Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Marathes (les)

Selon l’acception que l’on donne à ce terme, marathe peut désigner soit les castes dominantes du peuple parlant marāṭhī, soit l’ensemble du peuple. Socialement parlant, ces rudes montagnards des Ghāts peuvent se classer en deux groupes principaux : une caste de brahmanes très fermée (les brahmanes chitpāvan du Konkan) et une majorité de sūdra (v. Inde, religions).


Si, jusqu’au xviie s., les pays qui devaient former le Mahārāshtra avaient connu de brillantes dynasties (Cālukya de Pulakeśin II, Rā ‥ rakūṭa, Cālukya de Vikramāditya, Yādava et plus tard les nombreux États musulmans issus de la désagrégation du royaume des Bahmanides), ce ne fut pas le fait des Marathes, qui n’étaient jusqu’alors pratiquement pas entrés dans l’histoire. Cette fantastique poussée marathe au xviie s. reste d’ailleurs difficile à expliquer. L’historien britannique Percival Spear parle même à ce sujet d’un des « mystères de l’histoire indienne ». Sans doute l’intolérance religieuse des Moghols, à son apogée sous Awrangzīb (1618-1707), l’exceptionnelle envergure de Śivājī Bhonsle (1627-1680) sont-elles des éléments d’explication. Elles ne sont néanmoins pas suffisantes.

Rien, au xviie s., ne laissait présager aux Marathes un tel destin. À cette époque, la plupart de leurs chefs avaient pris du service, au sens médiéval du terme, auprès des souverains musulmans dont, en échange, ils recevaient des djāgīr (v. Inde, histoire). L’un d’eux, Shāhjī Bhonsle, était ainsi plus ou moins vassal du souverain de Bijāpur. C’est à son fils Śivājī que devait revenir l’honneur de faire entrer les Marathes dans l’histoire. Śivājī était un bon meneur d’hommes, un remarquable tacticien de la guérilla, à laquelle le pays montagneux se prêtait d’ailleurs admirablement. À partir de 1655, profitant de la décadence de l’État de Bijāpur, il se tailla une véritable principauté à ses dépens. De plus, il prit la précaution de s’emparer d’une série de forts ceinturant les Ghāts, plaçant ainsi l’embryon du futur grand État marathe dans une situation quasi inexpugnable.

La chute vers 1565 du dernier bastion de résistance hindoue, l’empire de Vijayanagar, allait faire de Śivājī le nouveau champion de l’hindouisme. Il fut vivement encouragé dans cette voie par le grand poète marathe Tukārām (1609-1649) et le chef religieux Rāmadās (début du xviie s.), qui le persuadèrent que là était son dharma. En 1662, le Bijāpur, trop faible pour résister à l’entreprenant Marathe, reconnaissait l’indépendance du nouveau jeune État : le Svarājya (ou État indépendant). Śivājī, dès lors, devenait un adversaire valable pour les Moghols.

L’oncle d’Awrangzīb, Shayista khān, et le propre fils de l’empereur, Muazzam, tentèrent, sans succès, d’étouffer ce nouveau péril. Mieux, en 1664, la mise à sac du grand port moghol de Surat par les Marathes amena Awrangzīb à envoyer contre eux son meilleur général : le rājā Jai Singh. Acceptant de négocier, Śivājī se rendit à la cour impériale d’Āgrā. Mais cette entrevue entre le dernier des grands Moghols et le premier des chefs marathes tourna court. Arrêté, Śivājī ne dut son salut qu’à une fuite aussi précipitée que romanesque.

Cet épisode ne fit d’ailleurs qu’accroître son prestige. En 1674, il « sacralisait » son pouvoir en se faisant couronner roi dans sa capitale de Rājghar (ou Rāighar). Le rôle du prestigieux leader (il devait mourir en 1680) avait été considérable. Restaurateur d’une nouvelle fierté nationale hindoue bien malmenée depuis la chute de Vijayanagar, il avait eu en outre le mérite de doter son pays d’infrastructures militaires, administratives, sociales et économiques solides. L’appel au sentiment national et à certaines valeurs traditionnelles (défense de l’hindouisme, de la vache, du pays) l’avait permis. Il avait été aussi nécessaire d’alimenter le trésor de guerre marathe. Peut-être inévitables sur le strict plan financier, les taxes qu’il multiplia eurent de lourdes conséquences politiques en rendant l’administration marathe de plus en plus oppressive, donc impopulaire. C’était d’autant plus grave qu’après 1680 se posait le problème de l’après-sivājīsme.

Le fils, assez médiocre d’ailleurs, de Śivājī, Śambūjī (1680-1689), fut vaincu par Awrangzīb et mis à mort ; l’État marathe fut brisé, mais l’empereur moghol ne put ni contrôler efficacement le Deccan ni reprendre aux Marathes cette précieuse ceinture de forts dominant les Ghāts. Cela ne fit d’ailleurs que renforcer les Marathes dans leur croyance en la toute-puissance de la guérilla. Mais, trop souvent, cette forme d’action militaire s’accompagna du pillage des pays voisins. De libérateurs et de restaurateurs de la légitimité hindoue, les Marathes devinrent vite aux yeux des Indiens, hindous ou musulmans, suspects d’impérialisme, suivant en cela un processus analogue aux armées françaises de la Révolution ou de l’Empire. Cet aspect, qui aurait pu être catastrophique, fut escamoté par la décadence profonde du pouvoir moghol après la mort d’Awrangzīb, et, sous la conduite des peśvā, les Marathes allaient dominer tout le xviiie s. indien.

À l’origine, le peśvā n’était qu’une sorte de Premier ministre, mais peu à peu la fonction tendit à devenir héréditaire, le peśvā jouant le rôle d’une sorte de « maire du palais », surtout à partir de Bālājī Visvanāth (1714-1720) et de son fils Bāji Rāo Ier (1720-1740).

Dans cette première moitié du xviiie s., l’expansion territoriale des Marathes fut spectaculaire (jusqu’en Orissa [ou Urīsā] et au Bengale), mais l’ampleur même de cet accroissement amena des changements sinon dans la théorie des institutions, du moins dans la pratique du pouvoir. À côté du peśvā, gouvernant de Poona (ou Puna) le Mahārāshtra proprement dit, on trouve des sortes de satrapies plus ou moins dépendantes de Poona aux mains de généraux marathes : Gaekwar gouvernait le Gujerat, Bhonla l’Inde centrale, tandis qu’Holkar et Sindhia contrôlaient Indore et Gwālior. L’ensemble formait le Samrājya (Empire marathe), sur lequel le peśvā avait une suzeraineté plus ou moins réelle.