Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mies van der Rohe (Ludwig) (suite)

Homme de l’acier, homme de la standardisation, Mies donne alors le meilleur de son œuvre : d’un côté, les gratte-ciel, comme les immeubles jumeaux du Lake Shore Drive à Chicago (1948-1951) ou le Seagram Building, Park Avenue, à New York (1954-1958) — la plus belle des tours en verre fumé et en aluminium teinte bronze qui existe aux États-Unis ; de l’autre côté, la maison Farnsworth à Plano, dans l’Illinois (1945-1950) — deux plateaux, l’un couvert, l’autre libre, posés sur le gazon d’une prairie —, le Crown Hall de l’Institut de technologie de l’Illinois (1950-1956) — où pour la première fois la structure porteuse sort du bâtiment et vient se superposer à lui en libérant totalement l’espace interne — et le projet du Convention Hall de Chicago (1953-54) — immense salle couverte de 50 000 places et de 220 m de côté, prévue en ossature tridimensionnelle —, qui aboutiront, en une phase ultime, à la Neue Nationalgalerie de Berlin (1962-1968), dont le lourd toit d’acier n’est porté que sur huit minces colonnes, le paradoxe technique s’accompagnant ici de subtiles recherches esthétiques dans la correction du parallélisme des lignes.

Cette conclusion de l’œuvre de Mies — dont le bâtiment final est une sorte de Parthénon — n’est pas sans laisser songeur : elle exprime bien, en tout cas, le paradoxe d’un homme dont la volonté était essentiellement classique, les buts révolutionnaires, et qui a pu en même temps stimuler au point le plus extrême l’architecture des années 50 — tout entière tournée vers l’imitation de son œuvre — et être le père du plus conventionnel des académismes dont l’Amérique soit aujourd’hui affligée. C’est ainsi que Mies a été revendiqué à la fois par ses élèves « officiels », comme Philip Johnson (né en 1906) ou Minoru Yamasaki (né en 1912), et par des personnalités dont l’évolution a été beaucoup plus spectaculaire, tels Eero Saarinen*. Louis Kahn* ou Alison (née en 1928) et Peter Smithson (né en 1923), les membres fondateurs du « brutalisme » anglais. L’esthétique de Mies, parvenue jusqu’à l’ascétisme, était d’ailleurs sans doute plus proche de cette évolution vers le pathétique, explosion d’une sensibilité longtemps contenue, que de l’académisme un peu plat de ses disciples : une analyse plus objective de ses dernières œuvres fera un jour apparaître la tragique rupture d’échelle qu’elles contiennent — d’une violence extrême pour qui sait la voir.

F. L.

➙ Allemagne / Architecture / États-Unis / Expressionnisme.

 P. C. Johnson, Mies van der Rohe (New York, 1947). / L. Hilberseimer, Mies van der Rohe (Chicago, 1956). / P. Blake, The Masterbuilders (New York, 1960). / A. Drexler, Ludwig Mies van der Rohe (New York, 1960). / A. J. Speyer et F. Koeper, catalogue de l’exposition Mies van der Rohe à l’Art Institute de Chicago (Chicago, 1968 ; trad. fr., Berlin, 1970). / W. Blaser, Mies van der Rohe (Artemis, 1972).

Mieszko Ier

Prince de Pologne (v. 920-992).


Les princes de Gniezno ses ancêtres lui avaient laissé un État déjà considérable, édifié sur la Warta et la moyenne Vistule à partir de la Grande (ou Vieille) Pologne, terre des Polanes, avec la Couïavie (diocèse de Płock), la Mazovie et sans doute déjà une partie de la Poméranie. Une guerre malheureuse contre les Vélètes pour le contrôle des bouches de l’Odra constitue le premier fait connu de son règne (963-64). Pendant trente ans, il s’efforcera de consolider l’indépendance de fait de l’État qu’il bâtira sous la suzeraineté formelle du jeune Empire germanique. Son œuvre révèle de rares capacités d’homme politique habile, perspicace et tenace.


Un choix habile : le baptême de la Pologne

Quand les missions servaient de prétexte à l’expansion des margraves saxons aux dépens des Slaves Polabes vaincus par Otton Ier (962-973), Mieszko sut comprendre et exploiter les avantages d’une conversion librement choisie. Pour mieux éviter une ingérence allemande, il se tourna vers la Bohême chrétienne et slave ; en épousant la princesse Dobrawa, il scella, en 965, son alliance avec la dynastie tchèque des Přemyslides, qui le patronna auprès de Rome. Il se fit baptiser avec sa cour en 966. Il traita aussitôt avec Otton Ier et devint l’« ami de l’empereur », heureux de s’assurer son concours contre les Vélètes païens. Pour convertir son peuple, Mieszko obtient, en 968, l’organisation d’une mission indépendante de l’Église saxonne : l’évêché de Poznań, qui engloba tout le duché de Pologne, fut directement soumis à l’autorité du Saint-Siège.

Aux côtés de l’évêque Jordan († 984), venu du Saint Empire, le clergé de Bohême participa à l’évangélisation de la Pologne, qu’il dota d’une terminologie liturgique forgée sur le modèle tchèque. La jeune Église entreprit d’initier la Pologne à l’héritage culturel de l’Occident chrétien et fournit à Mieszko des modèles d’organisation et des auxiliaires versés dans l’art d’administrer pour structurer l’État qu’il ne cessait d’étendre.


Les premières frontières de la Pologne

Un tribut versé pour les terres conquises assura à Mieszko la neutralité de l’Empire dans la nouvelle guerre entreprise, avec l’aide tchèque, contre les Vélètes. Il leur enleva en 967 l’embouchure de l’Odra : son État accédait au commerce baltique par les ports actifs de la Poméranie occidentale (Szczecin). En 972, il sauva sa conquête de la convoitise du margrave Hodon (victoire de Cedynia). Soucieux d’affermir sa position vis-à-vis de l’Allemagne, il resta très prudent à l’égard d’Otton Ier, mais intervint après sa mort dans les querelles dynastiques de l’Empire, bonne occasion pour ne plus verser le tribut. En 979, il arrêta sur l’Odra une expédition punitive conduite par Otton II (973-983). La grande insurrection des Vélètes (983), qu’il avait intérêt à mater avec les Saxons, le détermina sans doute à se rallier au jeune Otton III et à établir des rapports amicaux avec le Conseil de régence. Mieszko noua des relations avec les pays scandinaves maîtres de la Baltique : sa fille Sventoslava allait être la mère de Knud* le Grand. L’alliance tchèque, compromise par la mort de Dobrawa (977) et son second mariage avec l’Allemande Oda (979), ne servait plus ses intérêts. Il s’appuya sur l’Empire pour disputer à la Bohême la Silésie et la Petite Pologne (Cracovie) : il annexa ces régions vers 989. Mais, engagé à l’ouest, il avait laissé Vladimir de Kiev (980-1015) conquérir les places fortes du haut Bug et Przemyśl aux confins de cette nouvelle Pologne (981). Tel quel, bien établi sur les bassins de l’Odra et de la Vistule, son État s’étendait de la Baltique aux Carpates.