Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musicologie (suite)

Comme le définissait en 1958 le Précis de musicologie de l’Institut du même nom, « il n’y a musicologie que dans le travail neuf et de première main à partir des sources » et dans la mesure où il aboutit à des résultats contrôlables, ce qui exclut aussi bien les dissertations à base d’interprétations subjectives et les comptes rendus journalistiques, voire les réflexions sans support vérifiable, que les vulgarisations de seconde main.

Les branches de la musicologie sont extrêmement nombreuses et font souvent appel à des connaissances et à des méthodes empruntées à d’autres disciplines : histoire, histoire de l’art, littérature, paléographie, linguistique, philosophie et ses annexes, histoire des religions, acoustique, médecine, etc. Ces connaissances peuvent parfois suffire à aborder des questions musicologiques lorsque leur objet reste extérieur au contenu musical lui-même ; c’est ce qu’on pourrait appeler la musicologie externe (biographies, recherche d’archives, étude des aspects littéraires, certaines éditions de textes, etc.).

Il en va tout autrement lorsqu’on aborde la musicologie interne, c’est-à-dire celle qui fait intervenir le contenu musical lui-même. Elle ne saurait alors se contenter ni d’une simple culture musicale, si poussée soit-elle, ni de connaissances ou de méthodes importées d’autres disciplines : elle demande le plus souvent une combinaison des deux éléments qui aboutit à une formation spécifique qu’on ne saurait négliger sans s’exposer à des mécomptes.

L’histoire de la musicologie externe, qui s’applique le plus souvent aux époques révolues, est liée à une notion plus générale : celle de l’intérêt pour la recherche du passé. Les témoignages sur la musique présente ont en effet le plus souvent un caractère plus anecdotique (ou parfois polémique) que scientifique et par là ressortissent plutôt, en général, à la musicographie qu’à la musicologie. C’est ainsi qu’on hésitera à classer comme ouvrages de musicologie, quel qu’en soit l’intérêt, des recueils non contrôlés de traditions orales historico-légendaires comme la Musique du pseudo-Plutarque ou les premières « histoires de la musique » du xviie s., signées P. Bourdelot (1610-1685), W. C. Printz (1641-1717) ou Bontempi (1624-1705), ou les nombreuses apologies ou polémiques que suscite actuellement la musique contemporaine.

On peut voir les premières manifestations de la recherche musicologique externe dans le développement du mouvement humaniste à la fin du xvie s. et tout au long du xviie s. ; ce mouvement, en effet, entraîna, pour la musique, des recherches passionnées visant à la redécouverte de la musique grecque antique, à laquelle l’on prêtait des vertus quasi mythiques et dont les musiciens eux-mêmes cherchaient souvent à s’inspirer (invention du chromatisme, etc.). La première édition critique de textes musicographiques anciens (sept traités de musique grecque, dont celui d’Aristoxène) fut réalisée en 1652 par un philologue danois, Marcus Meibom (ou Meibomius) [1626-1711]. Le Moyen Âge ne suivit que plus tard, à la faveur cette fois de l’intérêt des hommes d’Église pour les anciennes coutumes liturgiques ; les recherches de l’abbé Jean Lebeuf (1687-1760), en France, parurent en 1738, et celles, en Allemagne, de l’abbé de Saint-Blaise, Martin Gerbert (1720-1793), donnèrent lieu en 1774 à une publication monumentale, De cantu et musica sacra, que suivirent en 1784 les trois volumes des Scriptores ecclesiastici de musica sacra potissimum non encore aujourd’hui entièrement remplacés. Les dictionnaires de musique apparurent eux aussi au cours du xviiie s. : le plus ancien est sans doute celui que publia en 1703 Sébastien de Brossard (1655-1730) ; il fut suivi en 1732, en Allemagne, du Musikalisches Lexikon de Johann Gottfried Walther (1684-1748), mais, entre-temps (1728), la Cyclopaedia anglaise d’Ephraïm Chambers (v. 1680-1740) avait fait aux articles de musique une place assez honorable pour que Jean-Jacques Rousseau, chargé en 1751 d’une partie des articles de musique de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, en fit l’une de ses sources principales de documentation. Son important Dictionnaire de musique (1767) constitue un remaniement très amplifié de ce travail initial, qui constitue l’un des premiers monuments de la « musicologie » proprement dite.

C’est seulement au cours du xixe s. que furent entreprises méthodiquement des éditions critiques de textes musicaux, en général œuvres de sociétés dédiées à la mémoire d’un compositeur et dont les membres recevaient par souscription des fascicules en abonnement : les premiers volumes de la Bach-Gesellschaft parurent en 1851, ceux de la Händel-Gesellschaft en 1859. Les publications biographiques virent le jour elles aussi au xixe s., parfois assez peu de temps après la mort des intéressés : Über Johann Sebastian Bachs Leben de J. N. Forkel parut en 1802, mais les Biographische Notizen über Ludwig van Beethoven de F. G. Wegeler et F. Ries furent publiées dès 1838, onze ans après la mort du maître. Il faut attendre la période contemporaine pour voir consacrer des monographies à des musiciens vivants.

Si la musicologie externe est relativement récente, la musicologie interne l’est peut-être plus encore — tout en pouvant revendiquer de très lointains ancêtres. C’est probablement le pythagorisme qui, au vie s. avant notre ère, exploitant la découverte de son fondateur sur les rapports numériques de longueur des cordes vibrantes produisant des intervalles consonants, introduisit autour de la musique un mode de pensée spéculative qui fit longtemps considérer cet art comme de nature mathématique : Rameau* le pensait encore en 1722 (il s’en dédit partiellement en 1737) et toutes les illusions ne sont pas encore entièrement dissipées à cet égard. On en vint ainsi à l’époque de Boèce (ve s.) à distinguer le musicus, ancêtre du musicologue, du cantor, ou musicien pratiquant, exaltant le premier en méprisant le second, à l’encontre de l’école d’Aristoxène, qui récusait avec vigueur le remplacement de l’instinct par la spéculation, et principalement la spéculation numérique. L’étude interne de la musique n’en demeura pas moins désespérément empirique, et il fallut attendre Rameau pour que, malgré ses idées arbitraires et parfois ses erreurs, la théorie musicale entrât dans une voie scientifique où elle n’a cessé d’avoir grand-peine à se maintenir, l’époque actuelle n’étant pas exclue de ces incertitudes. L’analyse des œuvres elle aussi commence à peine à dessiner ses méthodes après avoir été trop souvent figée dans des moules stéréotypés, où les dissections stériles alternent trop souvent avec la plus creuse phraséologie. C’est seulement depuis peu que semble s’être fait jour la nécessité d’une approche de caractère épistémologique et que l’analogie avec les méthodes linguistiques a fait naître une véritable philologie musicale, encore en période de formation.