Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arabes (suite)

 G. Antonius, The Arab Awakening (Londres, 1938). / R. Hartmann, Islam und Nationalismus (Berlin, 1948). / B. Lewis, The Arabs in History (Londres, 1950 ; 3e éd., 1964). / J. Berque, les Arabes, d’hier à demain (Éd. du Seuil, 1960). / S. G. Haim (sous la dir. de), Arab Nationalism, an Anthology (Berkeley, 1962). / M. Flory et R. Mantran, les Régimes politiques des pays arabes (P. U. F., 1968). / M. Rodinson, Israël et le refus arabe, 75 ans d’histoire (Éd. du Seuil, 1968) ; Renaissance du monde arabe (Duculot, Gembloux, 1972). / D. Sourdel, Histoire des Arabes (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1976).


La littérature arabe au Proche-Orient

Durant une histoire longue de quatorze siècles, la littérature arabe n’a cessé de se distinguer par son respect des permanences, par son culte pour des modes d’expression liés à certains traits propres à la langue. Résistance ou, pour le moins, défiance à l’égard du renouveau qui inquiète, place faite à l’étude et à la culture de l’instrument d’expression sont en conséquence les caractères dominants de cette littérature. Un troisième fait doit intervenir dans l’esquisse des évolutions de leurs réussites ou de leurs échecs : la littérature arabe nous apparaît sans cesse comme l’écho et le reflet d’une mentalité à prédominance d’abord bédouine, puis urbaine. Par son imbrication avec les événements sociaux, politiques et religieux, l’histoire de la littérature arabe est donc étroitement liée à celle de la civilisation du monde de l’islām au Moyen Âge, depuis l’Iran jusqu’au Maghreb et l’Espagne. Dans ce cadre immense et divers, la production littéraire s’est manifestée sous deux formes : l’une sans intention d’art, l’autre, au contraire, avant tout caractérisée par le souci accordé à la recherche du style et de l’« écriture ». Seule cette dernière fait l’objet de la présente esquisse.


L’instrument d’expression


La langue arabe avant le viie s.

L’arabe, dans la famille des idiomes dits « sémitiques », appartient à la branche occidentale. Dès l’Antiquité, il est l’instrument d’expression des nomades depuis l’Arabie orientale jusqu’à la mer Rouge ; vers le sud, il jouxte les parlers du Yémen ou sud-arabiques ; sur les confins syro-palestiniens et sur la rive droite de l’Euphrate moyen et inférieur, il refoule lentement l’araméen. Au début de notre ère, cet idiome s’éveille à l’Histoire et constitue l’instrument d’intercompréhension sur la route de l’encens, depuis le Yémen jusqu’à Pétra et Damas ; la fondation du royaume des Rhassānides (Ghassānides) dans les steppes syro-palestiniennes et de celui des Lakhmides à Ḥīra (près de Kūfa) renforce au vie s. cette implantation de l’arabe sur les limites de la Péninsule. L’épigraphie ne nous a livré que quatre inscriptions courtes et peu significatives, mais toutes du domaine syro-palestinien : la bilingue grecque-arabe de Ḥarrān (Djebel Druze), de 568, atteste l’évolution réalisée par la graphie depuis 328, date de la stèle d’al-Namāra dans la même région. D’autres documents linguistiques seraient à chercher, pour la même époque, dans la masse des textes poétiques, mais ceux-ci, nous étant seulement parvenus après un long cheminement oral, n’offrent aux linguistes que des spécimens contestables. Il nous faut donc attendre la mise par écrit de la révélation coranique, sous le calife ‘Uthmān, après 645, pour disposer enfin d’un témoin authentique et d’une valeur indiscutable sur l’état de la langue arabe à cette époque.


La koïnê et les dialectes péninsulaires

Dès le vie s. et sans doute bien avant, la langue arabe, au dire des grammairiens iraqiens, se scinda en deux familles dialectales : celle des tribus d’Arabie centrale et orientale, d’une part, et celle d’Arabie occidentale dite « hedjazienne », d’autre part ; les oppositions portaient sur la phonétique, sur certains détails de la morphologie et de la syntaxe, probablement aussi sur le vocabulaire, mais sur ce point nos connaissances sont très limitées. À côté de ces dialectes s’était constituée une koïnê dont l’origine demeure mystérieuse et qui était utilisée en poésie ainsi que, selon toute apparence, dans des harangues solennelles ou dans des sermons. Le Coran* est le spécimen le plus suggestif de l’emploi de cette koïnê. Celle-ci représentait donc un idiome supérieur, ce qui n’impliquait nullement pour autant l’éclipse des dialectes vivants. Toutefois, la précellence reconnue à l’idiome coranique et le culte voué à la littérature poétique devaient avoir pour conséquence de prendre la koïnê comme fondement même des études grammaticales en Iraq un siècle plus tard et, par là, d’élever ce moyen d’expression au rang de langue de culture.


La langue coranique

En sa forme coranique, l’ancienne koïnê offre au comparatiste le plus admirable système qu’il eût pu souhaiter pour découvrir les lignes de force suivies par les langues sémitiques depuis les origines. Cette koïnê coranique, dans le domaine de la phonétique, est d’un conservatisme remarquable ; elle a gardé, par exemple, une attaque et une détente vocalique très vivantes, conservé des inter-dentales comme le th et le dh anglais, maintenu très nette la distinction de ces mêmes phonèmes avec des emphatiques. Dans le domaine du vocalisme, la notation des voyelles longues (à l’exclusion de ā) est constante, ce qui crée une différenciation totale avec les voyelles brèves, lesquelles sont surajoutées graphiquement ; la gamme se réduit à trois timbres fondamentaux a, i, u (longs ou brefs) ; toutefois, l’existence de consonnes emphatiques dans le mot amène, par contact, l’émission de timbres intermédiaires (è, o, ä) ; la palette se trouve ainsi très diversifiée. Un accent tonique, en dépit du silence étrange des grammairiens, a certainement coloré la modulation du morphème. Dans le domaine de la morphologie, la racine est d’une importance fondamentale ; elle est en général triconsonantique, mais des souches biconsonantiques sont nombreuses notamment dans des substantifs comme yad (main) ; l’évolution vers le triconsonantisme est patente. À partir de la racine, la koïnê coranique met déjà en évidence un rapport de dérivation par l’intervention des voyelles longues ou brèves et par l’utilisation de quelques « formantes » intégrant le mot dans une série : noms de lieux, participes, adjectifs, etc. ; ainsi, à partir de la racine nzl, exprimant la notion d’un mouvement descendant, on tire des verbes comme nazala (il descendit), anzala (il fit descendre), des noms comme tanzīl (révélation), manzil (halte). L’aspect systématique de cette dérivation avait de quoi tenter la logique du grammairien ; il devait fortifier en lui ce goût des constructions normatives. Dans cette koïnê est mis en évidence le mécanisme de la dérivation à partir de la racine ; l’emploi des « formantes » se précise ; le recours à un redoublement confère au schème une valeur d’intensité ; prégnant est le rôle des voyelles longues ou brèves ; par elles, on passe du stade de notion diffuse à celui de signification ; ainsi, de la racine frs s’obtiennent, par différenciation vocalique, faras (cheval, jument), fāris (cavalier), furūsiyya (hippologie).