Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Maroc (suite)

Les réalisations du premier plan quinquennal (1960-1964) restèrent bien en deçà des projets élaborés ; dans le plan triennal (1965-1967), les investissements ne représentèrent encore que 13,5 p. 100 du produit intérieur brut au lieu des 20 p. 100 escomptés. Le deuxième plan quinquennal (1968-1972), moins ambitieux et mieux structuré, devrait aboutir au véritable décollage économique du pays. Mais, dans l’agriculture, secteur prioritaire, diverses forces d’inertie empêcheront que le taux de croissance dépasse de beaucoup les 2 p. 100 par an, malgré le développement des grands périmètres d’irrigation ; pour l’industrie, un progrès de 4,5 p. 100 est escompté. Le tourisme et la formation des cadres sont l’objet d’attentions particulières.


Le « Maroc utile »... et l’autre

L’organisation régionale est marquée par trois facteurs dominants. Le poids de l’histoire ancienne explique l’existence de vieilles paysanneries à fortes densités de peuplement, principalement dans les deux blocs montagnards du Rif et du pays chleuh. L’empreinte de l’aridité est responsable de la division majeure apparaissant de part et d’autre d’une ligne oblique Goulimine (Gūlimīn)-Oujda et opposant, en deux parties à peu près égales, un Maroc de l’Ouest et du Nord, humide, rassemblant 90 p. 100 de la population (dont 30 p. 100 de citadins), avec une densité voisine de 40 habitants au kilomètre carré, et un Maroc du Sud et de l’Est (5 p. 100 des citadins et une densité inférieure à 5). La puissance de commandement du binôme urbain littoral Rabat-Casablanca, rassemblant plus de 2 millions d’habitants, maître du pouvoir politique et économique, ravale les prestigieuses cités impériales de l’intérieur, Fès, Meknès et Marrakech, au niveau de capitales régionales.

L’axe montagneux central et ses rameaux divergents, le Rif et l’Anti-Atlas, constituent pour le pays à la fois un réservoir d’humidité et de main-d’œuvre. C’est aussi (avec le Plateau central) le bastion du monde berbère. La grande poussée des Ṣanhādjas, nomades depuis le xvie s. jusqu’à l’aube du xxe s., à travers le Moyen et le Haut Atlas central, a séparé deux blocs de sédentaires villageois, Rifains et Chleuhs.

Montagne déchiquetée, le Rif (Rīf) est aussi, avec ses 50 habitants au kilomètre carré, une montagne surpeuplée. La conquête abusive des versants entraîne une violente érosion des sols. L’habileté paysanne associe champs de céréales, vergers d’olivier et de figuier, parcours pour bovins, moutons et chèvres. Le Rif central, avec ses crêtes gréseuses au milieu d’une vigoureuse cédraie et ses étonnants hameaux de chalets, fait figure de haute montagne. À l’ouest, en pays Djebala, le relief s’ordonne en hautes collines à longs versants couverts, à l’état naturel, par des forêts de chêne vert ou de chêne-liège. Les villes saintes de Chaouen ou Chechaouene (Chafchāwān) et d’Ouezzane (Wazzān) sont dépassées par Tétouan (Taṭwān), chef-lieu de la province (140 000 hab.). Vers l’est, dans la province de Nador (Nāḍor), d’étonnantes densités d’occupation du sol, jusqu’à 150 habitants par kilomètre carré, ont obligé, depuis longtemps, les populations à pratiquer l’immigration. L’exploitation des mines de fer d’Ouichane (Wīchān, 800 000 t) ne peut en retenir qu’une faible partie.

Le littoral n’a jamais connu l’animation à laquelle semblait l’appeler le voisinage de la grande voie de passage qu’est le détroit de Gibraltar. Les ports, plus encore que des conditions naturelles difficiles, tels l’ensablement sur l’Atlantique (Larache [al-‘Arā’ich], Asilah [Aṣīlā]) ou la topographie abrupte et les coups de vent sur la Méditerranée (Al-Hoceima [Alhucemas ou al-Husayma]), souffrent du cloisonnement de l’arrière-pays, aggravé pour Al-Hoceima, Ceuta (Sabta) [110 000 hab.] et Melilla (Malīla) [120 000 hab.] par leur nature d’enclaves de souveraineté espagnole. Tanger (Ṭandja) [190 000 hab.] ne tire de sa situation sur le détroit et de ses efforts pour tenir le rôle à la fois d’escale des grandes liaisons internationales et de port du Nord-Ouest marocain que des avantages modestes (trafic de 250 000 t). Le tourisme anime l’ensemble du littoral et compte déjà de grandes réalisations : complexe hôtelier à Tanger, motels et villages de vacances vers Tétouan, Club Méditerranée à Al-Hoceima.

Les pays transatlasiques, l’Oriental et le Sud, font figure de parents pauvres parmi les régions marocaines, car ils sont marqués par les tares de l’éloignement et des difficultés de liaison avec le « Maroc utile », ainsi que par l’empreinte de l’aridité, seuls quelques secteurs montagneux recevant plus de 300 mm de pluie.

Dans le Nord-Est tend à s’organiser une véritable « région ». La culture « en sec » y est encore possible, et les eaux de la Moulouya, retenues par le barrage de Mechra Klila (Machra‘ Qalīla) et dérivées à Mechra Homadi (Machra‘ Ḥummādī), vont permettre d’étendre à 35 000 ha dans la plaine des Triffa (Ṭrīfa) et 30 000 ha sur la rive gauche du fleuve les cultures d’agrumes, du coton, de betterave à sucre, de plantes fourragères. Par contre, les perspectives de l’industrie minière sont médiocres : la mine d’anthracite de Jérada (Djirāda) ne fournit guère plus de 400 000 t, les gisements de plomb et de zinc s’épuisent et la mine de Bou Beker (Bū Bakr) a dû fermer en 1970 ; de même, la chute des cours du manganèse métallurgique a entraîné, en 1968, la fermeture de l’entreprise de Bou Arfa (Bū ‘arfā). La région souffre de l’absence d’un port local et exporte ses produits par Melilla ou par le port algérien de Ghazaouet (ancienn. Nemours), ou encore par Casablanca. Oujda (Widjda, 175 000 hab.) a atteint les dimensions et les fonctions d’une véritable capitale régionale.

Dans le Sud, seules quelques fractions des Aït Yafelman, et surtout des Aït Atta, continuent à fonder leur genre de vie sur le nomadisme pastoral. L’exploitation des gisements de plomb épars à travers le pays est plus le fait de tâcherons à l’outillage rustique que de sociétés modernes. Dans les oasis, l’eau est mesurée, qu’elle provienne de dérivations des oueds allogènes comme le Ziz (Zīz), le Rheris (al-Rhrīs) et le Dra ou Draa (Dar‘a), ou de rhettara creusés dans les nappes alluviales. Mais une maladie, le bayoud, attaque les palmiers, et les dattes sont peu sucrées. Le Tafilalet (Tāfilālt) et la vallée du Dra espèrent une situation améliorée à la suite de la construction des barrages de Foum Rhiour (Fum al-Rhiyūr) sur le Ziz et de Zaouïa N’Ourbaz (Dhāwiya Nūrbāz) sur le Dra. Mais c’est comme relais des circuits touristiques et grâce au pittoresque de leurs palmeraies et de leurs casbahs que les petits centres s’animent actuellement, qu’il s’agisse d’Erfoud, de Ksar-es-Souk (Qaṣr al-Sūq), de Tinerhir (Tīnrhīr), d’Ouarzazate (Wirzāzāt) ou de Zagora (Zārhūrā).