Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Morte (manuscrits de la mer) (suite)

La journée commençait par une prière vers le soleil ; après le travail de la matinée, chacun se purifiait par un bain rituel, endossait un vêtement spécial et participait à un repas extrêmement frugal, précédé et suivi d’une prière ; un tiers de chaque nuit était encore consacré à la prière ou à la lecture. Un règlement très précis prévoyait de sévères punitions pour le mensonge, la colère, la négligence, la grossièreté, etc. Une véritable obsession des impuretés légales amenait chacun à se maintenir en permanence dans l’état de pureté que la loi juive exigeait pour le grand prêtre officiant au Temple, aussi les interdits alimentaires étaient particulièrement stricts et le moindre contact avec des étrangers, soigneusement évité. De même, le repos du sabbat était observé avec une telle rigueur qu’il n’était pas même permis de faire ses besoins naturels ce jour-là. Chaque année on établissait l’ordre hiérarchique des membres et chacun devait obéir à tous ceux qui avaient préséance sur lui ; les chefs élus par la communauté restaient soumis à l’autorité des « prêtres, fils de Sadoc ».

En voyage, on n’emportait avec soi qu’un bâton et l’on était reçu gracieusement par les confrères répartis dans toute la Palestine, au nombre d’environ 4 000. Le divorce et la polygamie, pourtant admis par la loi juive, étaient prohibés ; bien que le mariage ne soit pas interdit, il semble avoir été assez peu pratiqué, et alors les relations conjugales étaient réduites au minimum indispensable pour la transmission de la vie. En temps normal, on s’abstenait de fabriquer ou de posséder des armes, mais cependant on prévoyait, à la date voulue par Dieu, une guerre de 40 ans qui devait exterminer tous les païens et tous les juifs réfractaires. Les incorrigibles, exclus de la communauté, restaient soumis à de tels interdits alimentaires qu’ils étaient souvent réduits à mourir de faim ou à solliciter leur réintégration.

L’idéal de cette communauté est fort bien exprimé par les premières lignes de la Règle : « [Leur but est] de chercher Dieu de tout [leur] cœur et de toute [leur] âme, de faire ce [qui est] bien et juste devant sa face, selon ce qu’il a prescrit par l’intermédiaire de Moïse et de tous ses serviteurs les prophètes ; d’aimer tout ce qu’il a choisi et de haïr tout ce qu’il a rejeté ; de s’abstenir de tout mal et de poursuivre toutes bonnes œuvres ; d’accomplir la fidélité, la justice et le droit dans le pays ; de ne plus marcher dans l’obstination d’un cœur coupable et d’yeux débauchés ; [...] d’aimer tous les fils de lumière, chacun selon son sort dans le dessein de Dieu, et de haïr tous les fils de ténèbres, chacun selon sa culpabilité dans la vengeance de Dieu » (traduction P. Guilbert).


Sa pensée

Trop de documents sont encore inédits ou insuffisamment étudiés faute de temps ou de moyens pour qu’on puisse hasarder une vraie synthèse théologique de la pensée qumranienne. Disons que celle-ci semble avoir été dominée par un extrême souci de fidélité : fidélité aux grands prêtres légitimes de la famille de Sadoc et opposition aux grands prêtres intrus de la dynastie maccabéenne ; fidélité au calendrier biblique traditionnel et refus du calendrier lunaire imposé par les envahisseurs syriens ; fidélité à la loi de Moïse, comprise de la façon la plus stricte, et désaveu de tous les accommodements introduits par la jurisprudence des pharisiens ; fidélité aux oracles des prophètes, interprétés selon une exégèse très allégorique et appliqués aux réalités historiques du présent ; fidélité à une alliance qui n’inclut que les seuls membres de la communauté et qui amène à considérer tous les païens et tous les autres juifs comme des pécheurs dont il faut absolument débarrasser la terre ; fidélité à un Dieu dont la gloire est chantée avec une intense ferveur et dont la volonté s’impose de telle façon que la liberté humaine semble à peu près supprimée.

Mais toutes ces fidélités ne sont pas toujours faciles à concilier : la fidélité aux pontifes descendants de Sadoc et au calendrier solaire oblige, en fait, à se couper temporairement du culte officiel du Temple, pourtant prescrit par la Loi. Parfois aussi certaines croyances, comme celle aux anges et aux démons, sont davantage mises en relief que dans la pensée biblique traditionnelle.

Bien entendu, les gens de Qumrān, comme tous les juifs de cette époque, attendaient un salut messianique qui devait les libérer de la domination étrangère. Mais leur désir d’assurer en tout la supériorité du sacerdotal sur le politique leur fit espérer deux « messies », ou plutôt deux « consacrés » (en hébreu mashiah signifie « consacré ») : le grand prêtre, fils de Sadoc, et le chef militaire et politique, fils de David ; et toujours le « Consacré d’Israël » (le prince de la Congrégation) est subordonné au « Consacré d’Aaron » (le grand prêtre). D’ailleurs, les écrits de Qumrān parlent relativement peu de ces messies ; ils s’intéressent surtout à ce qui doit être leur œuvre essentielle : la guerre de libération.


Qumrān et la Bible

Les écrits de la mer Morte nous permettent de mieux connaître le texte original sémitique de certains livres bibliques : il en est ainsi, par exemple, du Livre de Tobie et de l’Ecclésiastique. Mais surtout, les multiples manuscrits bibliques retrouvés facilitent une véritable critique textuelle de l’Ancien Testament. Lorsqu’ils fournissent un texte identique à l’habituel texte massorétique, ils confirment l’ancienneté et la valeur de ce texte ; lorsqu’ils contiennent des variantes en accord avec les anciennes versions, surtout la Septante (en grec) ou la Peshitto (en syriaque), ils permettent de vérifier la valeur de ces versions ; même lorsqu’ils attestent des formes nouvelles, ils peuvent être un fidèle reflet de l’original. En toute hypothèse, ces manuscrits, qui sont de presque un millénaire antérieurs à nos autres manuscrits bibliques, aideront grandement les spécialistes à progresser vers des textes beaucoup plus proches des originaux. De même, la grammaire et le dictionnaire hébraïques profiteront sur plusieurs points des témoignages apportés par des manuscrits aussi anciens et qui n’ont pas été retouchés au cours des âges. En outre, nous serons, grâce à eux, mieux renseignés sur les anciennes interprétations de certains passages.