Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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logique (suite)

Les summulistes se sont intéressés notamment à la théorie de la supposition (c’est-à-dire de la dénotation des termes). Une distinction importante, et qui a cours depuis Shyreswood, est celle de la supposition « matérielle » et de la supposition « formelle » : un terme est utilisé en supposition matérielle lorsqu’on s’en sert pour le désigner lui-même (usage autonyme), en supposition formelle lorsqu’il est employé, comme c’est le cas normalement, pour la désignation d’autre chose. La supposition fait partie d’une famille de notions comme « signification », « copulation », « appellation », etc., qui servent à décrire les différentes fonctions possibles des mots ou des expressions dans les propositions. L’intérêt des summulistes pour les questions sémantiques les a conduits également à étudier de près une distinction qui remonte en fait beaucoup plus haut qu’eux (peut-être jusqu’aux stoïciens) : celle des termes catégorématiques et des termes syncatégorématiques. Alors que les termes catégorématiques ont une signification par eux-mêmes, en ce sens qu’ils sont des signes pour certains objets, les termes syncatégorématiques (par exemple les connecteurs propositionnels, la copule « est », les quantificateurs « tous les », « quelques », etc.) n’acquièrent de signification que lorsqu’ils sont combinés avec des termes catégorématiques. Les nombreux traités qui portent, dans la logique médiévale, le titre de Sophismata seront consacrés non pas exactement à l’étude de ce que nous appellerions des « sophismes », mais plutôt à l’analyse de propositions qui présentent une ambiguïté caractéristique due, par exemple, à la présence de termes syncatégorématiques (délimitation imprécise de ce que nous appelons la « portée » d’un opérateur). Un autre thème important, au développement duquel Duns Scot a apporté une contribution décisive, est celui de l’obligatio. La notion d’obligatio renvoie à un système d’assertions que l’on se propose de défendre et dont il s’agit d’examiner les conséquences pour voir s’il n’entraîne aucune impossibilité. Ce problème n’est pas sans analogie avec celui qui a trait à la « consistance » d’un système hypothético-déductif.

De Raymond Lulle, on signalera simplement qu’il est l’inventeur d’un dispositif relativement primitif et assez limité dans ses possibilités pour la mécanisation de la déduction syllogistique. Bien que Leibniz ait dit de sa méthode qu’elle était l’« ombre seulement de la véritable combinatoire », il faut lui reconnaître néanmoins le mérite d’avoir anticipé de façon confuse l’idée d’une caractéristique et celle d’un calcul logique.


La « Logique des Modernes » (Logica Modernorum)

L’opposition des antiqui et des moderni est une opposition qui porte non pas comme celle de l’Ars vetus et de l’Ars nova sur le contenu proprement dit, mais plutôt sur le traitement de la logique, les premiers ayant tendance à voir en elle un instrument au service de la métaphysique et de la théologie et les seconds à la considérer comme une discipline autonome. Les grands moderni du xive s. sont Guillaume* d’Occam (v. 1300 - v. 1349), Walter Burley ou Burleigh (v. 1275 - v. 1345), Jean Buridan (v. 1300 - apr. 1385) et Albert de Saxe (1316-1390). Dans les années 1300 commence ce qu’on peut appeler la période classique de la logique scolastique. L’impulsion essentielle semble être venue d’Angleterre (Roger Bacon*, v. 1214-1292). Cette période, que l’on appelle quelquefois terministe et qui a eu naturellement des antécédents au cours des xiie et xiiie s., se caractérise par des tendances formalistes et nominalistes (mais Burley s’est opposé directement à Guillaume d’Occam sur le problème des universaux) nettement accusées. La logique est bien séparée de la métaphysique et considérée avant tout comme une science du discours. Guillaume d’Occam est célèbre surtout par son nominalisme, qui est en réalité plutôt un conceptualisme, et par l’énoncé du principe appelé rasoir d’Occam, qui recommande l’élimination des entités superflues. Il est l’auteur de plusieurs « sommes de logique », dans lesquelles il apporte notamment des prolongements et des raffinements à la théorie des syllogismes modaux. Une des créations les plus intéressantes des logiciens de cette période est la théorie générale des « conséquences », qui inclut finalement comme une partie relativement mineure la théorie du syllogisme, chose qui apparaît pour la première fois de façon absolument nette dans le De puritate artis logicae de Burley. Les traités De consequentiis contiennent les lois fondamentales du calcul des propositions moderne et également certaines des lois du calcul des prédicats. Elles ne sont cependant pas formulées sous forme de lois, mais plutôt dans un métalangage sous forme de règles d’inférence.

Le terme conséquence est utilisé au Moyen Âge tantôt pour désigner une proposition de la forme « si..., alors », tantôt pour désigner une inférence. La distinction la plus importante est celle des conséquences formelles et des conséquences matérielles. Une conséquence formelle est définie par Buridan comme une conséquence telle que toute proposition ayant la même forme est une conséquence valide. En d’autres termes, une conséquence formelle correspond à ce que nous appellerions une implication logique ou une inférence logiquement, c’est-à-dire formellement, valide. Alors que, dans une conséquence matérielle, l’impossibilité pour le conséquent d’être faux lorsque l’antécédent est vrai ne se fonde pas seulement sur les règles d’usage des constantes logiques, mais également sur le sens des termes catégorématiques, comme par exemple lorsque je dis : « Si quelque homme court, alors quelque animal court. »

Avec la constitution de la théorie des conséquences se trouve reconnue ce que nous appellerions l’antériorité du calcul des propositions sur le calcul des prédicats (dont fait partie la syllogistique), c’est-à-dire le fait que le syllogisme, considéré jusque-là comme la forme élémentaire de l’inférence valide, est en réalité sous la dépendance de formes d’inférence plus primitives, celles qui reposent sur la logique des propositions inanalysées.