Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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migration (suite)

Un autre chapitre de la pathologie concerne la criminalité. L’étude des chiffres fait là aussi éclater les préjugés. Vols, crimes ou attentats à la pudeur se répartissent de la même façon entre Français et immigrés, à la lecture des statistiques publiées. Par contre, prisons et tribunaux font parfois preuve d’une sévérité spéciale pour les étrangers, a priori suspects aux yeux d’une fraction de l’opinion.


Politique de l’immigration

Trois politiques se sont succédé en France depuis 1945.

• Le cadre théorique de 1945. La création de l’Office national d’immigration (O. N. I.) constitue une véritable charte des étrangers. Trois documents essentiels étaient prévus : le contrat de travail préalable, le certificat médical validé par l’Administration et la carte de séjour. Ces mesures devaient assurer un équilibre du marché de l’emploi, une sécurité pour le migrant et un contrôle sur le plan sanitaire. La politique inaugurée en 1945 avait le mérite d’aborder le problème démographique de front. En effet, les cartes de séjour étaient prévues pour les étrangers résidents temporaires, pour les étrangers résidents ordinaires et enfin pour les étrangers privilégiés. Ce dernier statut permit effectivement une assimilation graduelle, avec naturalisation des enfants, donc un apport démographique précieux après des années de malthusianisme en France.

Pendant quelques années, l’O. N. I. remplit sa mission : il recrutait, à l’exclusion de tout organisme privé, les futurs travailleurs grâce à des missions opérant à l’étranger ou par les consulats de France. Véritable intermédiaire entre l’immigré et l’employeur (qui devait payer 150 à 250 F à l’O. N. I. par travailleur introduit), l’O. N. I. garantissait une situation tolérable, d’autant que les naturalisations, la venue des familles et les mariages entre Français(es) et étrangers (étrangères) étaient facilités par la loi de 1945.

• L’immigration clandestine. On constate que progressivement la pratique s’écarte du cadre législatif. Un nombre croissant d’immigrés s’introduisent avec un simple visa de touriste sans passer par l’O. N. I. Ils font ensuite régulariser leur situation en France. Le phénomène des régularisations, exceptionnel au départ, s’aggrave dans les années 1960 jusqu’à atteindre 80 p. 100 des cas en 1967 ! L’effritement de tout contrôle sérieux permet une fluidité extraordinaire du marché de l’emploi dans ces années d’expansion. Mais la situation sociale des migrants se détériore. Ce sont les années 1960 qui voient la multiplication des bidonvilles et l’amplification du racisme. En officialisant, pourrait-on dire, l’immigration clandestine, l’État prend alors la responsabilité de l’aggravation des aspects pathologiques du phénomène.

• Réorientation de la politique d’immigration depuis 1968. Depuis quelques années, la rupture de Mai 1968 et une prise de conscience du scandale de la clandestinité ont amené des réactions dans les syndicats, le patronat et l’État. La reprise en main par les pouvoirs publics est d’abord restée très timide : les bidonvilles rasés, des microbidonvilles leur ont bientôt succédé. Des cités de transit ont été créées pour éponger le surnombre des arrivées par rapport aux structures d’accueil. Mais elles ont aggravé à leur tour la ségrégation immigrés-Français en interdisant au migrant tout contact avec l’extérieur.

Le contrôle médical s’est amélioré effectivement par endroits, mais l’état sanitaire général des immigrés reste médiocre.

La période du laisser-faire est cependant révolue. Depuis 1974 une politique cohérente se dessine. Elle a d’abord été marquée par une mesure autoritaire, l’interruption complète de l’immigration (14 juill. 1974). Présentée comme provisoire, cette mesure — dans le contexte actuel de récession économique et de chômage de plus en plus aigu — reste encore en vigueur. Le deuxième volet de cette politique consiste à aménager les conditions de vie d’une population immigrée stabilisée, notamment sur le plan du logement et sur celui de l’accueil des familles des travailleurs.


L’aide sociale

L’aide sociale vient d’organismes privés (confessionnels ou non) et publics. Parmi ces derniers, le Service social d’aide aux émigrants s’occupe de l’accueil, de la liaison avec les employeurs, etc. Le Fonds d’action sociale (F. A. S.) est la pièce maîtresse de l’intervention étatique. Il a à son actif le financement de foyers et de logements, des mesures d’accueil d’urgence, des programmes de formation professionnelle, d’alphabétisation ou de scolarisation. Le F. A. S. est en fait dépassé par l’ampleur des problèmes : on compte par exemple 700 000 enfants d’immigrés à scolariser, avec les difficultés quantitatives et qualitatives que cela entraîne (dualité des modèles culturels de la famille et de l’école). Malgré deux cent cinquante classes d’initiation pour les enfants étrangers âgés de sept à seize ans, il est très rare qu’un enfant d’immigrés parvienne jusqu’au baccalauréat. Les classes sont surchargées, surtout dans la région parisienne, et les parents manquent souvent d’informations et d’assurance pour surmonter les obstacles administratifs. L’inadaptation sociale due au déracinement et le barrage de la langue mettent au départ le jeune étranger dans une situation défavorisée.

Il y a plus grave encore : les mesures d’aide sociale sont le palliatif des carences de la politique immigratoire. Or, on ne pourra résorber les symptômes sans modifier les causes. L’aide sociale reste teintée de paternalisme : les fonds du F. A. S. viennent à 55 p. 100 des contributions des régimes de prestations familiales, c’est-à-dire des étrangers eux-mêmes (il s’agit de sommes qui ne leur sont pas versées quand les familles restent hors de France ou que l’immigré quitte la France). Si l’application du principe de territorialité profite au F. A. S., il serait juste en contrepartie que les immigrés participent à la gestion d’un organisme qu’ils financent en majeure partie. Il n’en est rien.