Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mexique (suite)

Contradictoire et maniable, la Constitution, encore en vigueur aujourd’hui, laisse au président Carranza (1917-1920) une grande marge de manœuvre ; elle renforce le centralisme, l’étatisme et l’autoritarisme. Carranza gouverne en lui donnant une interprétation conservatrice : loi martiale contre les ouvriers, paralysie de la réforme agraire, guerre d’extermination contre les partisans de Zapata (1919), « pacification » des campagnes.


Obregón et Calles (1920-1928)

Ces deux généraux, originaires du Nord, tiennent le pays durant quinze ans ; ils sont plus d’une fois mis en difficulté, et la rébellion militaire de 1923-24 manque les renverser ; ils triomphent cependant grâce au contrôle implacable qu’ils exercent sans faiblir. Là où la loyauté flanche, ils ont recours à la corruption et à la violence. L’ambiguïté du régime vient de la domestication des syndicats, de la mise en route d’une grande œuvre économique et de l’omniprésence de l’État. La confusion est la caractéristique de ces années : le peuple est découragé, fatigué. La révolution a été tant de fois frustrée, les coups d’État si nombreux qu’il n’y a plus d’espoir. Le pays semble un cheval fou qui piétine en rond ses propres entrailles ; cette lassitude permet la violation systématique de la loi, tandis que des « Crésus improvisés portent le masque de Spartacus ».

Derrière ces événements tragiques, l’État achève sa mutation, et la mise au pas de tous les rebelles s’accompagne de la reconstruction économique. Le problème du pouvoir est résolu par l’alternance à la présidence d’Obregón de 1920 à 1924 et de Plutarco Elias Calles (1877-1945) de 1924 à 1928. Cette alternance est brisée en 1928 par l’assassinat d’Obregón par un catholique illuminé.


Les « Cristeros » (1926-1929)

L’Église catholique partage au xixe s. la défaite des conservateurs pour effectuer sous le règne des libéraux (1867-1910) sa reconquête. À la campagne, le curé alphabétise et catéchise, tandis que, partout, les mouvements d’action civique et sociale se développent dans la lignée de Léon XIII. Cette adaptation était à peine faite quand survint la révolution.

L’anticléricalisme de la faction triomphante avait les mêmes racines que celui du xviiie et du xixe s., mais il avait acquis une violence et un sectarisme modernes. La Constitution de 1917 donnait à l’État le droit d’administrer la « profession cléricale », au moment où il rencontrait partout la concurrence de l’Église auprès des masses. La politique entrait en compétition directe avec l’éthique religieuse en des domaines décisifs ; les syndicalistes chrétiens menaçaient l’hégémonie que l’État était en train d’établir selon un schéma autoritaire et vertical. De la brutalité du choc, de la violence des moyens employés par un État devenu persécuteur, la guerre surgit en 1926, logique réaction d’un peuple exaspéré par cette religiosité à rebours qui s’annonçait terroriste.

Aux mesures gouvernementales instituant une surbordination de plus en plus étroite de l’Église à l’État, l’Église riposte en suspendant le culte public (juill. 1926). La fermeture des églises pour inventaire provoque le soulèvement du peuple des campagnes ; 50 000 Cristeros, ainsi appelés par dérision (les « Christ-Roi »), tiennent tête à l’armée fédérale pendant trois ans, lui infligeant de sérieuses défaites. Le gouvernement, incapable de vaincre, fait sa paix avec des évêques incités par Rome à transiger. L’ambassadeur américain Dwight Whitney Morrow (1873-1931) joue un rôle essentiel dans la conclusion de la paix en juin 1929. Le retour à la persécution provoque une reprise de la guérilla qui ne cessera que vers 1938 et qui sera à la guerre des Cristeros (la christiade) ce que la chouannerie fut à la Vendée.

La guerre des Cristeros a été une surprise pour l’État, qui faisait de la religion une affaire de bonnes femmes, et pour l’Église, qui sous-estimait le peuple chrétien. Pour les Cristeros, elle a été une Apocalypse dépassant le moment historique, dévoilant Dieu à travers l’histoire : « Le César est puissant, dit l’un deux, et veut que de gré ou de force les inférieurs le révèrent et quasiment l’adorent, mais maintes fois un homme simple peut humilier la superbe du puissant. »

Cette guerre religieuse, désastreuse pour le pays, s’accompagne de graves divisions au sein de la « famille révolutionnaire ». Obregón viole un des principes de la révolution, la non-réélection, en se faisant élire comme successeur de Calles. Mais il est assassiné par un catholique. Emilio Portes Gil (1891-1958) le remplace en décembre 1928. Sous son mandat, en 1929, Calles instaure le parti national révolutionnaire, ancêtre de l’actuel parti officiel, le parti révolutionnaire institutionnel (P. R. I.), pour mettre fin à l’autodestruction périodique de la « famille révolutionnaire ».


La présidence du général Cárdenas (1934-1940)

Jusqu’en 1935, les présidents ne sont que des pantins dont Calles tire les ficelles ; Lázaro Cárdenas sait cacher son jeu pour parvenir à la présidence et se défaire de son puissant patron en 1936. Connaissant à merveille le jeu politique et son peuple, il est capable d’un très grand réalisme, mettant en veilleuse son anticléricalisme dès lors qu’il menace son programme de gouvernement. Il est l’homme de la paix religieuse, de la réforme agraire, de la nationalisation des pétroles. On a fait de lui un révolutionnaire marxiste, le précurseur de Fidel Castro, alors qu’il fut un nationaliste populiste. La passion du pouvoir personnel, la volonté de tout faire, il les partage avec ses prédécesseurs. S’y ajoute la volonté de tout voir et de tout savoir : deux jours sur trois il est hors de Mexico, par monts et par vaux, sur le terrain. Despote éclairé opportuniste, il est intransigeant en politique étrangère dans son soutien de la République espagnole et dans sa condamnation des régimes totalitaires : il soutient l’Éthiopie, la Pologne, la Finlande. Dans le même temps, il n’hésite pas à vendre son pétrole à l’Italie et à l’Allemagne lorsque les Anglo-Saxons le boycottent.

Après avoir rallié les communistes, Cárdenas rompt avec eux lors de l’assassinat de Trotski (1940), quitte la présidence et se choisit un successeur à droite, parce que la conjoncture internationale commande de rassurer les États-Unis et de barrer la montée de l’extrême-droite.