Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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maniérisme (suite)

En Hollande, on passe directement du Moyen Âge au maniérisme. Ses principaux représentants séjournent en Italie : Jan Van Scorel*, dont les portraits ont la distinction froide de ceux du Bronzino, et ses disciples Maarten Van Heemskerk (1498-1574), impressionné par Michel-Ange et conquis à l’érotisme mythologique (Vénus et l’Amour, musée de Göteborg), et Antoon Mor, dit Antonio Moro (v. 1519-1576), qui devint le portraitiste préféré de Philippe II d’Espagne.

À la fin du xvie s., la tradition maniériste est bien établie aux Pays-Bas. Marten de Vos* (1532-1603) fonde la « confrérie des romanistes », ce qui est tout un programme. Carel Van Mander (1548-1606), chef de l’école maniériste de Haarlem et auteur d’un Livre de peinture, Hendrick Goltzius (1558-1617), brillant graveur, Cornelis Cornelisz (1562-1638), sensuel et outré, et Abraham Bloemaert (1564-1651) propagent au xviie s. un maniérisme qui se nuance des apports du caravagisme. Hans Vredeman de Vries, dessinateur, décorateur, architecte, assure la diffusion de l’ornement dans tous les pays nordiques.

À la fin du xvie s. et au début du xviie, le centre le plus florissant du maniérisme international se trouve à Prague, patronné par les Habsbourg, et surtout par Rodolphe II, qui attire des artistes de toutes nationalités. Le plus original, un Anversois d’origine, Bartholomäus Spranger (1546-1611), fait figure de chef d’école avec son imagination morbide, un dessin fougueux, des couleurs qui se heurtent. À côté de lui se distinguent Hans von Aachen (1533-1615), Joseph Heinz (1564-1609) et surtout Friedrich Sustris (1540-1599), adepte des figures ondoyantes et des architectures complexes ; il travailla aussi en Italie et en Bavière.

Les autres régions de l’Europe occidentale se rallièrent également. En Lorraine, le graveur Jacques Bellange (1594-1638) confère à ses figures étirées et à ses drapés sinueux quelque chose de mystique. En Angleterre, Nicholas Hilliard (1547-1619) est un portraitiste élégant et nerveux. En Espagne, le maniérisme se nourrit du mysticisme local ; Luis de Morales* et le Greco* accordent les déformations maniéristes à la ferveur religieuse.


La sculpture maniériste

La sculpture maniériste, comme la peinture, naît sur le sol italien et dans le sillage de Michel-Ange, qui a inventé la fameuse linea serpentina, ployant le corps humain autour de lui-même, et qui a montré la voie des entrelacements de corps, à deux ou trois personnages. Quelques caractères généraux de cette sculpture sont à retenir : recours fréquent à la mythologie, progrès de l’allégorie ; goût pour le gigantesque — voire le monstrueux, comme dans l’Apennin du jardin Boboli à Florence — et, à l’opposé, pour la petite statuaire en bronze, plaisir de collectionneur raffiné ; déploiement d’une importante sculpture de plein air, d’un art de jardin qui correspond à l’évolution du genre de vie. La plupart des grands sculpteurs du xvie s. ont travaillé à des projets de fontaines.

Au début du siècle, les sculpteurs de Florence, quand ils tentent d’échapper à l’énorme emprise de Michel-Ange, se tournent vers les formes de Léonard ou de Raphaël : ainsi Giovan Franceso Rustici (1474-1554) tente-t-il de traduire dans le bronze l’art du maître de la Joconde (Prédication de saint Jean-Baptiste, baptistère de Florence), cependant qu’Andrea Sansovino* adopte la manière de Raphaël (Sainte Anne, Sant’ Agostino de Rome). Son disciple Jacopo Sansovino*, dans un style souple et éclectique, modèle la Venise du xvie s. en tant que sculpteur, mais aussi comme architecte et, en cela, il rivalise avec Palladio*. Curieux cas que celui de Baccio Bandinelli (1488-1560), qui, dévoré de la rage d’égaler Michel-Ange et d’effacer ses rivaux, tombe dans une manière figée et glacée. Le Tribolo (Niccolo di Raffaello de’ Pericoli, 1500-1550), premier grand artisan des fontaines pour les villas médicéennes, réalise, avec le labyrinthe à Petraia et la fontaine d’Hercule à la villa di Castello, des modèles riches d’avenir. La plus douée et la plus turbulente personnalité du milieu du siècle est un orfèvre qui se hausse à la grande sculpture, Benvenuto Cellini*. Son incongrue salière de François Ier est le type même du joyau maniériste, et son Persée de la Loggia dei Lanzi (Florence) brandit fièrement l’horreur d’une tête dégouttant de sang.

Le langage du maniérisme florentin gagne l’Italie grâce à des artistes comme Fra Giovanni Angelo Montorsoli (1507-1563), qui implante à Messine des fontaines admirées. Bartolomeo Ammannati, architecte et sculpteur (1511-1592), contribue à l’ornement de Florence, mais travaille aussi à Rome, où il collabore avec Vasari à la chapelle funéraire del Monte à San Pietro in Montorio. Vincenzo Danti (1530-1576) est le seul artiste de sa génération qui puisse vraiment se mesurer avec un génie venu du Nord, Giambologna*, né à Douai et formé à Mons par Jacques Dubrœucq (v. 1500/1510-1584), qui a déjà assimilé le maniérisme. Giambologna pousse jusqu’à l’extrême limite les défis contre la pesanteur et multiplie les points de vue en tordant le corps de ses personnages au sourire vide (l’Enlèvement d’une Sabine, Loggia dei Lanzi) ; son influence est profonde, et sa renommée internationale. Des artistes milanais comme les Leoni (Leone, le père, 1509-1590 ; Pompeo, le fils, 1537-1608), par leurs allées et venues au service des Habsbourg, en Autriche, à Bruxelles et en Espagne, contribuent à l’internationalisation du style (monuments funéraires de Charles V et de Philippe II à l’Escorial). Venise bénéficie d’un grand portraitiste, Alessandro Vittoria (1525-1608).

En France, la sculpture maniériste s’est introduite grâce à Cellini, qui fit un séjour à la Cour, et grâce aux stucateurs employés à Fontainebleau. L’ébranlement causé est sensible dans l’œuvre d’un artiste d’une rare élégance, Jean Goujon*, qui sut ne pas se contenter d’imiter les Italiens. Germain Pilon* s’oriente certes vers un équilibre classique, mais les grâces de sa Valentine Balbiani jouant avec un petit chien, en contraste avec son squelette mangé par la vermine, appartiennent bien à l’esprit du temps, tout comme les autres essais macabres dans le domaine de la sculpture funéraire, au premier rang desquels ceux du Lorrain Ligier Richier*.