Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

marxisme (suite)

• En Russie. Le mouvement se situe autour des discussions entre mencheviks et bolcheviks, d’abord à propos de l’organisation, dont Lénine pose le problème dans son Que faire ? (1902), qui contient les germes de la scission du POSDR au IIe Congrès d’août 1903, et finalement contre Plekhanov, Akselrod et Martov sur la question des alliances de classe, qui devient l’un des fondements de l’interprétation du marxisme. La thèse fondamentale de Lénine, plusieurs fois répétée dans son livre Que faire ?, est la suivante : « Par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste, c’est-à-dire à la conviction qu’il faut s’unir en syndicats, se battre contre les patrons, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers [...]. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées pour les représentants cultivés des classes possédantes, par les intellectuels [...]. » Qu’est-ce qu’implique le trade-unionisme, c’est-à-dire le regroupement et la revendication en syndicats professionnels ? Lénine répond : « Le trade-unionisme, c’est justement l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie. » Par conséquent, « la conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur ». Les thèses du léninisme sont nées (v. Lénine). Cependant, au moment où il arrive en Russie, en avril 1917, Lénine soutient, par les « thèses d’avril », les organisations réapparues spontanément, où les bolcheviks sont minoritaires, les soviets des ouvriers et des paysans : « Tout le pouvoir aux Soviets ! »

Dans la même perspective, Lénine refuse toute alliance avec la bourgeoisie et notamment tout soutien au gouvernement provisoire, ce qui l’oblige à fuir la police de Kerenski en Finlande, où il écrit en août-septembre 1917 l’une des plus remarquables contributions au marxisme, l’État et la Révolution (qui paraîtra en 1918). Il y définit précisément l’action à mener : d’abord l’abolition du parlementarisme, le Parlement n’étant que « bavardage destiné à duper le bon peuple ». La tâche immédiate est ainsi fixée : « C’est nous-mêmes, les ouvriers, qui organiserons la grande production en prenant pour point de départ ce qui a déjà été créé par le capitalisme, en nous appuyant sur notre expérience ouvrière, en instituant une discipline rigoureuse, une discipline de fer maintenue par le pouvoir d’État des ouvriers armés ; nous réduirons les fonctionnaires publics au rôle de simples agents d’exécution de nos directives [...] responsables, révocables et modestement rétribués (tout en conservant, bien entendu, les spécialistes de tout genre, de toute espèce et de tout rang). Voilà par quoi on peut et on doit commencer en accomplissant la révolution prolétarienne. » L’étape ultérieure est la suppression de l’État : « Le prolétariat n’a besoin de l’État que pour un temps. Nous ne sommes pas le moins du monde en désaccord avec les anarchistes quant à l’abolition de l’État en tant que but. Nous affirmons que, pour atteindre ce but, il est nécessaire d’utiliser provisoirement les instruments [...] du pouvoir d’État contre les exploiteurs, de même que, pour supprimer les classes, il est indispensable d’établir la dictature provisoire de la classe opprimée. » Lénine est ainsi contre l’État démocratique : « La démocratie, c’est un État reconnaissant la soumission de la minorité à la majorité ; autrement dit, c’est une organisation destinée à assurer l’exercice systématique de la violence par une classe contre une autre classe [...]. Nous nous assignons comme but final la suppression de l’État, c’est-à-dire de toute violence organisée et systématique, de toute violence exercée sur les hommes, en général. » La disparition de l’État ne peut être que la phase ultime, celle du communisme : « En société capitaliste, nous n’avons qu’une démocratie tronquée, misérable, falsifiée, une démocratie uniquement pour les riches, pour la minorité. La dictature du prolétariat, période de transition au communisme, établira pour la première fois une démocratie pour le peuple, pour la majorité, parallèlement à la répression nécessaire d’une minorité d’exploiteurs. Seul le communisme est capable de réaliser une démocratie réellement complète ; et plus elle sera complète, plus vite elle s’éteindra d’elle-même [...] seul le communisme rend l’État absolument superflu » (l’État et la Révolution). De retour en Russie, Lénine essaie d’appliquer aussi constamment que possible le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets » ; mais par idéologie (la prise de conscience vient aux masses par les intellectuels), par nécessité (les révolutionnaires formés au marxisme sont peu nombreux et ont été longtemps en exil), il joint à ce mot d’ordre la thèse de la primauté du parti. Au sein du parti même, il s’oppose à ceux qu’il appelle gauchistes (le Gauchisme, maladie infantile du communisme, 1920) et, à l’extérieur, aux ultra-révolutionnaires du genre de A. M. Kollantaï. Ces derniers rejoignent l’opposition « conseilliste », condamnée à l’exil après 1924.

D’autres, tels Parvus et Trotski, promoteurs dès 1905 de la théorie de la révolution permanente, pensent que seule la classe ouvrière peut accomplir la Révolution : « L’idée que la dictature du prolétariat dépend en quelque sorte automatiquement des forces et des moyens techniques du pays représente le préjugé d’un matérialisme « économique » simplifié à l’extrême. Cette idée n’a rien à voir avec le marxisme », écrit Trotski dans Bilan et perspectives.


Le marxisme entre les deux guerres

La révolution russe, première révolution prolétarienne victorieuse, produit un effet extraordinaire sur le mouvement ouvrier international. Elle jouit immédiatement d’un prestige sans conteste auprès des révolutionnaires et devient (pour les Français au congrès de Tours, pour les Italiens au congrès de Livourne), le modèle de la révolution, qui est considérée comme proche par tous les révolutionnaires.