Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Antarctique (suite)

L’eau froide et faiblement salée qui la transporte provient du mélange de l’eau côtière avec des montées de l’eau sous-jacente, que l’on reconnaît à partir de 200 m de profondeur à sa salinité et à sa température. Son ascendance peut donner lieu à des divergences temporaires (divergence antarctique) ou permanentes (divergence intermédiaire, de Bouvet), où l’intensité du mouvement semble en relation avec la fréquence des passages cycloniques. À ces montées se trouve associé un enrichissement en phosphates, qui est, avec l’illumination, l’agent essentiel du prodigieux développement planctonique de l’été. Ces eaux sont alors les plus productives de tout l’Antarctique, teintées de jaune par la masse des diatomées, qui sont ici particulièrement abondantes, trouvant dans les silicates les éléments nécessaires à l’édification de leur squelette. Aussi, sur le fond, les sédiments glaciaires, de plus en plus mal alimentés, sont-ils progressivement supplantés par le dépôt des coques siliceuses de ces algues, dont l’accumulation (à une vitesse variant entre 5 et 200 mm par millénaire) donne une boue d’un jaune crémeux. La présence dans ces eaux oxygénées des petits crabes du genre Euphausia (ou krill) explique la grande densité des animaux supérieurs, surtout des grandes baleines, dont la baleine bleue, Balenoptera musculus, le plus grand mammifère connu. Le voisinage des îles est fréquenté par de grands troupeaux d’animaux amphibies : morses, otaries, éléphants de mer et phoques (de Ross, de Weddell, blancs), qui passent l’hiver dans les déchirures de la banquise et l’été sur les grèves. Mais ils sont la proie des grands carnassiers, comme les léopards des mers ou les épaulards. Enfin, on trouve en troupes nombreuses les poissons et les manchots migrateurs, qui prennent ici leurs quartiers d’hiver.

C’est sur les îles isolées par la banquise que les baleiniers et les phoquiers installèrent jadis des bases pour le dépeçage et le traitement des gros cétacés, qui ont fait l’objet de véritables hécatombes. Certaines installations n’eurent qu’une durée éphémère, surtout à la suite de la raréfaction des proies ; quelques stations ont été aménagées, comme sur les îles Balleny, et surtout en Géorgie du Sud, qui fournit les deux tiers de la production mondiale d’huile de baleine et où se regroupent à Grytviken, le chef-lieu, les flottes baleinières de toutes les nationalités.


La ceinture subantarctique

Au-delà de la limite moyenne de la banquise, les eaux de l’océan Austral sont moins froides, surtout lorsque est franchi le front antarctique, où l’on enregistre une augmentation subite de 5 à 6 °C sur une distance d’un degré de latitude. Les floes deviennent exceptionnels, sauf pendant les hivers les plus rigoureux, mais les icebergs sont rois. Ils sont particulièrement abondants au sud du front, où Shackleton décrivit une « véritable Venise de glaces ». Au-delà, ils sont exceptionnels et, livrés à l’assaut des vagues énormes et des courants tièdes, ils sont creusés de grottes, de portiques, transformés en une architecture aussi bizarre que fragile : ils se cassent, se désagrègent et sont la proie de chavirements successifs et dangereux. Ce ne sont plus d’altières montagnes tabulaires et miroitantes, mais des chicots informes qui n’apparaissent qu’à certaines années comme apportés par de subites débâcles ; ils n’atteignent jamais le front subtropical.

Ils dérivent, portés par le grand mouvement circumpolaire d’ouest, dont l’ampleur et la régularité sont exemplaires, et qui entraîne les eaux antarctiques et subantarctiques à la vitesse moyenne de 1 km/h. Au sud du cap Horn, cette dérive devient un véritable courant dépassant plusieurs kilomètres à l’heure. Aussi l’influence du fond est-elle déterminante sur la formation de grandes sinuosités bouclées, comme le courant des Falkland ou le tourbillon Bounty-Campbell. Si le front subtropical, très sinueux, varie fortement en latitude selon les saisons, le front antarctique présente une remarquable stabilité géographique, fait qui tendrait à prouver qu’il n’est pas seulement conditionné par le champ isobarique, mais également par la topographie du fond, puisqu’il s’avance vers le nord sur les dorsales, mais glisse vers le sud au-dessus des cuvettes. Il n’en demeure pas moins que cette sédentarité fait du front antarctique une très nette frontière biogéographique, où disparaissent les eaux froides, peu salées, riches en oxygène, en silicates et en diatomées ; au-delà, les eaux plus tièdes sont moins riches, et peuplées par des organismes planctoniques à tests calcaires prédominants. Ce passage s’exprime directement par un changement dans la nature de l’épais revêtement sédimentaire qui ennoie les reliefs les plus irréguliers : aux boues à diatomées succèdent les dépôts calcaires blanchâtres, où dominent les globigérines. Ce n’est que dans les cuvettes les plus déprimées que les tests calcaires ont donné lieu à la formation caractéristique des boues rouges. En plus de la profondeur, donc de la pression, une telle dissolution peut s’expliquer par l’écoulement vers le nord de l’eau antarctique de fond, qui a un grand pouvoir solvant. Divers carottages (tels ceux réalisés dans les parages des îles Crozet) ont révélé la présence de boues à diatomées sous l’actuel dépôt de globigérines : le front antarctique a donc occupé une position plus boréale lors d’un maximum glaciaire, accompagnée d’une expansion de l’eau de fond, comme en témoigne la présence d’argile rouge sous les boues calcaires.

Le circuit circumpolaire puise son énergie dans les « grands frais d’ouest », qui soufflent avec constance dans la rainure de basses pressions, où les dépressions atmosphériques se succèdent avec une force rare, et à une cadence estimée à 10 ou 15 par mois dans les alentours des îles Kerguelen, quelle que soit la saison. Les vents, qui travaillent sur une mer sans obstacle, y soulèvent les plus fortes vagues du monde, qui atteignent couramment 6 à 7 m, et dépassent 12 à 13 m lors des tempêtes : au cours de sa première croisière antarctique, l’Ob a enregistré, le 22 avril 1956, une vague monstrueuse de 24,9 m.