Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anthropologie physique (suite)

xviie et xviiie s. : principes et ébauches de classification

Petit à petit, les documents s’amoncellent, pêle-mêle et de valeur inégale. Aussi devient-il nécessaire de mettre un peu d’ordre dans les groupes humains, afin de voir avec exactitude en quoi ils diffèrent les uns des autres. Ce besoin de classifier, qui aboutira à la publication du Systema naturae de Linné* à partir de 1735, est le premier tournant crucial de l’anthropologie, celui qui engage son devenir vers la systématique zoologique : on admet enfin que les Hommes puissent être répartis en catégories analogues à celles que le botaniste ou le zoologiste établissent chez les plantes et chez les animaux.

Les travaux de Linné et de son contemporain Buffon* sont ainsi le point de départ d’une série d’investigations qui vont se libérer d’un empirisme jusque-là exclusif et introduire dans l’étude de l’Homme des procédés rigoureux de classification : progrès incontestable, car l’esprit humain est tel qu’il a obligatoirement besoin de cadres conventionnels pour s’y retrouver dans la mouvante complexité des êtres vivants ; mais aussi grave danger, surtout quand l’Homme est son propre objet d’étude, car, étant capable d’agir partiellement sur son milieu, l’Homme diffère profondément des autres êtres vivants.


xixe s. : hypothèses directrices et codification des techniques

L’anthropologie se trouvait à l’aube du xixe s. en bonne voie de réalisation. Il lui manquait cependant une théorie générale sur les rapports entre les êtres vivants, qui lui fournît des hypothèses pour interpréter les causes de la variabilité humaine. Elle la trouvera dans le transformisme de Lamarck* (1809), conception biologique de l’évolution, reprise et développée par Darwin* en 1859 dans son livre De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle.

En cette même année 1859 naît la Société d’anthropologie de Paris, et Paul Broca (v. aphasie), son fondateur, rédige quelques années après les premières instructions précises sur les observations descriptives et les techniques métriques dans l’investigation des groupes humains. Les structures de base sont en place, et on accumule dès lors les mesures pour définir les caractères les plus aptes à différencier les populations humaines entre elles, ainsi que par rapport aux autres Mammifères. C’est à ce moment seulement que l’anthropologie physique commence à manifester son indépendance vis-à-vis de l’ethnographie.


xxe s. : vers une anthropologie dynamiques

Dérivée de l’anatomie comparée et de la systématique zoologique, l’anthropologie physique du début de notre siècle était parvenue à des classifications raciales dans lesquelles les divers types humains passés et actuels étaient diagnostiqués par un petit nombre de caractères, presque tous morphologiques, dont on ne connaissait que l’aspect phénotypique par lequel ils se manifestaient chez l’Homme ; mais on ignorait tout du mécanisme génétique par lequel ils se transmettaient héréditairement. Or, en même temps, on était parvenu à une définition des races admettant que celles-ci représentaient des variétés de l’espèce humaine, dont les caractères semblables étaient maintenus stables durant un certain temps par transmission génétique. L’anthropologie devait à tout prix sortir de ce dilemme sous peine d’être acculée dans une impasse.

C’est alors qu’on s’est tourné vers l’anthropologie physiologique, nouvelle venue mise à la mode par les groupes sanguins, caractères stables au cours de la vie, relativement indépendants du milieu et dont, à la suite des travaux de Mendel*, on commençait à entrevoir comment ils se transmettaient héréditairement. Aussitôt, les rapides progrès de la biologie humaine, le perfectionnement des tests statistiques, les apports de la génétique des populations et de la démographie ouvraient incontestablement à l’anthropologie physique des horizons nouveaux. Les vieux problèmes, plus ou moins éludés par les anthropologistes classiques, resurgissaient, et d’autres apparaissaient ; il fallait trouver pour les uns et les autres des solutions nouvelles qui ne soient pas contradictoires. De là vient le malaise actuel de cette science, encore profondément enracinée, par ses synthèses présentes, dans la description phénotypique des groupes humains, mais décidée à rénover les connaissances déjà acquises pour s’orienter vers une forme de recherche en profondeur, plus dynamique, et dans laquelle on vise à une meilleure compréhension génotypique des complexes raciaux. Pour approcher de ce résultat, il faudrait déterminer avec un minimum de certitude la part qui revient au milieu et celle qui dépend de l’hérédité dans le mécanisme des variations des caractères anthropologiques. Vers cet objectif s’orientent toutes les recherches actuelles et futures.


Anthropologie morphologique

Support le plus ancien de l’anthropologie physique, l’investigation morphologique fait appel à de très nombreux caractères, qui peuvent être relevés sur des sujets vivants, sur des ossements et sur des cadavres. Tous ces caractères, descriptifs ou métriques, n’ont pas la même importance, et nous ne parlerons que des principaux, ceux que l’anthropologiste utilise couramment pour fournir le signalement différentiel des types humains.


Pigmentation

La couleur de la peau, des cheveux et des yeux présente, suivant les races, des différences plus ou moins accusées. Elle est due à la présence de petits grains d’un pigment jaunâtre, la mélanine, qui varient en abondance et en répartition, provoquant ainsi les diverses nuances observables dans la pigmentation des individus.

La couleur de la peau constitue une différenciation très apparente des groupes humains, et c’est sur elle que repose la distinction des trois grands groupes adoptés par la majorité des classifications : Blancs (Leucodermes), Jaunes (Xanthodermes), Noirs (Mélanodermes). À l’intérieur de ces groupes, toutes les variantes existent, mais, malgré une légende qui sévit encore, on ne trouve pas de peuples à la peau naturellement rouge. La tache pigmentaire congénitale, dite à tort « tache mongolique », n’est qu’une particularité de la pigmentation de la peau ; composée d’un amas de mélanine qui prend une forme, une grandeur, une couleur et une situation variables, elle se remarque chez les nouveau-nés en proportion différente suivant les races, puis elle disparaît à un âge également variable. Longtemps considérée comme spécifique du groupe jaune, où on la rencontre effectivement avec une extrême fréquence (80 à 100 p. 100), elle se manifeste aussi chez les Noirs d’Afrique (40 à 80 p. 100), chez ceux de l’Inde (30 à 50 p. 100) et, si son pourcentage s’avère insignifiant chez les Européens (1 à 2 p. 100), il remonte sensiblement chez les Blancs d’Afrique (25 à 50 p. 100). Ce caractère offre de l’intérêt dans les études de métissage, mais sa signification demeure obscure, certains le considérant comme un vestige de la pigmentation des grands Singes, qui, presque disparu chez les Leucodermes, aurait subsisté partiellement chez les Mélanodermes et plus complètement chez les seuls Xanthodermes.