Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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migration (suite)

Par-delà cette comptabilité marchande, finalement artificielle, c’est tout le problème des inégalités de développement économique qui se pose à travers les migrations internationales : inégalités et même contradictions entre pays. La nécessité d’une stratégie unifiée, mais polycentrique, du développement socio-économique se pose aujourd’hui d’une façon dramatique au niveau mondial.


L’exode rural

Par bien des aspects, l’exode rural se rapproche de l’immigration. L’échelle du mouvement diffère, interrégionale dans un cas, internationale dans l’autre. Le contexte reste le même : l’accumulation industrielle et l’urbanisation au niveau des pôles de croissance, véritable ville mondiale qui draine à elle les ressources et les hommes d’une campagne mondiale constituée par les régions désertées et les pays sous-développés dépendants. Fort ancien, le mouvement de l’exode rural s’est généralisé au xixe s. et a pris une ampleur suffisante pour provoquer un phénomène nouveau : la diminution de la population rurale.

Les causes de la migration restent économiques, qu’il s’agisse de mouvements entre régions ou entre nations. Chaque fois jouent les différences de salaires entre la ville et la campagne et, à un niveau socioculturel, l’attraction du mode de vie urbain dans l’esprit des jeunes ruraux. Ces mécanismes sont surdéterminés par la révolution des transports. La population migrante reste composée de jeunes en majorité ; la grande différence par rapport aux étrangers en France vient de l’importance des départs de femmes à l’intérieur de la migration des ruraux.

L’accélération récente de la migration des provinces françaises vers les grandes métropoles d’équilibre et vers le centre parisien crée de plus en plus un malaise profond quant aux finalités de ce processus. Quelles sont les tendances décelables en France ?


Le cas français (1945-1980)

L’urbanisation, définie comme l’augmentation de la part de la population vivant dans les villes, se distingue de la croissance urbaine, définie comme l’augmentation en valeur absolue de la population habitant dans les villes — un phénomène qui continuera d’exister même lorsque l’urbanisation (au sens relatif) se sera arrêtée. Tous les pays connaissent le processus d’urbanisation lorsqu’ils passent d’une société agraire à une société industrielle. En France, ce processus s’est déroulé à un rythme beaucoup plus lent que dans d’autres nations, car pendant fort longtemps la croissance démographique tout comme l’exode agricole y ont été moins accentués. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces deux causes de freinage de l’urbanisation ont disparu, puisque la population globale a augmenté de 10 millions d’habitants et que la population agricole a diminué à un rythme de l’ordre de 3 p. 100 par an. L’évolution des trois secteurs avec une projection pour 1980 donne une bonne approximation du mouvement.

La part décroissante de l’agriculture et de la population rurale, phénomènes distincts mais jusqu’à présent irréversibles, s’est accentuée avec les années. De plus en plus, il ne s’agit pas d’un simple transfert vers les usines. Les ruraux incorporés à l’industrie occupent avec les étrangers les postes inférieurs de la classe ouvrière et permettent aux nationaux déjà urbanisés d’accéder à une meilleure qualification, y compris en passant dans le secteur tertiaire. Toute la structure professionnelle se modifie — non sans heurts — dans le sens d’une promotion des habitants adaptés, après un certain séjour, aux zones urbaines.

L’utilisation de l’espace habité se bouleverse simultanément. La région parisienne reste un énorme pôle d’attraction, mais son emprise décroît légèrement en valeur relative. En dehors de l’agglomération parisienne, la progression ne s’est pas opérée dans les métropoles d’équilibre (de 1962 à 1968 aux derniers recensements), mais dans les villes de taille moyenne comprises entre 50 000 et 200 000 habitants.

Deux styles d’urbanisation paraissent se dessiner simultanément en France : dans la moitié ouest, on trouve l’armature urbaine classique où coexistent des villes d’importance différente assez distantes les unes des autres et où la distinction entre espace rural et espace urbain est nettement perceptible ; dans le Nord, l’Est et le Sud-Est prédominent des régions urbaines où cette séparation tend à s’effacer. La diversité Ouest-Est recouvre d’ailleurs une inégalité de développement socio-économique.


Le processus est-il irréversible ?

Prisonniers de leurs courbes et de leurs chiffres, les planificateurs sous-estiment l’aggravation actuelle des déséquilibres. Pour eux, les possibilités de progression restent grandes, car en 1968 le taux d’urbanisation de la France restait largement au-dessous des autres taux de l’Europe surdéveloppée. En fait, avec 66 p. 100 d’urbanisation, la France atteignait à peine le taux de la Grande-Bretagne en 1911. Ce n’est que vers 1980-1985 qu’elle parviendra à un taux supposé optimal de 75 à 80 p. 100. Cela représenterait 41 à 45 millions d’habitants sur un total de 55 à 56 millions. Mais que deviendront ces prévisions et perspectives si l’air devient entièrement irrespirable (comme dans les mégalopolis japonaises), si les taux de maladies psychosomatiques augmentent encore plus rapidement, si en un mot les coûts sociaux (y compris délinquance et déviances de toutes sortes) font plus que contrebalancer les avantages économiques de cette concentration humaine ? Les paysans, gardiens naturels de l’équilibre écologique, quittent la terre bon gré mal gré, et tout retour est exclu. C’est une différence essentielle avec l’immigration étrangère, qui en moyenne entraîne 3 à 5 ans de séjour en France et qui suppose la volonté de revenir au pays d’origine. Dans le cas de l’exode rural, l’individu ne revient pas sur sa terre. Précisément, la récente émergence d’une conscience écologique ne s’exprime pas en termes passéistes de retour à la terre. Elle dénonce la finalité exclusivement économique des objectifs sociaux actuels. Et le prix humain du boom japonais, de la réussite américaine ou de l’« expansion » en France apparaît exorbitant si la qualité de la vie se détériore au point que nous connaissons actuellement. D’ailleurs, les mises en garde de nombreux scientifiques sur les risques sérieux de ruptures écologiques font écho à l’inquiétude croissante des populations des pays avancés.