Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Marie (suite)

Vers la fin du ier s., l’Évangile de Jean encadre la mission terrestre de Jésus entre deux rencontres du Maître avec sa mère : deux scènes nettement parallèles où Jésus s’adresse à Marie moins en fils qu’en responsable de l’œuvre de Dieu (en la nommant « Femme » et en référence à « l’heure » voulue par Dieu). À Cana, Marie semble inviter Jésus à intervenir (ii, 3). Face à cette suggestion discrète, Jésus revendique sa liberté souveraine dans l’accomplissement de sa tâche (ii, 4 : « Laisse-moi faire »). Ce trait a le même sens que celui de Marc (iii, 31-35) : la mission de Jésus commence ; son enfance est finie et, avec elle, la tâche de sa mère. Pourtant, Marie garde confiance d’être entendue (ii, 5), et Jésus accomplit son premier signe. À la croix, où la mission de Jésus s’achève parce que « l’heure » est venue (xiii, 1 ; xvii, 1), Marie est là de nouveau. Jésus lui présente comme fils le disciple qui représente tous les disciples (xix, 26-27). Ceux-ci sont désormais ses frères (x, 17). Marie est leur mère, comme elle est celle de Jésus.

Il est remarquable que l’Apocalypse, une autre œuvre des milieux johanniques, présente encore cette double maternité dans la vision de la femme qui est à la fois la mère du Messie (xii, 5-6 et 13) et celle de « ceux qui possèdent le témoignage de Jésus » (xii, 17).

Ainsi, le Nouveau Testament fait place peu à peu à Marie dans sa présentation du mystère de Jésus. Ce fait est plein de sens. Il manifeste d’abord le rôle unique de Jésus dans l’œuvre du salut. Il montre aussi que l’Église naissante a progressivement découvert la tâche de Marie. Sans doute est-ce l’expérience de la mission et des services dans les Églises qui a conduit les croyants à percevoir le rôle propre de celle qui s’est vue comme la « servante du Seigneur » (Luc, i, 38).

A. G.


Marie dans la Tradition depuis le iie siècle

Amorcées par Luc et Jean, la prise de conscience et la réflexion sur la situation de Marie à l’intérieur du mystère du Christ se développeront au fil des siècles, suivant l’axe de la foi en la maternité messianique de la Vierge.

Le iie s. (Justin, Irénée) voit naître le thème de la nouvelle Ève, coopératrice de Jésus, le « nouvel Adam », dans l’œuvre divine du salut. Le « oui » de Marie à l’Annonciation, acte éminent de foi obéissante, amorce la guérison de l’humanité perdue par le « oui » d’Ève à la tentation, manque de foi et d’obéissance envers Dieu. La mort nous est venue à cause d’Ève, la vie éternelle grâce à Marie. Ce parallèle antithétique sera pris abondamment par la suite.

Dans les controverses des iiie-ive s. avec le dualisme gnostique et manichéen, la maternité de Marie garantit la réalité de l’incarnation (Tertullien), la conception virginale signifie la filiation du Christ envers Dieu seul (Origène). Virginité toute consacrée à Dieu et à son Fils et sainteté éminente font de Marie le modèle des ascètes chrétiens des deux sexes (Origène, Ambroise).

Au début du ive s., à Alexandrie, Marie reçoit le titre de Mère de Dieu (Theotokos), que ratifiera (431) le concile d’Éphèse, pour affirmer l’unité personnelle du Verbe incarné. Vers la fin du ive s., encore, Ambroise* proposera en exemple aux vierges chrétiennes, avec insistance, Marie toujours vierge. Il reprendra pour cela à son compte le récit d’enfantement miraculeux donné, dès la seconde moitié du iie s., par le Protévangile de Jacques, lequel trouvera par la suite plus d’échos qu’il ne mérite. Augustin*, lui, mettra plutôt l’accent sur l’union spirituelle de Marie, parfaite croyante, avec son Fils. Autre idée importante au ive s. : Marie personnification et modèle de l’Église dans sa maternité virginale (envers les chrétiens).

En attribuant à Marie le titre de Mère de Dieu, l’Église ne prétend pas faire naître d’elle la divinité du Christ. Elle exprime que le Dieu-Fils a reçu de cette femme son existence humaine. Mais c’est capital si le salut des hommes et la pleine glorification de Dieu s’accomplissent par l’incarnation. D’où le culte enthousiaste de louange et d’invocation qui, après le concile d’Éphèse, se développera dans le monde chrétien à l’égard de Marie. Bientôt circuleront des récits merveilleux — et partiellement discordants — sur la dormition (mort non suivie de corruption) de Marie et sur son assomption dans la gloire des ressuscites.

À la suite des Pères de l’Église, la tradition de l’Église byzantine orthodoxe exaltera Marie dans sa doctrine et sa liturgie. La mère virginale du Christ est toute sainte et depuis toujours. Cependant, on refusera l’immaculée conception au sens catholique (voir plus loin), comme dépendant d’une idée purement latine du péché originel. On célèbre l’assomption de Marie comme sa pleine glorification et sa suprême habilitation à intercéder pour nous.

C’est d’Orient que les principales fêtes mariales passeront en Occident à partir du viiie s. Cette influence, conjuguée avec le rayonnement doctrinal d’Ambroise et d’Augustin, va développer dans tout le Moyen Âge latin un fort courant de piété mariale.

Dès le xie s., Eadmer de Canterbury soutient que Marie a été indemne du péché originel : « pleine de grâce » (v. Luc, i, 28 dans la Vulgate latine), elle l’est depuis toujours. Saint Bernard et l’école thomiste objecteront longtemps à cette thèse de l’immaculée conception l’universalité de l’œuvre rédemptrice du Christ, impliquant celle du péché originel. La réponse de Duns* Scot mettra quelques siècles à prévaloir : comme les autres humains, Marie est rachetée par le Christ, mais de façon préventive.

Grâce à la prédication de saint Bernard, le xiie s. voit un grand essor de la piété mariale : on recourt à l’intercession de la « médiatrice de toute grâce » (titre venu d’Orient), on lui dédie maintes cathédrales. Mère du Christ, Marie l’est aussi de ses disciples, qu’elle a reçus pour fils au Calvaire. Dès le xiiie s., saint Bonaventure* ébauche l’idée de la corédemption mariale : en offrant sa souffrance unie à celle de son Fils, Marie a pris part au sacrifice rédempteur. On sera désormais très sensible à la compassion de la Vierge au pied de la Croix, puis à la Pietà portant sur ses genoux le cadavre du Crucifié.