Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Maupassant (Guy de)

Conteur et romancier français (Fécamp ou château de Miromesnil 1850 - Paris 1893).



L’ombre d’un écrivain

Avant d’être Guy de Maupassant pour la grande histoire de la littérature, l’un des meilleurs conteurs français fut, pour la petite histoire, le jeune Normand Joseph Prunier, puis l’énigmatique Guy de Valmont, enfin, du nom de l’héroïne du Cabinet des antiques de Balzac, Maufrigneuse. Ces pseudonymes, parmi d’autres, tendent à la fois à cacher et à révéler la véritable personnalité de Maupassant. Comme Joseph Prunier, héros d’un de ses premiers contes, Maupassant est normand, de corps et d’âme. Sous le nom de Guy de Valmont se cachent une localité de Normandie, un hommage à M. de Valmont, l’un des personnages du livre préféré de Maupassant, Monsieur de Camors, d’Octave Feuillet, enfin une allusion au Valmont des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Et Maufrigneuse, pseudonyme de Maupassant pour environ quatre-vingt-dix de ses contes, symbolise le monde de la galanterie et du plaisir, illustré par le conteur, qui l’avait largement fréquenté. Ainsi, Maupassant rend hommage au terroir natal, à l’univers romanesque et au monde de l’amour.

Ce triple hommage constitue l’ombre de Maupassant, comme sa légende pour le public. Forte nature, écrivain fécond, grand « vivant », Maupassant s’est usé dans la vie et dans l’art, jusqu’à la folie qui l’emporta. Au cours d’une dizaine d’années, de 1880 à 1890, il écrivit environ trois cents contes, sept romans, trois récits de voyage et un recueil de vers. À José Maria de Heredia il pouvait dire : « Je suis entré dans la vie littéraire comme un météore, j’en sortirai comme un coup de foudre. » Il identifiait ainsi sa vie à son œuvre, mais parce que cette œuvre, riche, étrange, pathétique et vraie, constituait à ses yeux sa vraie vie, son destin et, à maints égards, son énigme.


Une œuvre pleine de vie

« Il est plus varié dans ses types, plus riche dans ses sujets qu’aucun autre conteur de ce temps », a dit de Maupassant Anatole France, qui le sacrait prince des conteurs. En effet, Maupassant possède le don de saisir la vie dans ses aspects les plus intimes, de varier avec une lucidité pénétrante les éclairages et le ton de ses contes, faisant passer le lecteur de la farce au drame, de l’ironie au pathétique, de la perversité à la pudeur. C’est ainsi qu’on a pu dire que son premier recueil, la Maison Tellier, est une clef pour la compréhension de son œuvre entière : en effet, la Maison Tellier est un conte humoristique sur la vie des filles tandis que l’Histoire d’une fille de ferme est le récit grave du sort d’une jeune campagnarde ; l’amour libre est chanté dans Une partie de campagne, et le Papa de Simon conte le bonheur d’un petit garçon qui trouve un père ; la vie bourgeoise est âprement critiquée dans En famille ; la peur, magistralement analysée dans Sur l’eau ; Au printemps, joue à l’amour un vilain tour, et la Femme de Paul expose le cas d’une perversité sexuelle.

La plupart des recueils de Maupassant offrent cette diversité et cette maîtrise dans l’enchaînement des contes, à la source desquels se trouve l’acuité d’observation d’un écrivain qui sent derrière chaque chose, chaque geste, chaque visage l’« humble vérité » cachée. Mallarmé ne s’y trompait pas, qui écrivait que « le prosateur de Boule-de-Suif, Miss Harriett ou la Maison Tellier, pour citer entre tant quelques épanouis chefs-d’œuvre », manifestait « une effervescence de sujets propres à empaumer le lecteur en même temps que conforme tout à son instinct ».

Devant une telle diversité, la recherche de sources ne peut que faire fausse route. Sans doute Maupassant est-il bien l’héritier de certains conteurs français, mais avec lui c’est la veine profonde de Boccace qui resurgit : jusqu’à la période naturaliste, les conteurs — tels que Marguerite de Navarre, Bonaventure Des Périers, La Fontaine, Crébillon fils et même Balzac — n’avaient retenu de l’auteur du Décaméron que les sujets, en négligeant le réalisme et l’art. Maupassant, lui, fait du réalisme le fond de toute son œuvre. Peignant sur le vif, il s’attache à exprimer la réalité ordinaire dans ses vicissitudes et ses variations : l’action qu’il met en jeu est toujours naturelle, le lieu où elle prend place toujours précis, particularisé, le temps où elle se déroule est le temps vécu ; en conséquence, ses personnages sont également situés historiquement et socialement, et sa vision du monde ne doit que peu de chose à l’universel ou au surnaturel.

De cette volonté d’« immanence », proprement naturaliste, se dégage l’« effervescence » de la création : c’est elle qui multiplie les thèmes et les aspects, c’est elle qui fait de l’œuvre de Maupassant un microcosme intime. Ainsi les paysages préférés de Maupassant sont la Normandie, les bords de la Seine et Paris, ces lieux qu’il connaissait bien. Mais même s’il vagabonde, il demeure fidèle, lorsque, par exemple, il peint la grandeur des Alpes (l’Auberge), la Côte d’Azur (les Sœurs Rondoli) ou la sauvagerie de la Corse (Une vendetta). Le temps de ses romans et de ses contes, de même, est le plus souvent celui de la guerre de 1870, des querelles politiques, des mœurs parisiennes et provinciales, c’est-à-dire un temps contemporain, fidèlement reconstitué. Maupassant garde l’humilité du visionnaire.

Ce qu’il désire avant tout, c’est percer à jour, brièvement, les mystères du quotidien. Le monde, à ses yeux, est une illusion vraie qu’il faut détruire pour que naisse et subsiste l’art, qui est peut-être la vérité de l’illusion. Nombre de ses contes, selon cette volonté nettement naturaliste, tendent à dégager la vérité des apparences trompeuses. Sur l’eau en est un exemple accompli et frappant, comme Boule-de-Suif, les Tombales, la Veillée, la Parure, la Petite Roque. Dans l’introduction de Mademoiselle Cocotte, Maupassant écrit : « Les choses les plus simples, les plus humbles, sont parfois celles qui nous mordent le plus au cœur. » L’œuvre de Maupassant présente une multiplicité de lumières qui, illuminant la vie, ouvrent au lecteur un chemin sûr au milieu des contes des mille et une vérités.