Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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magie (suite)

Le fétichisme

Le mot fétiche vient du portugais feitiço, qui signifie « objet féerique, enchanté ou divin, rendant des oracles ». Phénomène typiquement africain, le fétiche est constitué par des animaux ou des choses divinisés ou doués de vertu surnaturelle (amulettes, talismans, préservatifs). Le culte qui lui correspond — si culte il y a — ne s’adresse pas à ces êtres ou choses en tant que telles, contrairement à ce qui a trop longtemps été affirmé par l’anthropologie. Si, contre l’avis des meilleurs ethnologues actuels, la notion de fétiche devait être maintenue, il faudrait évacuer la signification positiviste de ce terme, qui connote un culte dégénéré ou une superstition et qui occulte la dimension symbolique du fétiche, sa capacité propre de renvoyer au-delà de lui-même. Loin de présenter une fascination du concret, de l’objet matériel, le fétiche, qui n’est qu’une des manifestations de la croyance magique, est toujours le signe d’une vertu, d’une potentialité ; c’est celle-ci qui est adorée en lui. Il existe des fétiches de tribus, d’ethnies, mais la plupart sont domestiques ou propres à un individu ; quant au culte s’y rapportant, il est personnel, rendu sans la médiation d’une caste sacerdotale ou d’un ministre : la spiritualité qu’actualise le fétiche est directement accessible à l’individu.

N. D.


Les théories psychanalytiques de la magie

Aux thèses ethnologiques et sociologiques « classiques » et « intellectualistes », qui sont fort loin de s’accorder entre elles sur les points fondamentaux de leur analyse de la magie, depuis les découvertes de Sigmund Freud* et son célèbre ouvrage Totem et tabou (1912), succède une autre tendance de la critique moderne. Freud considère que la magie constitue la partie la plus primitive et la plus importante du « mode de pensée animiste », dont le principe repose à la fois sur la « toute-puissance des idées » et sur la sexualisation considérable de la pensée à ce stade, dit narcissique, de l’évolution individuelle et collective. Dans le processus animiste magique, la capacité de « projection » du désir est activée au possible par le conflit entre les tendances qui luttent pour atteindre la toute-puissance, la domination entière du monde, et les prohibitions résultantes.

La valeur magique des appels et des désirs de l’enfant, qui déterminent dans le milieu paternel et familial toute une série de comportements appropriés, constitue, de façon aussi évidente, une réalité expérimentale primordiale pour l’inconscient. Comment l’enfant, au stade oral, ne croirait-il pas dans la toute-puissance de son cri puisqu’il suffit, lorsque sa mère s’est éloignée, à lui rendre de nouveau présente et palpable la satisfaction de ses désirs les plus profonds ?

Au moment du sevrage, les images du sein maternel sont brisées, et, après cette rupture, la libido investit le moi, qui devient le miroir de l’objet aimé, créant un monde narcissique dans lequel le désir n’est pas séparé de sa réalisation, une modalité narcissique de la libido et qui succède, sur le plan de l’ontogénie, c’est-à-dire du développement de l’individu, au stade oral antérieur. De même, sur le plan de l’évolution de l’espèce, de la phylogénie, l’imagination magique liée à la toute-puissance du désir reproduit ce monde narcissique. Ce n’est qu’après l’échec des rêves que s’effectuent la projection de la libido sur des objets extérieurs et le passage du stade magique au stade animiste.

Freud avait distingué la magie de la sorcellerie, car, contrairement à cette dernière, « elle fait, au fond, abstraction des esprits », observation que semble avoir quelque peu négligée Geza Roheim, dont les théories assimilent le sorcier à la puissance phallique de la tribu, à un substitut du père de la collectivité primitive. Selon Roheim, la force magique ne serait qu’une « projection de la puissance phallique hors de soi pour opérer sur la victime un coït sadique à distance précédé de castration ». Si les analyses de Roheim permettent de comprendre les significations sexualisées de l’agressivité magique dans certains cas, elles sont fort loin de pouvoir expliquer, comme celles de Freud, l’imagination magique diffuse, pour ainsi dire, à l’état « naissant » et à un stade antérieur à tout cadre écologique et institutionnel. Cependant, il s’agit de savoir si l’analyse de Freud ne s’applique pas à un mécanisme très général de l’intuition symbolique comme de son langage et à l’imagination magique plutôt qu’à la magie. Jean Cazeneuve a rappelé fort justement que la magie et ses pratiques impliquent autre chose qu’une simple satisfaction symbolique du désir : une « force numineuse », une puissance extraordinaire liée à l’efficacité supposée des rites, pouvoir mystérieux qui comporte cependant des normes opératives fort précises en même temps qu’une croyance en son existence réelle.

De plus, on ne constate nulle part dans les sociétés primitives l’existence d’une magie sans rituel, c’est-à-dire, qu’on le veuille ou non, sans une première rationalisation de l’irrationnel, sans une utilisation normative ni sans des jugements de valeur qui portent sur l’efficacité de procédés transmis par une tradition, une pédagogie et une initiation.

Toutes les qualités de l’objet symbolisé ne sont pas également significatives, ni opératives. Les techniques magiques impliquent un choix dans les procédés et les moyens de satisfaction des désirs individuels et collectifs. L’imagination magique constitue donc la matière première, encore informe, de la magie, au même titre que la pensée scientifique objective est la condition initiale de l’apparition de la science. De même que la science ne se constitue vraiment qu’au stade de ses opérations expérimentales, d’un accord de prévision portant sur leurs processus et d’une communication possible de leurs résultats dans un langage cohérent, celui des mathématiques, la magie n’existe, en fait, que postérieurement à l’imagination magique, au stade de ses opérations rituelles, de ses techniques toujours étroitement spécialisées et de son langage particulier, celui des correspondances symboliques.

C’est pourquoi une véritable approche des problèmes posés par la magie exige une distinction fondamentale entre deux aspects coexistants de la connaissance humaine : la logique de l’identité et la logique de l’analogie.