Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mondrian (Piet) (suite)

De retour à Amsterdam pendant toute la durée de la guerre, il poursuit la série des plus-minus et peint également des toiles où sont disposés des carrés et des rectangles colorés. Dès 1918, les formes géométriques occupent la totalité de la surface et sont délimitées par un cerne gris. Mondrian opte ainsi pour une composition qui va caractériser le reste de son œuvre. De 1919 datent les premiers tableaux « losangiques » (carré présenté sur la pointe). C’est au début de ce séjour en Hollande que l’artiste fait la connaissance de Theo Van Doesburg (1883-1931). De leur rencontre naît le groupe De Stijl*, qui donnera lieu jusqu’en 1927 à de nombreuses publications sur l’art abstrait. Les articles de Mondrian, publiés de 1917 à 1922, constituent l’élément théorique principal de la revue du groupe, en particulier Réalité naturelle et réalité abstraite. Comprenant de nombreux artistes, De Stijl joue dans l’entre-deux-guerres un rôle fondamental tant dans le domaine des arts plastiques que dans l’architecture.

En 1919, l’artiste revient à Paris, où il reste jusqu’en 1938. Il sera désormais fidèle aux principes définis dans la brochure le néo-plasticisme (1920) : emploi exclusif de lignes droites se coupant à angle droit ; gamme limitée aux couleurs primaires (rouge, jaune et bleu) et aux non-couleurs (blanc et noir) ; exclusion de la symétrie et composition fondée sur l’équilibre des rapports. De plus, il élimine la diagonale à l’intérieur du tableau, ce qui provoquera sa rupture avec Van Doesburg et le groupe De Stijl en 1925. En 1931, il adhère à Abstraction-Création, qui va regrouper la plupart des artistes abstraits des années 30. Auparavant, il avait été parmi les initiateurs du groupe Cercle et Carré avec son ami et biographe Michel Seuphor (né en 1901). C’est également en 1931 — alors que sa peinture a de plus en plus tendance à privilégier les rectangles blancs (non-couleur) et à rejeter les petits rectangles de couleur aux bords de la toile — qu’il réalise pour la première fois une œuvre simplement composée de deux lignes noires sur fond blanc. L’année suivante, il introduit le principe de la ligne dédoublée, c’est-à-dire de deux lignes parallèles très rapprochées. La couleur est de nouveau présente, mais réduite le plus souvent à un ou deux petits rectangles colorés aux bords du cadre. Comme on le voit, durant cette seconde période parisienne, l’art de Mondrian ne cesse d’évoluer, même s’il ne s’agit pas de transformations aussi radicales que celles des années 1910-1915.

En 1938, après avoir publié de nouveau un texte très important intitulé Plastic Art and Pure Plastic Art, le peintre quitte la France, où la guerre menace de plus en plus, pour s’installer à Londres, puis, à partir de 1940, à New York, où il habitera jusqu’à sa mort. Il a près de soixante-dix ans lorsqu’il bouleverse les données de son art et abandonne le croisement rectangulaire de lignes noires qui avait caractérisé ses toiles pendant vingt ans. Parallèlement, il donne de nouveau des titres à ses compositions et intitule ses dernières toiles New York City (1941-42, coll. priv.), Broadway Boogie Woogie (1942-43, New York, Museum of Modern Art). Emporté par une pneumonie, il laisse inachevé son Victory Boogie Woogie (États-Unis, coll. priv.), où les lignes verticales et horizontales sont constituées de petits carrés et rectangles de couleur en alignement et où la composition devient beaucoup plus complexe, quoique fidèle aux principes généraux du néo-plasticisme.

Peintre et théoricien de l’art abstrait, Mondrian a joué un rôle fondamental dans l’art du xxe s., car son œuvre illustre parfaitement le passage des formes représentatives aux formes abstraites à travers le stade intermédiaire de la décomposition formelle (cubisme). Abstrait parmi les tout premiers, il a ouvert la voie à un art géométrique qui exclut le lyrisme, cherchant au contraire à codifier la peinture en des lois rigoureuses, pour aboutir à un langage pictural qu’il voulait universel. Selon lui, l’art abstrait ne renie pas la nature, mais en implique une nouvelle vision qui permet de découvrir l’angle droit dans un paysage où l’horizon figure l’horizontale et la ligne imaginaire qui va de la lune à l’horizon, la verticale. Mais cette interprétation — de même que celle qui consiste à rechercher les relations entre la mystique théosophique de l’artiste et sa peinture — relève plus de l’anecdote que de considérations proprement plastiques. Plus importante, semble-t-il, est la leçon que Mondrian tire du cubisme et la manière dont il s’en écarte petit à petit, en abandonnant toute référence figurative et en ramenant le tableau à l’espace du plan sans représenter de volumes. L’art néo-plastique invente avant tout un nouvel espace pictural où les formes tendent vers l’extérieur de la toile, où le cadre qui enferme la peinture est perpétuellement remis en cause.

L’artiste insiste dans tous ses écrits sur la notion de rapports qui détermine la structure picturale. Toute composante de l’œuvre d’art doit se situer à l’intérieur de rapports équilibrés, car « chaque partie reçoit sa valeur visuelle du tout, et le tout la reçoit des parties. Tout se compose par relation et réciprocité. La couleur n’existe que par l’autre couleur [...] ». Mais il ne suffit pas d’un équilibre entre les rapports de position (l’angle droit), il faut aussi que ces rapports s’accordent eux-mêmes avec les rapports de proportions et de couleurs. Cette conception de la peinture régie par des lois structurelles clairement énoncées constitue l’un des points fondamentalement nouveaux de l’art de Mondrian, même si ces lois restent proprement picturales et non pas mathématiques, comme on pourrait avoir tendance à le croire. La recherche de rapports équilibrés reste une démarche de peintre.

Enfin, le devenir du néo-plasticisme, l’impact qu’il a pu avoir sur notre environnement méritent d’être soulignés. On ne compte plus aujourd’hui les peintres abstraits ayant opté pour la géométrie et qui dérivent tous, de près ou de loin, de Mondrian. Mais plus importante encore est la présence de la structure formelle pour laquelle Mondrian avait opté dans notre environnement quotidien. Il avait pressenti qu’il créait un art nouveau pour un monde nouveau. Plusieurs architectes, par exemple, participaient à la revue De Stijl et leur théorie était fondée sur une structure équivalant à celle des toiles de Mondrian. L’importance que ce dernier accorde très tôt à l’architecture, à l’espace de la chambre, où les meubles doivent être répartis selon la théorie des rapports équilibrés, vient confirmer la parfaite conscience qu’il avait de la portée de son œuvre.

A. P.

➙ Abstraction / Stijl (De).