Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XVIII (suite)

Conscient du danger, le souverain revient précipitamment en France. Dans une proclamation, il reconnaît la possibilité d’erreurs commises par son gouvernement et assure qu’il tirera les leçons de l’expérience. La Charte et les garanties qu’elle implique seront maintenues. Si les instigateurs des Cent-Jours devront être châtiés, les Français égarés bénéficieront de la clémence royale.

Louis XVIII, qui est à Saint-Denis dans les premiers jours de juillet, a deux appuis : Wellington et Fouché. Ce sont les tortueuses négociations du ministre de la Police qui aboutissent à faire accepter par les Alliés la seconde Restauration. Louis XVIII rentre dans sa capitale le 8 juillet. Mais, pour beaucoup, il n’est plus que le souverain ramené « dans les fourgons de l’étranger » et qui doit subir la pression des circonstances.

Le roi, en effet, souhaite retrouver rapidement une situation intérieure stable. Sans illusions sur l’attachement de ses sujets au drapeau blanc, il les traite en privé de « jacobins » et de « scélérats », mais il sait qu’il va lui falloir faire taire les rancunes et pacifier les esprits : la sauvegarde de la couronne est à ce prix.

En attendant, la réaction est féroce. Bonapartistes, libéraux et protestants subissent les représailles de la Terreur blanche, que Louis XVIII n’a certes pas ordonnée, mais qu’il semble cautionner. On porte au débit du régime le second traité de Paris, l’occupation et ses pillages.

À Paris, une Chambre « introuvable » de royalistes exaltés est sortie des urnes, et l’orientation qu’elle préconise laisse prévoir de nouvelles convulsions. En fait, la monarchie demeure constitutionnelle, et le roi va être amené à appuyer pendant plusieurs années une politique libérale.

La seconde Restauration maintient la Charte, qui, si elle respecte les libertés fondamentales, n’en accorde pas moins au souverain des pouvoirs considérables. Le roi dispose seul de l’exécutif et consent à partager avec les Chambres le pouvoir législatif. Lui seul propose la loi, la sanctionne et la promulgue.

Si l’on s’en tient à la lettre de la Charte, les Chambres ont la faculté de « supplier » le roi de proposer une loi — toujours ce goût pour la terminologie d’Ancien Régime. Les ministres sont les hommes du roi ; les institutions, des dispositions auxiliaires destinées à faciliter l’exercice de la souveraineté. En réalité, la Charte assure les garanties fondamentales d’un système constitutionnel, et le roi les respectera. Louis XVIII est en effet un homme d’Ancien Régime, imbu des droits de sa naissance, et dont l’allure débonnaire masque un tempérament autoritaire. Mais ce Bourbon est un réaliste, qui a le sens de la mesure et qui comprend la nécessité de composer avec les idées du temps. À partir du moment où chacun s’est accordé à reconnaître solennellement son auguste prééminence, il est prêt à laisser faire les hommes qu’il a choisis. L’essentiel pour lui est de ne pas apparaître comme lié à un parti et à une politique. Le roi ne doit pas hésiter à sacrifier un serviteur si les oppositions qu’il suscite ou le discrédit dont il est l’objet risquent de limiter la liberté du souverain.

Louis XVIII n’a pas les qualités d’un homme d’État. Il s’entend peu aux affaires, et les détails de la machine gouvernementale l’ennuient.

Mémorialistes et hommes politiques sont unanimes à parler de sa dignité naturelle et de l’effort prodigieux qu’il fait pour conserver, malgré ses infirmités, la majesté qui convient à la personne royale. Mais Louis XVIII sait mieux l’étiquette que l’administration. Très influençable, il s’en remet souvent à ceux que leur habileté ou les circonstances lui imposent. Les conseils de cabinet sont de mornes séances qu’il n’anime guère. Le souverain préfère le contact personnel et recherche l’homme de confiance susceptible de le décharger des soucis du gouvernement et, à l’occasion, d’endosser les responsabilités. Rapidement, il se laisse circonvenir par Decazes*.

Dès 1816, le ministre de la Police fait le siège du roi et sait se rendre indispensable. L’orientation politique qu’il expose est de nature à emporter la conviction et l’appui du roi : pour retrouver la paix intérieure et réconcilier la France et la dynastie, il faut pratiquer une politique de juste milieu, susciter un parti royaliste et libéral, et juguler les fractions extrémistes, même si elles se couvrent du drapeau blanc.

Pendant quatre ans, Louis XVIII soutient Decazes, au besoin contre sa propre famille, à commencer par son frère, le comte d’Artois, porte-parole des « ultras ». C’est contre ces derniers que le roi utilise pour la première fois son droit de dissolution, en renvoyant la Chambre introuvable le 5 septembre 1816, contre eux encore qu’il enlève à Monsieur le commandement de la garde nationale.

Les rapports du souverain avec son favori tiennent bientôt de l’affection sénile. Decazes traite directement avec le roi, à l’écart du cabinet. Le ministre de la Police sait satisfaire le goût douteux de Louis XVIII pour les ragots scandaleux. Le « cabinet noir » est la source d’informations préférée du roi, qui ne sait pas distinguer le vrai du faux dans ces conspirations étranges qu’on lui présente et qui l’indignent.

L’assassinat du duc de Berry (févr. 1820) met fin à la carrière de Decazes. Louis XVIII sacrifie « son cher fils », le comble de titres et l’oublie rapidement. La « troisième Restauration » commence. La réaction est brutale et maladroite (loi de sûreté générale, loi sur la presse, loi du double vote).

L’opposition, rejetée dans l’illégalité, se lance dans la Charbonnerie. Les conseils de guerre fonctionnent de nouveau comme en 1815, et c’en est bien fini de l’espoir de réconciliation des deux Frances. Les dernières années du règne apportent à la dynastie des satisfactions appréciables : naissance du duc de Bordeaux (le futur comte de Chambord) en 1820 et expédition d’Espagne en 1823. Louis XVIII, qui se désintéresse de plus en plus du gouvernement, laisse faire les hommes de l’heure, c’est-à-dire la droite. Après le duc de Richelieu, on lui impose Villèle qu’il finit par adopter, peut-être justement à cause de son peu d’envergure. Car le roi craint les fortes personnalités, et le renvoi brutal de Chateaubriand en 1824 est significatif.

Tombé sous l’influence d’une aventurière, Zoé Talon, comtesse du Cayla (1785-1852), Louis XVIII ne joue plus qu’un rôle de figurant vénéré. Rongé par la gangrène, il perd progressivement ses facultés intellectuelles et meurt le 16 septembre 1824.

J. L. Y.

➙ Cent-Jours (les) / Charles X / Decazes / France / Louis XVI / Napoléon Ier / Restauration.