Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mobilité sociale (suite)

Le passage lui-même du travail rural au travail urbain entraîne une cascade de ruptures dangereuses pour l’équilibre personnel et social : coupures entre travail et loisir, entre l’année de travail et les vacances, entre vie privée et massification sans véritable vie sociale. D’autres coupures, comme celle entre générations et celle entre périodes de vie active et autres périodes (école, université, retraite, accouchement et cessation de travail temporaire pour l’éducation des enfants), suscitent aussi de graves problèmes socio-politiques, peut-être aussi importants que ceux qui découlent des facteurs d’immobilité professionnelle : avantages à l’ancienneté, fixation du personnel qualifié par pression morale, hyperspécialisation opposée au projet individuel de changement d’emploi, freinages au turn-over et à la promotion provenant des structures de l’atelier et du bureau, non-indemnisation des coûts du changement, bagage figé transmis par le système éducatif...

Cinq grandes variables, à savoir le produit national brut, la scolarisation, la stabilité politique, l’urbanisation et la poursuite de la réussite, expliquent dans une large mesure les différences de mobilité entre douze pays : États-Unis, Allemagne occidentale, Japon notamment, où T. Fox et S. M. Miller ont analysé en 1965 les changements professionnels entre les générations à partir de la migration des professions manuelles vers les professions non manuelles. La complexité du réseau de variables intervenant dans la mobilité suggère que la mobilité elle-même doit être replacée dans le dynamisme d’ensemble de la société et retentit autant sur les structures du pouvoir que sur les changements socio-culturels.


Erreurs et insuffisances de quelques conceptions

L’étude de la mobilité sociale n’est pas exempte initialement d’un infléchissement idéologique, en ce qu’elle vise à démontrer l’égalité des chances d’ascension sociale dans les sociétés occidentales et la suppression des conflits de classe grâce à l’osmose entre les niveaux de la stratification. Cependant, les recherches de N. Rogoff ont démontré avec rigueur que, contrairement à une opinion courante, la société américaine n’était ni plus ni moins ouverte en 1940 qu’en 1910. A. Girard a prouvé, à partir d’une enquête menée en juin et octobre 1962 par l’Institut national d’études démographiques, parue dans la revue Population en janvier-mars 1963, que les chances d’entrée en sixième sont, en France, les suivantes : ouvriers agricoles, 32 p. 100 ; ouvriers de l’industrie, 45 p. 100 ; cadres moyens, 84 p. 100 ; cadres supérieurs, 94 p. 100.

De leur côté, S. M. Lipset et R. Bendix ont dénoncé l’idée selon laquelle la mobilité est un phénomène entièrement sain, c’est-à-dire n’entraînant pour la société que des conséquences heureuses, et ont noté des dysfonctions du phénomène sur le plan individuel (psychose d’instabilité, réactions d’échec...) et sur le plan collectif (mouvements révolutionnaires des sociétés en voie de rapide industrialisation).

Si les intérêts, les valeurs et les besoins en tant que variables psychologiques jouent un rôle appréciable dans la mobilité, comme l’a montré McClelland en établissant son indicateur de N achievement, ils n’en sont pas les seuls agents, pas plus que les facteurs économiques, estimés par d’autres déterminants en première et en dernière instance.

Les explications économiques comme les explications psychologiques entrent seulement comme éléments, et leur fonctionnement est loin d’être simple dans une interprétation générale de la mobilité à partir de la structure sociale globale.

C. R.

➙ Classe sociale / Éducation / Élites / Emploi / Famille / Stratification sociale.

 P. A. Sorokin, Social Mobility (New York, 1927 ; nouv. éd., Social and Cultural Mobility, Glencoe, Illinois, 1959). / N. Rogoff, Recent Trends in Occupational Mobility (Glencoe, Illinois, 1953). / G. Carlsson, Social Mobility and Class Structure (Lund, 1958). / S. M. Lipset et R. Bendix, Social Mobility in Industrial Society (Berkeley, 1959). / A. Girard, la Réussite sociale en France, ses caractères, ses lois, ses effets (P. U. F., 1961). / E. Neymark, Mobilité sélective (en suédois, Stockholm, 1961). / R. Girod, Mobilité sociale, faits établis et problèmes ouverts (Droz, Genève, 1971). / P. Lévy-Leboyer, l’Ambition professionnelle et la mobilité sociale (P. U. F., 1971).

Mochica

Terme désignant une culture de l’Amérique* précolombienne qui s’est développée du iie au viiie s. de notre ère environ sur la frange du désert côtier de l’actuel Pérou comprise entre les vallées des ríos Casma, au sud, et Lambayeque, au nord.


On ignore comment se nommaient eux-mêmes les peuples en question, mochica étant seulement le nom d’une langue parlée par les habitants de la région à l’arrivée des Espagnols.

Actuellement, les spécialistes préfèrent user du terme de Moche, qui désigne la vallée où ont été retrouvés les vestiges les plus importants de cette culture. Là, au sud de Trujillo, se dressent les restes impressionnants d’une énorme pyramide à degrés, formée de dizaines de millions de briques crues entassées et que l’on considère comme le plus grand monument de ce genre jamais construit au monde. Appelé la huaca del Sol (Temple du Soleil), cet édifice était aux environs du viiie s. un des principaux lieux de culte du peuple mochica. Bien qu’aucun reste d’habitat important n’ait été découvert à proximité, non plus qu’autour des édifices similaires qui existent dans les autres vallées, la somme de temps et d’énergie nécessaires pour élever de semblables constructions, avec les moyens techniques rudimentaires dont disposaient alors les artisans, laisse supposer à la fois une population numériquement importante et l’existence d’un pouvoir central suffisamment fort pour rassembler sur un seul chantier des milliers d’ouvriers au service des dieux. Quelques centres urbains ont été découverts et étudiés, tel Pacatnamú, mais, dans l’ensemble, l’habitat était organisé en petits villages, aux maisons construites en matériaux fragiles (terre sèche et roseau), à proximité des centres cérémoniels ou des terrains de culture irrigués.

En fait, la culture Mochica nous est surtout connue grâce à son extraordinaire céramique. Les poteries mochica trouvées par milliers dans les nécropoles constituent un minutieux dictionnaire illustré de la vie quotidienne, des cérémonies et des combats, et, au travers des attitudes et des costumes, un reflet de l’organisation politique, sociale et religieuse.