Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Louis XIV (suite)

Dossier démographique

À une époque où le travail musculaire est l’énergie essentielle, la grande force du pays, c’est le nombre de ses travailleurs. Démographiquement, la France est le premier pays d’Europe avec 18 millions d’habitants environ, plus que tout l’Empire germanique, trois fois plus que l’Angleterre. Démographie stagnante, d’ailleurs, où les familles nombreuses, contrairement à la légende, sont rares. Les familles ont quatre ou cinq enfants en moyenne. Sur 100 enfants qui naissent, 50 n’atteignent pas l’âge adulte, 25 disparaissent entre vingt-cinq et quarante ans, 10 seulement deviennent sexagénaires. Ainsi, à cause de la mortalité précoce, l’espérance d’âge moyenne est seulement de vingt-cinq ans environ. Ce taux de remplacement voisin de l’unité est donc très fragile et à la merci d’une crise. Or, les crises démographiques sont alors fréquentes. Elles sont provoquées essentiellement par des famines dues à la cherté des blés, à la suite de mauvaises récoltes consécutives à des conditions climatériques défavorables.

Les épidémies diverses, appelées uniformément pestes, ne sont que les conséquences des pénuries alimentaires. Au cours de ces crises, qui touchent principalement les catégories les plus pauvres (les plus importantes se situant en 1661-1664, 1693-94 et 1709-10), on voit le prix du pain tripler, les taux de décès quadrupler et les conceptions baisser d’autant. Puis, après l’élimination des faibles (vieillards, enfants malades), la récupération est aussi rapide que la récession, et les vides sont rapidement comblés, jusqu’à la prochaine crise qui rétablira de nouveau l’équilibre entre la population et les subsistances.


Dossier économique

L’importance de ces problèmes s’explique par le fait que l’immense majorité des sujets du Grand Roi travaille à la terre ou en vit (85 p. 100 de paysans et 8 p. 100 de rentiers du sol) ; l’économie fondée sur les produits agricoles est une économie de subsistance caractérisée par la prédominance absolue de l’agriculture vivrière et singulièrement des céréales, à cause des faiblesses de la production et des rendements. C’est l’insuffisance des engrais qui en est responsable : inexistence des engrais chimiques et faiblesse du bétail. Cette économie est paralysée par la médiocrité des échanges, causée par le mauvais état des routes, la forme de la monnaie et les douanes intérieures.

La société tout entière repose donc sur la paysannerie. Celle-ci, d’ailleurs, est loin de constituer un groupe homogène ; depuis les gros « fermiers de seigneurie » jusqu’aux simples « manouvriers », on trouve toute la gamme des situations allant de l’aisance à la plus grande indigence. Cependant, sous Louis XIV, le sort de toutes ces catégories va plutôt en s’aggravant. Impôts et prélèvements de toutes sortes s’abattent sur tous les paysans : tailles et gabelles royales, droits seigneuriaux, dîmes ecclésiastiques, rentes à payer aux bourgeois propriétaires.

Par contre, les rentiers du sol, eux, semblent prospérer. Au cours du règne, la rente foncière, surtout jusque vers 1680, ne cesse de monter. Les grosses propriétés terriennes sont en effet entre les mains de la noblesse, de l’Église, de la bourgeoisie des villes, qui, tous, depuis le xvie s., rassemblent les terres et constituent de grands domaines au détriment des paysans, de plus en plus endettés à cause des charges qui pèsent sur eux. Par exemple, dans la Brie, la noblesse possède deux cinquièmes des terres, le clergé un cinquième, la bourgeoisie urbaine un cinquième. Le cinquième restant est la propriété des paysans, divisée généralement en nombreuses parcelles, trop minces pour assurer la subsistance d’une famille.

La place de l’industrie et du commerce et l’œuvre de Colbert doivent, sans être minimisées, être comprises dans cette perspective et ces proportions. L’artisanat urbain ne groupe en effet que quelques dizaines de milliers d’ouvriers. La masse la plus importante est rurale et constituée par de petits artisans-paysans qui y trouvent un salaire complémentaire indispensable. Ainsi, dans l’Amiénois, l’industrie rurale de tissage n’a cessé d’augmenter sous Louis XIV et, à la fin du règne, elle égale en importance l’industrie urbaine.

Cet essor de l’industrie rurale, particulièrement important à partir de 1680. époque précisément où la rentabilité de la terre diminue, démontre cependant que si l’industrie et le commerce sont quantitativement inférieurs à l’activité agricole, à laquelle ils sont d’ailleurs liés, leur importance au point de vue de l’expansion économique est considérable. À côté d’une agriculture qui stagne, la croissance industrielle et commerciale du xviie s. continue celle du xvie s. et annonce le « décollage » du siècle suivant.

Industrie et commerce sous Louis XIV : état actuel des recherches

L’état actuel des recherches sur l’économie du xviie s. tend à réviser certains jugements. Les thèses les plus récentes laissent penser que l’aspect tragique du siècle, avec ses crises agricoles engendrant mortalité et épidémies, a été abusivement étendu à tous les secteurs de la vie économique. Industrie et commerce n’ont cessé de se développer. Les demandes grandissantes faites aux pays de la Baltique en matières premières industrielles (fer, lin, chanvre) en sont le témoignage. L’essor général du commerce extérieur français du xviie s. s’accélère sous l’influence de Colbert à partir de 1660. Il se traduit par la croissance de Marseille et du commerce du Levant et des ports de l’Atlantique : Bordeaux, Nantes, Saint-Malo avec le début du trafic antillais.

Les effets de cette prospérité commerciale n’influencent pas seulement les régions côtières, mais l’intérieur du territoire. Ainsi, les textiles français exportés en Espagne et au Nouveau Monde font la prospérité d’Amiens et compensent les effets du déclin agricole en Picardie.

Ils développent considérablement, surtout à partir de 1680, l’industrie rurale en Picardie, Beauvaisis et Languedoc. En un mot, le plus grand mérite de Colbert est d’avoir épargné à la France le sort de l’Espagne. En luttant contre l’oisiveté, il suit l’exemple anglais et hollandais et engage par là même l’économie française sur les voies de l’avenir.