Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Maroc (suite)

En 1932, les jeunes Marocains fondent à Paris, avec la collaboration des Français de gauche, la revue Maghreb pour exposer les objectifs de leur mouvement et dévoiler par la même occasion la politique de protectorat. L’année suivante, ils lancent à Fès un journal en langue française, l’Action du peuple, dans lequel ils s’élèvent contre l’extension de la colonisation rurale et l’état d’infériorité dans lequel on maintient la population marocaine. Mais, en raison de leur rédaction dans une langue étrangère — la création de journaux en langue arabe étant interdite —, ces journaux ne touchent pas la grande majorité des habitants. Aussi, pour agir sur les masses populaires en grande partie analphabètes, d’autres méthodes d’action sont-elles entreprises. Une campagne de boycottage des produits français est lancée ; elle vise la protection de l’artisanat marocain contre la concurrence étrangère. Pour donner à leurs revendications une caution officielle, les nationalistes gagnent la sympathie du sultan Muhammad V* ibn Yūsuf (1927-1961), considéré comme le symbole de la souveraineté nationale. À ces actions s’ajoute un travail d’organisation.

En 1934, ‘Allāl al-Fāsī (1906-1974), Muḥammad ibn Ḥasan al-Wazzānī et Aḥmad Balafredj fondent un parti politique sous le nom de « Comité d’action marocaine » et présentent au Palais royal, à la Résidence générale et au ministère français des Affaires étrangères un « plan de réformes ». Sans contester le principe de protectorat, ils réclament le respect du traité de Fès qui garantit la souveraineté du Maroc. Cela implique la suppression de l’administration directe et la participation des Marocains au gouvernement de leur pays. Pour cela, on demande l’institution de conseils municipaux, d’assemblées provinciales, de chambres de commerce et d’une assemblée nationale élue. Sur le plan économique, les revendications visent essentiellement la modernisation de l’artisanat et sa protection contre la concurrence étrangère ainsi que la nationalisation des ressources minières et des chemins de fer.

En 1936, avec l’avènement du Front* populaire en France, la satisfaction de ce programme modéré paraît possible aux dirigeants du Comité d’action. Ces derniers envoient en France une délégation pour présenter leurs revendications au gouvernement de la République. Ils demandent en outre les libertés démocratiques (liberté de presse, de réunion, d’association, de circulation, libertés syndicales), ainsi que l’amélioration de la situation des ouvriers et des paysans et l’égalité fiscale entre les fellahs et les colons. Mais, l’espoir dans le Front populaire étant très vite déçu, les nationalistes lancent une campagne de propagande et de recrutement pour s’attirer l’appui de la population.

Wazzānī quitte alors le Comité d’action marocaine pour créer le Mouvement populaire (al-ḥarakat al-qawmiyya). ‘Allāl al-Fāsī regroupe ses partisans dans une formation plus radicale, à laquelle il donne le nom de Mouvement national (al-ḥizb al-waṭanī). Cette division des nationalistes, ajoutée au climat d’agitation créé dans le pays en 1937, aboutit à l’interdiction des deux formations politiques et à l’arrestation de leurs dirigeants : ‘Allāl al-Fāsī est déporté au Gabon et Muḥammad Wazzānī exilé au Sahara.


La lutte pour l’indépendance

Le mouvement n’est pas pour autant décapité. L’attitude de la France renforce même l’aile radicale, qui élargit ses assises populaires. En plus de la petite et moyenne bourgeoisie des villes, les nationalistes gagnent progressivement à leur cause de larges fractions des autres classes sociales. Leur audience s’étend à la grande bourgeoisie commerçante, qui supporte mal la concurrence étrangère, au prolétariat né de l’exploitation coloniale et aux masses rurales, rudement touchées par la colonisation des terres.

Fort de l’appui populaire, le mouvement nationaliste abandonne son attitude réformiste pour rejeter le principe du protectorat. Les chefs nationalistes affirment certes, lors de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, la « solidarité franco-marocaine » et offrent même leur « concours devant le péril menaçant », mais, dès la fin des hostilités, ils réclament vigoureusement l’indépendance du pays.

La Seconde Guerre mondiale crée, il est vrai, de nouvelles conditions de lutte. La défaite de la France ébranle son prestige auprès de la population marocaine, et le débarquement des troupes américaines en 1942 rend encore plus sensible son affaiblissement. À cela s’ajoutent les promesses prodiguées par les Alliés aux peuples coloniaux pour les engager dans la lutte contre les forces de l’Axe. La charte de l’Atlantique reconnaît même « le droit de tous les peuples à choisir la forme du gouvernement sous lequel ils veulent vivre ». En 1943, recevant à Anfa le sultan Muḥammad V, le président des États-Unis, Franklin Roosevelt, envisage la perspective de la libération du Maroc avec l’appui américain.

La nouvelle conjoncture va lourdement peser sur le mouvement national marocain. Muḥammad V abandonne son attitude prudente et réservée et s’engage à fond dans l’action politique pour demander l’émancipation de son pays et affirmer sa souveraineté sur le Maroc. Il s’entoure même de jeunes nationalistes et complète à leur contact sa formation politique. À la fin de 1943, il favorise le rapprochement des nationalistes, qui constituent alors al-ḥizb al-Istiqlāl, ou parti de l’indépendance. Le 11 janvier 1944, trois semaines après sa fondation, le nouveau parti soumet au souverain un manifeste réclamant la reconnaissance de l’« indépendance du Maroc dans son intégrité territoriale sous l’égide de S. M. Muḥammad ibn Yūsuf ». Et le sultan ne manque pas de le communiquer, par l’intermédiaire de son entourage, au résident général ainsi qu’aux représentants diplomatiques des puissances alliées.

Muḥammad V apparaît alors comme le chef du mouvement national et prend une part de plus en plus active dans la lutte pour l’indépendance. Reçu par le général de Gaulle en 1945, il fait part au chef du gouvernement provisoire des aspirations du peuple marocain à la liberté. Dans un discours prononcé à Tanger le 10 avril 1947, il souligne le caractère arabo-musulman du Maroc sans faire la moindre allusion à la puissance protectrice. Bien plus, pour affirmer sa souveraineté sur le Maroc, il conteste l’interprétation du gouvernement français selon laquelle les pays du protectorat font partie ipso facto de l’Union française et refuse de signer les mesures législatives et administratives qui lui sont soumises par la Résidence.