virginalistes, qui, sous le règne d’Élisabeth, développent l’idée de l’ornement jusqu’au principe de la variation. William Byrd* a écrit pour le virginal* un exemple typique avec The Bells, où les valeurs des notes vont en diminuant. À Venise, Willaert et les deux Gabrieli ont traduit instrumentalement l’art vocal flamand. La « canzone francese » devient la base du ricercare (recherche qui applique au clavecin et à l’orgue les développements du contrepoint chanté). On y trouve des entrées fuguées de thèmes différents, notamment chez Frescobaldi. L’unité thématique de la fugue* sera esquissée par le Néerlandais Sweelinck* (1562-1621) dans sa monumentale Fantaisie chromatique pour orgue. C’est une date dans l’histoire de la fugue d’orgue, que le Germano-Danois Buxtehude*, au xviie s., et Bach, au xviiie, porteront à son apogée. Ici s’achève une période importante de l’histoire de la musique. Mais, dès l’avènement du xviie s., l’Italie sera le lieu privilégié où naîtront des genres nouveaux, dont le développement et la diffusion connaîtront un éclat exceptionnel, et tout d’abord l’opéra.