Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Michel-Ange (suite)

Le plafond de la Sixtine

En 1508, nouvelle idée de Jules II. Celui-ci charge l’artiste, dont il avait deviné le génie, de décorer le plafond de la chapelle Sixtine. Michel-Ange obtiendra de compléter ce programme en peignant aussi des fresques dans les lunettes des fenêtres et dans les écoinçons. Sur les murs, des fresques antérieures évoquaient des scènes de l’Évangile et de la vie de Moïse (v. Botticelli). Le programme qui échoit à Buonarroti comprend l’histoire de l’Humanité depuis la Création jusqu’à Moïse, c’est-à-dire symboliquement le monde d’avant la faute, puis l’attente anxieuse de la Rédemption. Sur le plafond lui-même, les fresques comportent neuf grands tableaux rectangulaires représentant la Création, le péché originel et l’histoire de Noé. Les scènes de la Création sont, à juste titre, les plus célèbres, notamment celles de la création de l’homme et de la femme, où l’artiste, avec un nombre réduit de personnages, confère à ces tableaux une intensité dramatique et une grandeur épique, mais aussi une profondeur d’émotion inégalable. On ne peut oublier le regard à la fois hésitant et ébloui du premier homme, non plus que le geste si auguste et si délicat du Créateur effleurant à peine son doigt afin de lui insuffler la vie. Il est évident que Michel-Ange a rompu avec les images traditionnelles pour créer vraiment une cosmogonie personnelle, où il exprime toute la force de sa foi et toute la passion de son tempérament. Il crée aussi un canon qui lui est propre. Corps aux musculatures hypertrophiées, inhumaines et presque monstrueuses parfois, mais c’est bien une histoire au-dessus de l’humanité normale qu’il évoque à travers ces formes démesurées et fulgurantes. Sur la corniche encadrant les scènes bibliques, des adolescents nus sont assis, dans des attitudes variées, le regard attentif : ce sont les ignudi, créations originales de Michel-Ange, où il a mis toutes ses ardentes recherches de la beauté du corps humain, intermédiaires sans justification scripturaire entre le ciel et la terre, archétypes de nos passions et de nos facultés. Ces êtres mystérieux, idéaux, en quête d’une identification au divin se rapportent sans doute aux théories néo-platoniciennes dont Michel-Ange était imbu. Plus bas, entre les lunettes et encadrées de pilastres feints soutenus par des putti traités en atlantes, douze figures assises évoquent alternativement prophètes et sibylles. Là encore, la malédiction de l’humanité est atténuée par l’annonce du rachat, mais la gravité, la sévérité des personnages ne laissent guère filtrer de lueur d’espérance dans ce mur compact d’angoisse et de tourment. La grâce est presque toujours absente, même des figures féminines ; l’énorme sibylle de Cumes, par exemple, avec ses bras noueux de lutteur de foire, inspire plutôt une épouvantable répulsion. Dans les pendentifs aux quatre angles se trouvent des épisodes de l’Ancien Testament (David et Goliath, Judith et Holopherne...) se rapportant à des sauvetages miraculeux d’Israël, peuple élu. Dans les triangles sphériques au-dessus des fenêtres, des personnages un peu recroquevillés sur eux-mêmes appartiendraient à des familles païennes déchues en dehors de la Révélation ; enfin, dans les lunettes, assis de part et d’autre de ces fenêtres, apparaissent des ancêtres du Christ : un pas de plus vers la Rédemption.


