Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

messe (suite)

 P. M. Ferretti, Estetica gregoriana (Rome, 1934 ; trad. fr. Esthétique grégorienne, Desclée, 1935). / W. Apel, Gregorian Chant (Bloomington, Indiana, 1958). / S. Corbin, l’Église à la conquête de sa musique (Gallimard, 1960). / J. Porte (sous la dir. de), Encyclopédie des musiques sacrées, t. II et III (Labergerie, 1969 et 1972).

Messiaen (Olivier)

Compositeur français (Avignon 1908).


Il est l’un des plus grands musiciens de notre temps, celui dont le rayonnement dans le monde est le plus puissant, tant par son œuvre que par son enseignement. Son père, éminent traducteur des dramaturges élisabéthains, lui communiqua la passion du théâtre et de Shakespeare, et sa mère, la poétesse Cécile Sauvage, l’amour de la poésie. Messiaen passa toute son enfance à Grenoble, et il considéra les Alpes du Dauphiné comme sa véritable patrie, s’y retirant chaque été pour composer : c’est un « Français des montagnes », comme le Dauphinois Berlioz.

Précocement doué, il remporta tous les prix au Conservatoire de Paris, où il fut l’élève notamment de Jean Gallon, de Marcel Dupré (pour l’orgue) et de Paul Dukas (pour la composition). En 1931, il fut nommé organiste titulaire de l’église de la Trinité, à Paris (à l’époque, il fut le plus jeune titulaire de France), et il a conservé ce poste jusqu’à ce jour : toute son œuvre d’orgue a été pensée pour l’ancien Cavaillé-Coll de la Trinité. S’il connut son premier contact important avec le grand public par la méditation symphonique des Offrandes oubliées (1930), la majeure partie de sa production d’avant-guerre concerne néanmoins son instrument. En 1936, Messiaen se joignit au groupe Jeune France (Yves Baudrier, André Jolivet, Daniel Lesur), dont l’idéal, concrétisé par le slogan « sincérité, générosité, conscience », en réaction contre le néo-classicisme desséchant et formaliste de l’époque, était conforme au sien par son souci d’humanisme et de spiritualité. Prisonnier en 1940, il passa un an et demi en captivité et y écrivit son Quatuor pour la fin du temps (1941). À son retour, en 1942, Claude Delvincourt, alors directeur du Conservatoire, lui confia une classe d’harmonie, devenue plus tard classe d’analyse (1947), puis classe de composition (1966). En trente ans, presque tous les grands noms de la jeune musique actuelle, tant française qu’étrangère, sont passés par cette classe. Parmi les premiers élèves du temps de guerre, on compte Pierre Boulez, Serge Nigg et la grande pianiste Yvonne Loriod, interprète attitrée et dédicataire de nombreuses œuvres de Messiaen, qui devait l’épouser en 1961, après la mort de sa première femme.

L’œuvre, la personnalité et même les écrits littéraires de Messiaen firent longtemps l’objet de polémiques passionnées, qui atteignirent leur point culminant vers 1945, après le fameux « scandale des Petites Liturgies ». Mais le compositeur poursuivit inébranlablement sa route, et il y a longtemps que les controverses ont fait place à une admiration unanime, illustrée par de nombreuses tournées dans le monde entier et par de multiples distinctions, dont les plus récentes sont sa nomination à l’Institut (1967) et l’attribution du prix Erasme (1971). Messiaen s’intitule lui-même « compositeur de musique et rythmicien » et travaille depuis de longues années à un Traité du rythme. À la suite de Debussy, il a entrepris de faire rattraper à la musique européenne les siècles de retard accumulés dans ce domaine par suite d’une préoccupation exclusive pour la polyphonie (harmonie et contrepoint). L’exemple du plain-chant grégorien, de la métrique grecque antique et des musiques extra-européennes (balinaise, papoue, polynésienne, péruvienne, etc.) lui a été d’un puissant secours, et Messiaen a étudié avec un soin tout particulier le système rythmique des Decī-Tāla de l’Inde, dont les ressources sont venues enrichir puissamment son propre système rythmique. Celui-ci accorde une grande importance aux « rythmes non rétrogradables », groupes rythmiques symétriques autour d’une valeur centrale. Partant d’une magistrale analyse rythmique du Sacre du printemps, Messiaen crée de véritables « personnages rythmiques », qui croissent (par multiplication, par ajout de valeurs pointées, par interpolation d’éléments nouveaux), décroissent, s’opposent en contrepoint, etc. Son langage mélodique et harmonique n’est pas moins riche de nouveauté et d’invention. À l’écart du dodécaphonisme sériel, il se fonde sur l’usage de différents modes, parfois empruntés, mais le plus souvent inventés : les plus remarquables sont les « modes à transpositions limitées », qui ne peuvent se transposer qu’un petit nombre de fois, sous peine de retrouver les mêmes notes. C’est une illustration de ce « charme des impossibilités » que Messiaen affectionne, correspondant aux « rythmes non rétrogradables ». Les harmonies issues de ces modes, aussi neuves que raffinées, possèdent pour lui des associations colorées très précises, car il est doué de synopsie, ou audition colorée, comme l’était Skriabine.

