Monet (Claude) (suite)
Pour lutter contre la réticence des jurys du Salon officiel et tenter de forcer l’attention du public, Monet s’attache à promouvoir, avec Renoir et Degas, l’idée d’expositions collectives lancée par Bazille. Il souffrira plus que tout autre des rires absurdes et des critiques incompréhensives du public devant les nombreux tableaux dont il lui offre la primeur : cinq en 1874, dix-huit en 1876, trente en 1877, vingt-neuf en 1879, puis encore trente-neuf à la septième et avant-dernière manifestation du groupe en 1882.
L’année 1880 marque un tournant dans sa carrière ; des marchands autres que Durand-Ruel commencent à s’intéresser à lui et, suivant l’exemple de Renoir, il tente de nouveau sa chance au Salon. La même année, sa première exposition personnelle se tient à la galerie de la Vie moderne, fondée par l’éditeur Georges Charpentier et dirigée par Edmond Renoir. Commentant pour les journalistes son attitude vis-à-vis de ses anciens camarades et des nouveaux participants à leurs manifestations (Gauguin, Raffaëlli, etc.), il s’écrie : « Je suis toujours et je veux toujours être impressionniste, mais la petite église est devenue aujourd’hui une école banale qui ouvre ses portes au premier barbouilleur venu. »
Une rétrospective de son œuvre chez Georges Petit (1889) montre la progression et l’unité de son art. Le frémissement des touches en virgules, l’intensité lumineuse, la schématisation des tableaux d’Argenteuil (1872-1878), parfois peints dans un bateau-atelier aménagé à l’instar de celui de Daubigny, vont de pair avec des recherches de composition (les Déchargeurs de charbon) inspirées des estampes japonaises. Monet doit également à celles-ci son goût des « séries », inaugurées à la fin de cette période par les différentes Gare Saint-Lazare (hiver 1876-77).
À Vétheuil (1878-1881), où lui permet de s’installer la générosité de Manet et du docteur de Bellio (un de ses premiers amateurs avec Victor Chocquet et Gustave Caillebotte), Monet poursuit dans son travail de plein air les effets les plus éphémères du givre et des débâcles de glace sur la Seine. Il recherche encore leurs beautés fugaces après son installation à Giverny avec celle qui deviendra en 1892 sa seconde épouse, Alice Hoschedé, ex-femme de l’un des premiers acheteurs. Les séries célèbres, Meules (1890-91), Peupliers au bord de l’Epte (1891-92), Cathédrale de Rouen (1892-93), Nymphéas (1899-1926), répondent au désir toujours renouvelé de retenir l’instant.
À partir de 1886, un succès grandissant auréole cet artiste auparavant si décrié et que soutiennent ardemment O. Mirbeau, Gustave Geffroy, Oscar Maus, G. Clemenceau ; grâce à ce dernier, deux salles seront créées à l’Orangerie pour les Nymphéas, dépassement du monde sensible et décor presque abstrait, inspiré du jardin de Giverny, dont les variations florales sont la passion de Monet.
Le succès n’accompagne pas cependant l’extrême vieillesse du peintre, car les générations nouvelles n’ont d’intérêt que pour la géométrie des formes révélée par Cézanne. Trente ans après sa mort, une nouvelle évolution du goût a remis à son rang l’art de Monet, doublement précieux par ses prémices au fauvisme (éclat sans rival des vues de Bordighera, 1884) et à l’abstraction (dont Kandinsky* a eu la révélation devant une de ses Meules), mais qui reste surtout l’incarnation absolue de l’impressionnisme dans cette évolution conduite du réalisme frémissant des Femmes au jardin à l’espace bidimensionnel des Nymphéas, en passant par les vibrations colorées des vues d’Antibes, à propos desquelles Mallarmé* lui écrivait : « Il y a longtemps que je mets ce que vous faites au-dessus de tout. »
S. M.
G. Geffroy, Claude Monet (Crès, 1922). / G. Clemenceau, Claude Monet, les Nymphéas (Plon, 1928 ; nouv. éd. La Palatine, Genève, 1965). / G. Grappe, Monet (Plon, 1940). / M. Malingue, Claude Monet (les Documents d’Art, Monaco, 1944). / L. Degand et D. Rouart, Monet (Skira, Genève, 1958). / J. Leymarie, Monet (Hazan, 1965, 2 vol.). / D. Wildenstein, Claude Monet. Biographie et catalogue raisonné, tome 1, 1840-1881 (Bibliothèque des Arts, 1974).