Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mécanique (suite)

L’excellence des idées newtoniennes a été confirmée au cours des siècles par l’observation et, depuis l’astronautique, par l’expérimentation. Elle n’est cependant qu’une représentation schématique du réel, une première approximation, et non pas, comme on l’a cru longtemps, l’expression exacte de la vérité absolue. Peut-être influencé par le style de Huygens dans son Horologium oscillatorium de 1673, Newton s’est forgé, pour la rédaction des Principes, une langue mathématique assez différente de l’analyse cartésienne qu’il utilisait à merveille dans ses écrits de jeunesse, langue nouvelle qui tend à la rigueur des traités d’Archimède et d’Apollonios de Perga (v. 262 - v. 180 av. J.-C.). Elle ne manque pas d’élégance et quelques-uns de ses disciples britanniques ont continué à l’utiliser au xviiie s. Mais, dans l’ensemble, les mécaniciens qui l’ont suivi, et qui s’occupent surtout de mécanique céleste, sont revenus rapidement à l’écriture analytique de Descartes, développée et adaptée aux calculs infinitésimaux par Gottfried Wilhelm Leibniz* et ses disciples, les frères Bernoulli*. L’étude, faite par ces mécaniciens, du système du monde, et par conséquent de la mécanique céleste et de l’optique, représente la partie la plus considérable des travaux mathématiques du xviiie s., auxquels participent notamment Jean Le Rond d’Alembert*, Alexis Claude Clairaut (1713-1765), et, surtout, Leonhard Euler* (1707-1783).

Un travail de systématisation s’impose après toutes les nouvelles découvertes qui se présentent en ordre dispersé. Depuis l’âge de dix-neuf ans, Louis Lagrange*, d’abord à Turin, puis à Berlin, utilise, généralise, systématise ou trouve de grands principes mécaniques, parmi lesquels le calcul des variations, dû à Euler, mais auquel il donne une forme purement analytique, le principe des vitesses virtuelles de la statique, dont Jean Bernoulli (1667-1748) a vu toute l’importance, celui de la conservation des forces vives, dû à Huygens, et le Principe de d’Alembert (1743), qui ramène les problèmes de dynamique à des problèmes de statique. Son œuvre est éparse dans de nombreux mémoires, mais il la fond en un tout harmonieux dans sa Mécanique analytique de 1788. Dans l’avertissement, il annonce : « Je me suis proposé de réduire la théorie [de la mécanique] et l’art de résoudre les problèmes qui s’y rapportent, à des formules générales, dont le simple développement donne toutes les équations nécessaires pour la solution de chaque problème [...]. Cet ouvrage aura d’ailleurs une autre utilité ; il réunira et présentera sous un même point de vue les différents Principes trouvés jusqu’ici pour faciliter la solution des questions de mécanique, en montrera la liaison et la dépendance mutuelle, et mettra à portée de juger de leur justesse et de leur étendue. »

Constituée à partir de Lagrange en un magnifique corps de doctrine, la mécanique théorique, dont les succès en astronomie ne se comptent plus (prédiction presque parfaite du retour de la comète de Halley par Clairaut, découverte de Neptune par John Couch Adams [1819-1892] et par Urbain Le Verrier [1811-1877], etc.), devient un modèle pour les diverses branches de la physique et semble avoir atteint à la vérité absolue.

La mécanique terrestre, où il faut tenir compte, d’une part, des résistances diverses, d’autre part, du mouvement de la Terre, apparaît alors comme une science appliquée qui répond suffisamment bien aux besoins de la pratique.

L’histoire de la mécanique est intimement liée à celle de l’optique depuis l’explication mécanique (erronée) de ses lois de la réfraction (exactes) par Descartes, et l’énoncé du principe du chemin minimal de Pierre de Fermat*, fournissant une démonstration, trouvée alors trop métaphysique, de cette même loi de la réfraction de la lumière.

L’un des successeurs les plus prestigieux de Lagrange est sir William Rowan Hamilton (1805-1865). Sa pensée dynamique est inséparable de sa pensée optique. Lorsqu’il entreprend ses recherches d’optique, ni la théorie de l’émission, ni celle des ondulations ne sont unanimement acceptées. Son optique géométrique, qui formalise l’ensemble des résultats déjà acquis (1833), est susceptible à la fois d’une interprétation ondulatoire au sens de Huygens et d’une interprétation corpusculaire, au sens du principe dynamique de la moindre action. Jaloux, pour l’optique, de la perfection formelle que Lagrange a su donner à la dynamique, il tente alors de rationaliser l’optique géométrique par la voie d’une théorie formelle, exempte de tout a priori métaphysique et rendant compte des faits expérimentaux sans avoir à opter pour l’une ou pour l’autre des deux grandes hypothèses en présence. Revenant alors à la dynamique, il met en évidence une loi d’action variée très voisine de celle qu’il a découverte en optique. Carl Jacobi (1804-1851) généralise et simplifie la dynamique de Hamilton, qu’il présente sous une forme devenue classique.

Hermann Ludwig Ferdinand von Helmholtz* s’efforce, en 1847, de donner à la mécanique une base résolument énergétique. Henri Poincaré* entreprend une discussion de cette thèse dans la Science et l’hypothèse (1902). Pour lui, la théorie énergétique est moins incomplète que la théorie classique et elle dispense de l’hypothèse des atomes, impossible à éviter dans cette dernière. Mais elle soulève de nouvelles difficultés, en particulier pour les définitions des énergies cinétique et potentielle.

Vers la même époque, on doit à Paul Painlevé* une discussion approfondie des fondements de la mécanique, non seulement dans le champ classique, mais aussi dans le domaine de la relativité.

Au début du xxe s., la mécanique classique se présente comme un ensemble cohérent, dont seuls des esprits éminents pouvaient se permettre une analyse critique et qui était un modèle de logique pour l’ensemble des sciences physiques. Cette mécanique présuppose un espace absolu et vide. L’optique ondulatoire d’Augustin Fresnel* et même celles de James Clerk Maxwell* et de Hendrik Antoon Lorentz* admettent, avec plus ou moins de netteté, l’existence d’un éther par rapport auquel la vitesse de la lumière garde une signification absolue. L’état de mouvement d’un système par rapport à cet éther doit entraîner des effets optiques ou électromagnétiques accessibles à l’expérience. La théorie rend compte, d’une façon assez satisfaisante, des effets du premier ordre (aberration, effet Doppler-Fizeau) qui dépendent du rapport dans lequel v est la vitesse du système par rapport à l’éther, et c la vitesse de la lumière dans le vide. Mais elle échoue devant les effets du second ordre, dépendant du rapport Ainsi, Maxwell annonce-t-il un effet de cet ordre, parfaitement accessible par la méthode des interférences. Une expérience célèbre, effectuée en 1881 par Albert Michelson (1852-1931), donne un résultat absolument négatif, en contradiction absolue avec les théories optiques alors admises. Pour expliquer ce résultat, Lorentz propose une théorie faisant intervenir un phénomène de contraction de la matière dans le sens du mouvement absolu, et, en 1904, il systématise son hypothèse.