Parmi les influences que reconnaît ce grand indépendant, outre celle, capitale, de Debussy et celle, épisodique, de son maître Dukas, citons celle d’Albéniz* (avec Iberia) en ce qui concerne la technique de l’écriture pianistique et surtout, primordiale, l’étude attentive du chant des oiseaux : Messiaen considère ces compositeurs comme « ses premiers et ses plus grands maîtres ». Dès avant la guerre, il s’en inspirait de manière empirique ; il en entreprit ensuite l’étude scientifique sous la direction de savants ornithologues (dont Jacques Delamain) et en nota les chants sans le secours d’aucun magnétophone, grâce à une oreille d’une finesse probablement unique au monde. Toutes ses œuvres des années 1952-1960 sont exclusivement fondées sur ce matériau. Quant à son éthique, elle est celle d’un musicien catholique (« né croyant »), dont l’œuvre intégrale se place sous le signe de la foi, qu’il s’agisse ou non d’ouvrages explicitement théologiques (et non point mystiques, car Messiaen se veut l’exégète des mystères de la foi). L’amour, tant terrestre que divin, est l’inspiration essentielle de Messiaen : de la femme, il s’étend à la création tout entière et s’exprime aussi bien par l’aspect charnel que par l’aspect spirituel ; d’où, fréquemment, un langage musical dont on a blâmé bien à tort la somptueuse sensualité. En marge de tous les courants artistiques de son siècle, un siècle qu’il déteste et auquel il tourne le dos, mais en regardant autant vers l’avenir que vers le passé, Messiaen demeure avant tout un créateur libre, et sa foi constitue la clef de cette liberté humaine et spirituelle. Il récuse certaines options fondamentales de la musique de notre siècle et introduit dans la pensée occidentale une conception neuve, issue d’Orient, du paramètre temporel. Dès l’époque où il commence à écrire, il prend le contre-pied de ses contemporains par un refus tout à fait remarquable de la pensée polyphonique et de la dynamique formelle qui en découle. Alors qu’ils semblent atteints d’une frénésie de mouvement, il se plaît à suspendre le cours du temps par des tenues de sons incommensurables, échappant à la perception métrique liée à la barre de mesure pour retrouver la liberté de la volute grégorienne. Il tourne le dos à son époque non seulement par son intense spiritualité, mais bien par les moyens qu’il choisit pour l’exprimer. Musicien de la couleur, musicien modal, harmoniste doué également du génie de la longue courbe monodique, il est statique et contemplatif, mais cette contemplation est une longue quête de joie. Messiaen a chanté avec prédilection les mystères de Gloire, et le Christ souffrant de la Passion l’a inspiré beaucoup moins que celui, glorieux, de l’Ascension ou de la Transfiguration, de même que la Vierge de la Nativité a retenu son attention d’artiste plus que celle du Stabat. Pour lui, les souffrances terrestres ne sont qu’un instant au prix de la béatitude de la vie éternelle. Il partage avec Bach, dont les mobiles d’inspiration spirituelle reposent sur une attitude toute semblable, un don de santé morale indestructible : leur musique est de celles qui réconfortent, exaltent et illuminent ceux qui l’écoutent. Son attitude singulière de musicus theologicus, mêlant indissolublement l’artisanat et le paramètre transcendant (ainsi que le montrent les commentaires exhaustifs qu’il donne de ses œuvres), situe Messiaen plus près des artistes médiévaux que de ceux d’aujourd’hui. Aussi son évolution se poursuit-elle pour ainsi dire à l’écart des influences de ses contemporains et n’a-t-il pu susciter que des disciples très éloignés de ses préoccupations ou alors de pâles épigones.