Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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machinisme agricole (suite)

La vie familiale s’en trouve également améliorée puisque l’épouse de l’agriculteur est beaucoup moins sollicitée pour apporter un complément de main-d’œuvre dans les champs aux périodes de pointe. La mécanisation créant ces transferts d’activité est un facteur de progrès économique, puisque la réussite d’une entreprise agricole mécanisée est liée à une organisation rationnelle des chantiers qui engendre tout naturellement la réflexion économique sérieuse. Ce processus est accéléré par l’utilisation de matériels puissants et coûteux. Le chef d’entreprise doit étudier très soigneusement cette substitution de deux moyens de production (le capital remplace du travail). Le phénomène, accentué par la spécialisation nécessaire des matériels et des entreprises, entraîne l’agriculture vers une sorte d’industrialisation, mais une industrialisation difficile, car soumise aux rythmes biologiques.

• Principaux inconvénients de la mécanisation agricole
L’industrialisation de l’agriculture n’est pas sans poser de graves problèmes. Certains inconvénients apparaissent nettement, et, sans tomber dans la nostalgie un peu périmée de la poésie du travail manuel aux champs, il est bien nécessaire d’imputer au développement du machinisme agricole certaines difficultés de l’agriculture.

• Coûts élevés des matériels. Les équipements agricoles efficaces sont coûteux, d’autant plus qu’ils sont souvent produits en séries beaucoup trop restreintes par une industrie encore très artisanale. La rentabilité — c’est-à-dire la faculté d’apporter davantage de profit à l’entreprise qu’un autre moyen de production — de certains équipements est parfois douteuse dans des exploitations aux dimensions étriquées. L’économie de l’entreprise devient de plus en plus difficile à maîtriser. La machine est alors un facteur de déséquilibre ; elle contribue principalement à l’endettement croissant des agriculteurs. Mais, précisons-le, il s’agit là d’une mécanisation mal comprise. La machine n’est qu’un moyen de production particulier. La réflexion économique doit accompagner la réflexion technique, et il ne faut pas chercher la mécanisation à tout prix.

La mécanisation est certainement un facteur d’accélération de l’évolution des structures agricoles : l’utilisation de matériels puissants, efficaces, coûteux en investissements et en frais de fonctionnement pousse vers l’accroissement des surfaces tractées par la machine. D’où les différentes tendances constatées : accroissement des dimensions des entreprises individuelles et réduction du nombre d’exploitations, utilisation en commun des moyens de production, au niveau de la terre ou au niveau des équipements, transfert de la charge en capital en aval de l’agriculture (contrats avec des industries de transformation), etc. Il est bien difficile de porter un jugement de valeur sur cette évolution, dont la mécanisation n’est d’ailleurs pas la seule cause. Il faut aussi remarquer que l’évolution des structures se répercute également sur la conception des matériels. C’est une influence réciproque, et il est difficile de distinguer la cause de l’effet.

• Vieillissement technique. La vie d’un matériel agricole est nécessairement limitée malgré une utilisation discontinue : au bout de 10 000 heures de fonctionnement, un tracteur peut être usé ; au bout de 6 ou 7 campagnes de moisson, une moissonneuse-batteuse peut être bien fatiguée. Les faibles durées d’utilisation annuelle obligent souvent à allonger les durées de l’amortissement comptable des équipements. Le matériel agricole est donc soumis plus que tout autre au vieillissement technique. Avant d’être matériellement usé, le matériel est démodé, et l’agriculteur est tenté par une nouvelle machine à meilleures performances. Cette obsolescence du matériel est particulièrement accentuée en agriculture.

• Polyvalence et spécialisation. Compte tenu du caractère aléatoire de la production agricole, les machines agricoles ont été et sont encore souvent peu spécialisées pour s’adapter aux circonstances. Cette polyvalence n’est pas un facteur de réussite en mécanique, à moins de concevoir des ensembles extrêmement complexes, donc peu compatibles avec les investissements courants agricoles. Par ailleurs, la spécialisation des entreprises et la normalisation excessive du produit par la sélection génétique, par exemple, sont des facteurs favorables à la mécanisation. Par contre, cette uniformisation peut déboucher sur une baisse de la qualité du produit. C’est ce qui se passe pour certains produits animaux (élevages industriels) ou certains fruits ou légumes. De même, il faut accepter parfois avec la mécanisat on totale un taux de pertes supérieur à celui que l’on rencontrait en récolte manuelle. Malgré ces pertes supérieures, le bilan est d’ailleurs souvent positif, compte tenu du coût de la main-d’œuvre.

La machine fournit un produit de qualité moyenne, uniforme. Les produits de très haute qualité, faisant davantage appel au travail manuel, deviennent des produits de luxe (exemple : les poulets « fermiers ») qui seront peut-être la chance des très petites exploitations.

L’augmentation relative du coût de la main-d’œuvre, plus rapide que celle des équipements, est certainement le moteur le plus puissant de la mécanisation : pour une production donnée, si la mécanisation est impossible dans l’état actuel de la technique, la production se raréfie ou disparaît ; si elle correspond à un besoin puissant, elle subsiste comme production de luxe, ou bien on invente de nouvelles machines.

La spécialisation des entreprises paraît inéluctable en France, si l’on se réfère à l’évolution d’autres pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne. La très petite exploitation familiale de polyculture-élevage que l’on trouve en France ou en Allemagne de l’Ouest paraît fortement menacée et même condamnée à plus ou moins brève échéance, selon que l’État lui accorde plus ou moins de subventions directes ou indirectes. Cette évolution, conséquence partielle de la mécanisation, peut être considérée comme un bien ou comme un mal selon le point de vue auquel on se place. Sans porter de jugement de valeur, on peut constater qu’en Europe occidentale on s’achemine vers des activités agricoles spécialisées, tant dans le domaine végétal (avec la contrainte des rotations culturales), que dans le domaine animal. Les élevages « industriels » indépendants deviennent très courants en élevage du porc et des volailles : on verra peut-être bientôt des élevages bovins ou ovins, hautement mécanisés, s’approvisionnant en matière première dans des ateliers végétaux indépendants et eux-mêmes spécialisés dans un type de production.