Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mosquée (suite)

Bien que Dieu soit considéré comme essentiellement transcendant, le caractère sacré de la mosquée s’est accru au cours des temps jusqu’à en faire la maison d’Allāh. C’est en partie à cause de cette sacralisation qu’en certains pays son accès est interdit aux infidèles. Néanmoins, elle n’a jamais perdu son rôle de lieu public, et la vie sociale y a trouvé un de ses pôles d’attraction. L’absence de séparation entre les pouvoirs en a fait un centre politique. La commémoration du Prophète et d’autres grands personnages lui donne parfois les caractères d’un lieu de pèlerinage. L’habitude ancienne d’enterrer dans les mosquées, celle, peu canonique, de prier pour les morts, le culte parasitaire des saints ont pu l’amener à être un mausolée (mosquées funéraires). L’usage d’enseigner le Coran et les sciences l’ont transformée en école, avec bibliothèque, salle de cours, cellules (mosquée-madrasa ou mosquée-université, à partir du xiiie s.).

Ce n’est que progressivement que la mosquée a acquis ses caractères. En théorie, toute la surface de la terre peut en tenir lieu et aucun local particulier n’est nécessaire. À l’époque du Prophète, un seul édifice est essentiel, le temple de La Mecque, la Ka‘ba ; les lieux de prière installés à Médine ou ailleurs ne sont en fait que des muṣallā, des espaces à ciel ouvert délimités, enclos et orientés, comme il en existera toujours en islām pour l’exercice du culte. Dans la pratique, très vite le besoin de véritables monuments se fit sentir. Dans les premières années de la conquête, les Arabes réquisitionnèrent des églises, des synagogues, ou s’installèrent dans d’anciens temples du feu, dans les salles abandonnées des palais iraniens. Mais en même temps, surtout dans les grands camps, amorces des villes futures, Bassora, Kūfa, Fusṭāt, des sanctuaires originaux furent fondés. Enfin, en 705, les Omeyyades* construisirent à Damas* leur mosquée impériale, la première grande réalisation architecturale canonique de l’islām.


Architecture

Bien des éléments ont contribué à l’élaboration de la mosquée. La maison de Mahomet à Médine, cour sur laquelle s’ouvrait d’un côté quelques pièces, doit être à l’origine de son plan. Mais les impératifs religieux, l’exemple des basiliques chrétiennes et des palais byzantins, certains organes des synagogues y ont contribué. À la Grande Mosquée de Damas, une vaste cour précède la salle de prières rectangulaire, plus large que profonde et divisée, par des colonnes portant arcs, en trois nefs parallèles au mur du fond que vient couper une travée médiane plus élevée, au centre de laquelle s’élève une petite coupole. Plus à l’est, en Iraq*, un autre schéma semble avoir inspiré les mosquées. Ce qu’on sait par exemple de celle de Kūfa laisse envisager une simple adaptation de l’apadana achéménide : la salle hypostyle, fidèlement reproduite avec ses nombreux supports sur lesquels reposent, sans intermédiaire d’arcs, les poutres qui soutiennent la toiture, aurait été débarrassée en son centre d’un certain nombre de colonnes pour donner naissance à une cour.

Malgré la prodigieuse influence de la mosquée de Damas, les mosquées-apadana lui firent sans doute concurrence. Du moins voyons-nous se développer des monuments qui semblent inspirés simultanément de l’une et des autres. De lignes monotones, à l’élévation médiocre, mais somptueusement parés, ils présentent une cour centrale plus ou moins vaste, carrée ou oblongue, toujours ceinte de portiques ; une salle plafonnée, ouverte sur la cour par de larges baies, portant souvent une ou deux coupolettes dans l’axe, et divisée en un nombre variable de nefs (dix à la Qarawiyyīn de Fès*, ix-xiie s. ; dix-sept à la Kutubiyya de Marrakech*, xiie s. ; vingt-cinq à la Grande Mosquée de Sāmarrā, aujourd’hui ruinée), nefs perpendiculaires au mur du fond (mosquée ‘Amr du Caire, 827) ou parallèles à lui (mosquée d’Ibn Ṭūlūn au Caire, 876) [v. Égypte, art islamique]. Plus souvent, et indépendamment du modèle prédominant, l’ordonnance sera enrichie par l’introduction de travées plus larges, courant le long du mur principal, formant l’allée centrale ou constituant une sorte de narthex (Kairouan*, Fès, Marrakech). À la Grande Mosquée de Cordoue*, commencée en 785-86 et souvent agrandie, les colonnes des neuf nefs primitives reçurent sur le sommier de leurs chapiteaux des piles légères montant entre les extrados, manière élégante de surhausser l’édifice.

Si le type des mosquées dites « arabes » fut connu en Iran* (la mosquée de Dāmrhān, au viiie s., le prouve), l’intervention de la coupole et de l’iwān le transforma rapidement. L’iwān, sans doute inventé par les Parthes, est une salle à haute voûte en berceau qui s’ouvre de toute sa hauteur et de toute sa largeur sur un côté. Peut-être parce qu’il avait servi d’abord d’oratoire, il fut très tôt introduit, à la place de la travée médiane, sur la façade des mosquées, dont il rompit l’ordonnance ; plus tard, il fut placé, et resta, sur les quatre côtés de la cour. À l’époque seldjoukide, derrière l’iwān du sanctuaire fut aménagée une vaste salle sous coupole : aux lignes horizontales de la mosquée succèdent maintenant des lignes verticales (mosquée du Vendredi, xie s. et suivants, mosquée du Chāh, xviie s., à Ispahan*). Leur succès fut considérable, et le plan cruciforme à quatre iwāns parvint jusqu’en Égypte, où il continua sa carrière non sans modifications. En Anatolie, par contre, il fut rapidement abandonné. La partie antérieure de l’édifice devint un narthex ; les trois iwāns des trois autres bras de la croix furent remplacés par des coupoles, et la cour centrale elle-même, par suite des rigueurs du climat, se couvrit d’une coupole. De gros murs les soutinrent et firent du sanctuaire une juxtaposition de salles séparées (mosquée Verte de Brousse*, 1424). Cette transformation rapprocha le type « iranien » du type « arabe », qui avait aussi évolué sous les Seldjoukides : les nefs étaient devenues moins nombreuses, mais plus larges et couvertes de dômes (Vieille Mosquée d’Andrinople, 1403 ; Grande Mosquée de Brousse, xive-xve s.). La combinaison des deux types et l’influence de Sainte-Sophie de Constantinople permirent aux architectes de revenir à des édifices mieux appropriés au culte, en élargissant la coupole de la salle médiane et en remplaçant celles des salles latérales par des demi-coupoles la contre-butant (mosquée Selimiye d’Andrinople, 1569-1575 ; mosquée Süleymaniye, 1550-1557, et mosquée de Sultan Ahmed, 1616, à Istanbul*).