Mies van der Rohe (Ludwig) (suite)
Homme de l’acier, homme de la standardisation, Mies donne alors le meilleur de son œuvre : d’un côté, les gratte-ciel, comme les immeubles jumeaux du Lake Shore Drive à Chicago (1948-1951) ou le Seagram Building, Park Avenue, à New York (1954-1958) — la plus belle des tours en verre fumé et en aluminium teinte bronze qui existe aux États-Unis ; de l’autre côté, la maison Farnsworth à Plano, dans l’Illinois (1945-1950) — deux plateaux, l’un couvert, l’autre libre, posés sur le gazon d’une prairie —, le Crown Hall de l’Institut de technologie de l’Illinois (1950-1956) — où pour la première fois la structure porteuse sort du bâtiment et vient se superposer à lui en libérant totalement l’espace interne — et le projet du Convention Hall de Chicago (1953-54) — immense salle couverte de 50 000 places et de 220 m de côté, prévue en ossature tridimensionnelle —, qui aboutiront, en une phase ultime, à la Neue Nationalgalerie de Berlin (1962-1968), dont le lourd toit d’acier n’est porté que sur huit minces colonnes, le paradoxe technique s’accompagnant ici de subtiles recherches esthétiques dans la correction du parallélisme des lignes.
Cette conclusion de l’œuvre de Mies — dont le bâtiment final est une sorte de Parthénon — n’est pas sans laisser songeur : elle exprime bien, en tout cas, le paradoxe d’un homme dont la volonté était essentiellement classique, les buts révolutionnaires, et qui a pu en même temps stimuler au point le plus extrême l’architecture des années 50 — tout entière tournée vers l’imitation de son œuvre — et être le père du plus conventionnel des académismes dont l’Amérique soit aujourd’hui affligée. C’est ainsi que Mies a été revendiqué à la fois par ses élèves « officiels », comme Philip Johnson (né en 1906) ou Minoru Yamasaki (né en 1912), et par des personnalités dont l’évolution a été beaucoup plus spectaculaire, tels Eero Saarinen*. Louis Kahn* ou Alison (née en 1928) et Peter Smithson (né en 1923), les membres fondateurs du « brutalisme » anglais. L’esthétique de Mies, parvenue jusqu’à l’ascétisme, était d’ailleurs sans doute plus proche de cette évolution vers le pathétique, explosion d’une sensibilité longtemps contenue, que de l’académisme un peu plat de ses disciples : une analyse plus objective de ses dernières œuvres fera un jour apparaître la tragique rupture d’échelle qu’elles contiennent — d’une violence extrême pour qui sait la voir.
F. L.
➙ Allemagne / Architecture / États-Unis / Expressionnisme.
P. C. Johnson, Mies van der Rohe (New York, 1947). / L. Hilberseimer, Mies van der Rohe (Chicago, 1956). / P. Blake, The Masterbuilders (New York, 1960). / A. Drexler, Ludwig Mies van der Rohe (New York, 1960). / A. J. Speyer et F. Koeper, catalogue de l’exposition Mies van der Rohe à l’Art Institute de Chicago (Chicago, 1968 ; trad. fr., Berlin, 1970). / W. Blaser, Mies van der Rohe (Artemis, 1972).