Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Moi (le)

Un des aspects de la personnalité psychique, particulièrement étudié par S. Freud.



Introduction

C’est par la découverte de l’inconscient que Freud inaugure la psychanalyse : le champ de la conscience, auparavant dominant, voire exclusif, se trouve réduit à une émergence, causée totalement par une instance qui la traverse. Par là, Freud renverse la métaphysique du sujet telle que Descartes en donne un modèle exemplaire. Centrée sur une instance pensante capable d’une autonomie relative, cette métaphysique écarte de son champ les sphères de l’hétéronomie : rêve, folie, tout ce que Freud désigne par l’« autre scène ». Succédant au clivage entre conscient et inconscient, la seconde topique construite par Freud partage la personnalité psychique en trois instances : le Ça, équivalent de l’inconscient, le Surmoi et le Moi. En ce point, les rapports du sujet au monde qui l’entoure se compliquent : le Moi, philosophiquement défini comme une réalité invariable, support des modifications intérieures et extérieures, demeure dans la conception freudienne une certaine permanence et un certain support ; il acquiert, du fait qu’il est inséré dans un système dont l’inconscient est la cause, une fonction médiatrice : entre les instances de la personnalité, entre le sujet et le monde, entre l’individu et son groupe. C’est aussi pourquoi l’histoire de la psychanalyse pivote autour de la notion du Moi : selon qu’on attribue à la cure une fonction de renforcement du Moi ou qu’on cherche à dégager une éthique différente, le Moi sera ou non le fondement de la doctrine analytique.


Le Moi, médiateur et missionnaire

Dès l’origine de la psychanalyse, avec les études sur l’hystérie, Freud, complétant les commentaires de P. Janet sur le « rétrécissement du champ de conscience », emploie le terme de Moi pour en faire une fonction de défense au milieu d’un conflit. Cependant, c’est seulement vers 1914-15 que se constitue le domaine propre du Moi : le narcissisme, l’identification et les émergences normatives (idéal du Moi, Moi idéal, Surmoi). Narcissisme et identification font surgir l’image du miroir : cet amour que le sujet se porte à lui-même, cette identité fictive introduisent dans le champ du Moi l’Autre, qui sert de référence obligée. Car, de médiation intermédiaire entre les pôles d’un conflit, le Moi devient résultat de la confrontation avec l’Autre, qui se fait dès l’origine, au sein de la famille, dans le miroir. En 1920, enfin, Freud passe à la seconde topique, la plus connue, dans sa formulation triadique : le Ça, réservoir de pulsions, le Surmoi, système de lois et de prescriptions, et le Moi, instance défensive, mais aussi régulatrice des rapports au monde. Les clivages entre conscient et inconscient ne disparaissent pas pour autant : ils traversent la seconde topique ; ainsi, le Moi est conscient et inconscient. C’est en quoi il sert d’axe moteur à toute intervention analytique.

Mais la conception thérapeutique, éthique et psychologique qui en découle modifie l’allure de la psychologie classique ; en effet, le Moi n’a plus rien du responsable autonome, mais il est l’objet de toutes les modifications. « Un adage nous déconseille de servir deux maîtres à la fois. Pour le pauvre Moi, la chose est bien pire : il a à servir trois maîtres sévères et s’efforce de mettre de l’harmonie dans leurs exigences. Celles-ci sont toujours contradictoires, et il paraît souvent impossible de les concilier ; rien d’étonnant, dès lors, à ce que souvent le Moi échoue dans sa mission. Les trois despotes sont le monde extérieur, le Surmoi et le Ça » (Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, 1932). La complexité du Moi vient donc tout autant de ses rapports avec les deux autres instances du système psychique que du rapport qu’il est seul à entretenir avec le monde extérieur. Il faut ici se souvenir de l’appareil psychique élaboré par Freud dès avant la Science des rêves (1900), système dans lequel l’énergie psychique circule entre perception et motricité ; de la même façon, le Moi est directement lié à la perception et commande les « avenues de la mobilité », c’est-à-dire la réaction motrice : « [...] le Moi est une partie du Ça ayant subi des modifications sous l’influence directe du monde extérieur et par l’intermédiaire de la conscience-perception » (« le Moi et le Soi », 1923). C’est pourquoi Freud insiste sur son aspect superficiel : barrière de protection entre le sujet et le réel, le Moi constitue une sorte de filtre entre l’intérieur (Ça, Surmoi) et l’extérieur.


Angoisse et défense

On peut définir la relation au monde extérieur comme relation d’objet : soit que l’objet soit le but de la pulsion, soit qu’il soit objet d’amour ou de haine, il implique une orientation du sujet vers l’extérieur. Le Moi est l’agent de cette orientation ; lorsque l’objet, pour quelque raison, prend trop de place, le Moi déclenche une réaction d’angoisse, qui protège le sujet comme un signal : « Le Moi peut être considéré comme un véritable réservoir d’angoisse. Menacé par trois dangers, il développe en lui le réflexe de la fuite, à la faveur duquel il retire son attachement érotique à la perception grosse de menaces ou au processus qui, s’accomplissant dans le Ça, présente à ses yeux le même caractère pour l’exprimer sous la forme de l’angoisse » (« le Moi et le Soi », 1923). L’exemple limite de cette situation de réponse au danger se montre dans le deuil et la mélancolie : le Moi est écrasé par l’objet d’amour perdu jusqu’à ce que, travaillant le rapport au réel, il rétablisse l’équilibre, « apaisant », dit Freud, les conflits du Ça avec la réalité. C’est en s’appuyant sur la structure du Moi et sur les fonctions que Freud lui attribue que l’« ego-psychology » a orienté la psychanalyse freudienne vers une psychologie de rééducation, d’apprentissage, de recyclage d’adaptation. H. Hartmann surtout, mais aussi la fille de Freud, Anna, distinguent un Moi conflictuel, conforme aux descriptions freudiennes, et un Moi non conflictuel, organe de contrôle, à qui la pratique analytique aurait pour but de confier la domination. L’analyste doit constituer pour l’analysé une figure assez forte pour qu’il puisse s’y identifier, faisant ainsi l’acquisition d’un Moi fort à toute épreuve. Toute l’acuité critique que peut contenir la théorie psychanalytique s’engouffre dans ce tournant idéologique, car la cure analytique n’a plus dès lors comme fonction que de réintégrer le déviant, exclu de son groupe culturel et social par la maladie ou la délinquance.