Du tombeau de Jules II à la chapelle des Médicis

Michel-Ange est accaparé par l’immense labeur du plafond de la Sixtine jusqu’en 1512. L’année suivante, Jules II meurt et est remplacé par un Médicis, Léon X, qui n’aime pas Michel-Ange, soupçonné d’être républicain. L’artiste se remet au tombeau du pontife disparu. Au début, ce devait être un édifice indépendant, de forme pyramidale, avec, au niveau inférieur, des statues de captifs et de victoires symbolisant les luttes de la vie, mais aussi les arts libéraux. Au milieu, puissamment assis, Moïse et saint Paul, c’est-à-dire l’Ancienne et la Nouvelle Loi, et au sommet le pape gisant, soutenu par des anges qui l’introduisent dans la gloire éternelle. Le nouveau contrat de 1513 avec les héritiers modifie le schéma en le simplifiant, réduit le nombre des figures et adosse le monument au mur. À cette seconde version se rattachent les deux Esclaves du musée du Louvre, qui se débattent dans leurs liens avec un air de souffrance qui n’est pas seulement physique. Ces deux sculptures sont d’une puissance expressive rarement égalée. L’artiste commence aussi le terrible Moïse, à la musculature énorme et au regard fascinant et furieux, d’une force impérieuse et surhumaine. Un nouveau changement, en 1516, entraîne une réduction de la taille des captifs : ce sont les statues ébauchées, mais déjà si envoûtantes conservées aujourd’hui à l’Accademia de Florence.

Le tombeau de Jules II s’achemine vers un immense naufrage. Cependant, en 1517, Michel-Ange se lance avec enthousiasme dans une nouvelle commande, la façade de l’église médicéenne de San Lorenzo à Florence, grandiose projet à la fois d’architecture et de sculpture, qui sombre lui aussi. Léon X lui confie vers 1520 la construction et la décoration de la chapelle funéraire qui, greffée sur la même église, abritera deux monuments à la mémoire de Julien de Médicis, duc de Nemours, et de Laurent, duc d’Urbino, tous deux grands défenseurs du trône pontifical. L’artiste dépasse le programme de glorification des Médicis en lui donnant une signification plus grandiose et générale, où l’on reconnaît une fois de plus les idées néo-platoniciennes dont il s’était nourri durant sa jeunesse et sa tendance à s’élever toujours aux grands problèmes de l’humanité. L’architecture rappelle dans sa structure les sacristies du quattrocento. On y retrouve notamment le parti de souligner en pierre plus sombre, la pietra serena, les lignes architectoniques, mais l’on y sent une puissance et un dynamisme nouveaux. Les monuments funéraires occupent deux des côtés du quadrilatère et adoptent le même schéma pyramidal : dans une niche rectangulaire sont assises les deux statues des princes commémorés, en réalité des portraits idéalisés, héroïsés, portant l’un et l’autre l’armure des capitaines romains : Julien, juvénile, énergique, représente l’Action, le visage en pleine lumière. Le regard de Laurent, au contraire, reste plongé dans l’ombre que projette le casque ; Laurent médite, la main soutenant le bas de la figure, soucieux, mystérieux, symbole de la Pensée qui replie l’homme sur lui-même. Aux pieds de chacun d’eux, un sarcophage dont le couvercle se compose de deux enroulements, sur les rampants desquels quatre figures nues sont couchées de la façon la plus incommode, les membres comme écartelés ou se croisant dans des positions malaisées, le visage ravagé par la morosité et la souffrance — exprimant les tourments de l’âme humaine au cours de la vie. Ces figures sont les allégories des quatre parties de la journée ou, si l’on veut, du temps qui passe : le Jour, la Nuit, l’Aurore, le Crépuscule, personnages alternativement masculins et féminins, dont certains présentent encore des surfaces « non finies ». Il est vrai que ce n’est pas Michel-Ange qui mit les monuments en place et qu’une fois de plus cet ample programme connut des vicissitudes et des mutilations. Michel-Ange prévoyait notamment, à l’étage inférieur, des figures de Fleuves couchées à l’antique, qui ne furent même pas ébauchées (on conserve à l’Accademia de Florence un modèle en argile), et aussi des fresques dans les lunettes supérieures. Sur un troisième côté de la chapelle se dresse la Vierge Médicis, qui essaye de retenir la turbulence de l’Enfant Jésus assis sur ses genoux et n’a plus la suavité mélancolique des Vierges du Vatican et de Bruges, mais une sorte de véhémence dans la tristesse se traduisant par sa construction plus heurtée, son drapé plus houleux et une sorte de sauvagerie dans le visage.