Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mode (suite)

Aujourd’hui, l’aristocratie et la haute bourgeoisie continuent d’exercer un pouvoir de fascination sur les classes moins fortunées : il suffit, pour s’en persuader, de voir le succès d’une certaine presse consacrée aux grands noms du Gotha. Quelques-unes de ces personnalités de haut rang ont pu se permettre d’ignorer la mode : la duchesse de Windsor n’a pas changé le style de sa coiffure depuis bien des années. Le même phénomène d’élégance absolue explique les caractéristiques intangibles de la Rolls-Royce. R. König donne de ce conservatisme voulu une explication plus poussée : « Peut-être peut-on même se risquer à affirmer que les couches les plus riches s’efforcent de ne pas se faire remarquer [...]. Inversement les groupes moyens sont de nos jours particulièrement sensibles à la mode. » Ainsi, il semble aujourd’hui que, par le phénomène de la démocratisation de la mode, ce soient les classes moyennes, conditionnées par les mass media, qui en assurent la propagation.

Langage sexuel de tous les temps, l’habillement a suivi dans ses variations érotiques celles de la notion de pudeur. Pendant des siècles, jupes et jupons ont dissimulé les jambes, ce qui a valu au buste d’être mis en valeur ; et, inversement, lorsqu’on a découvert les jambes, le buste a perdu de son attrait. Le caractère érotique de la mode féminine dépend étroitement de la place occupée par la femme dans la société : pratiquement jusqu’à nos jours, le port du pantalon par la femme a été considéré dans notre type de société comme la pire des impudences. L’émancipation féminine — bien que relative — a cependant eu des répercussions au niveau de la mode : libre de ses actes, la femme est devenue libre d’adopter le pantalon et — ce qui ne s’exclut pas — d’accentuer le caractère sexuel son habillement. Pantalon et minijupe feront date dans l’histoire de la mode comme spécifiques de notre époque sur ce point.

L’évolution de l’idéal esthétique féminin souligne les affinités entre l’art et la mode : la ligne en volute de la silhouette 1900 s’accorde avec les arabesques de l’Art nouveau, la ligne droite de la silhouette des années 20 avec le dépouillement de « l’Art déco », et la ligne nette de la silhouette campée par A. Courrèges avec, les arêtes vives de notre architecture. Autrement dit, un style baroque a toujours coïncidé avec une mode surchargée, et un style « classique » avec une mode stricte.

La mode est aussi en accord avec le type de vie d’une société donnée : aujourd’hui, l’habit de cérémonie n’est plus une pièce maîtresse de la garde-robe, car détente et loisirs ont pris le pas sur les mondanités soigneusement codifiées d’avant guerre : de là vient l’essor du « homewear », qui s’inspire beaucoup du style de la rue (hippie, cow-boy, etc.) ; on reçoit dans la simplicité et le confort, et un style décontracté a fait tache d’huile au point de marquer toute la mode (v. habillement).

Enfin, l’actualité engendre sinon toujours des modes, du moins des sous-modes : béret à la Bonnie and Clyde, mèche à la Veronica Lake dans Ma femme est une sorcière, robe à carreaux de Brigitte Bardot, etc. De durée souvent très éphémère, elles ne concernent parfois que des groupes sociaux particuliers : certains gadgets ne touchent, par exemple, que la jeunesse, comme la toque de fourrure inspirée de celle de Davy Crockett.

Expression de l’actualité, la mode est aussi communication politique. Le déguisement composite des hippies n’est qu’un exemple, parmi beaucoup d’autres, pour traduire ainsi l’appartenance à une idéologie politique : les éléments folkloriques qu’ils empruntent aux pays du tiers monde et le laisser-aller systématique de leur tenue ont pour objet de remettre en cause l’ordre bourgeois. Autre forme de provocation : l’appropriation par certains jeunes d’emblèmes religieux, qui peut signifier aussi bien le refus violent de la religion que le désir d’en voir disparaître des formes sclérosées, tout en en préservant l’esprit. La barbe et les cheveux, suivant leur coupe, ont servi de signe de ralliement à la droite comme à la gauche. Au xixe s., les féministes revendiqueront le droit pour la femme au port du pantalon — toujours interdit d’ailleurs par une loi jamais abrogée ! —, car elles y voyaient une concrétisation de leur désir d’égalité entre les sexes.

Enfin, les grands bouleversements politiques ont presque toujours engendré des bouleversements dans la mode : ainsi, la silhouette masculine moderne — pantalons longs et couleur sombre — est née au lendemain de la Révolution de 1789 sous l’influence du style britannique, et la silhouette féminine moderne — robe courte, taille souple — est issue de la Première Guerre mondiale.


La mode : une source de revenus

« Riches ne vous contentez pas de regarder les objets précieux, utiles ou élégants étalés sur votre passage, achetez-les car ils donnent à l’industrie des sommes énormes et du travail à de nombreuses ouvrières. » Cet appel de la saint-simonienne Zelima Martinot, paru dans la Voix des femmes en avril 1848, prouve, s’il en était besoin, les liens étroits de la mode et de l’économie. Expansion ou marasme dans cette branche se répercutaient immédiatement au niveau de la vie des travailleurs — et plus particulièrement des travailleuses. En effet, à la suite de la compression des salaires au xixe s., entraînée par l’avènement du machinisme, on faisait de plus en plus appel à une main-d’œuvre féminine sous-payée. En 1847-48, la moitié environ des femmes recensées comme travaillant à Paris appartenaient à l’industrie du vêtement ou à l’industrie textile (statistiques de l’industrie de Paris, 1851). L’insécurité de l’emploi s’aggravait de l’insécurité des modes : en 1839, la vogue de l’étamine de laine provoqua du chômage dans l’industrie cotonnière ; un siècle plus tard, un changement de goût allait entraîner la fermeture d’ateliers de broderie dans les maisons de couture. On ne peut négliger les incidences de la vie mondaine sur le développement d’une mode destinée à la classe des privilégiés : les fêtes brillantes données à la cour du second Empire stimulèrent l’esprit de création et firent affluer les commandes de la part d’une clientèle avide de paraître.