Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

logique (suite)

Peut-être est-il finalement plus judicieux de segmenter, comme le fait J. M. Bochenski, le développement de la logique en fonction de quelques grandes périodes novatrices (auxquelles on peut rattacher de part et d’autre des préliminaires et des prolongements), séparées par des périodes de mise en sommeil relatif ou complet. Les époques véritablement créatrices sont : dans l’Antiquité, les ive et iiie s. av. J.-C. ; au Moyen Âge, les xiiie et xive s. ; à l’époque moderne, la période qui va du milieu du xixe s. à nos jours. D’où un découpage de l’histoire de la logique occidentale (il n’est malheureusement pas possible de parler ici d’une autre logique importante : la logique indienne) en cinq grandes périodes, deux périodes de stagnation venant s’intercaler entre trois périodes de création.


L’Antiquité


Aristote*

On fait commencer traditionnellement l’histoire de la logique ancienne avec Aristote. Cela ne signifie évidemment pas qu’il a fallu attendre Aristote pour que la logique soit utilisée, mais simplement qu’Aristote a été le premier à éprouver le besoin d’expliciter et de recenser systématiquement un certain nombre de principes et de procédures logiques que l’on utilisait jusque-là sans les mentionner.


Théophraste (v. 372 - 287 av. J.-C.)

Les œuvres de cet élève d’Aristote étant pour la plupart perdues, nous ne disposons guère à son sujet que de renseignements indirects, dus en particulier à Alexandre d’Aphrodisias. Ce que nous savons de lui permet de se rendre compte que son apport personnel a consisté essentiellement à développer et à corriger sur certains points la doctrine de son maître. Une de ses initiatives a été d’ajouter aux modes de la première figure du syllogisme assertorique les cinq modes que l’on appellera plus tard « modes indirects » et qui se distinguent des quatre modes « parfaits » en ce que, dans la conclusion, c’est le petit terme qui est prédiqué du grand. Mais les contributions les plus importantes de Théophraste concernent la logique modale, où, d’après Bochenski, on lui doit deux innovations importantes : (1) l’interprétation du contingent, identifié avec le possible, non plus au sens bilatéral où l’avait pris Aristote (non-impossible et non-nécessaire), mais au sens unilatéral (non-impossible) ; (2) l’affirmation et l’utilisation conséquente du principe selon lequel la conclusion suit toujours la prémisse la plus faible (principe qui était respecté dans la syllogistique assertorique, mais non dans la syllogistique modale d’Aristote). Il est permis de considérer également que ses recherches concernant les syllogismes « analogiques » (hypothétiques) anticipent jusqu’à un certain point le calcul des propositions stoïcien.


Mégariques et stoïciens*

À bien des égards, la logique de l’Antiquité atteint son apogée avec ce qu’on appelle la logique des stoïciens et que l’on devrait sans doute plutôt appeler la logique mégarico-stoïcienne, parce que les stoïciens en ont emprunté l’essentiel à une école philosophique antérieure, contemporaine et rivale d’Aristote. L’école de Mégare a été fondée par Euclide de Mégare (v. 450 - v. 380 av. J.-C.), un disciple de Socrate*. Parmi les philosophes qui en ont fait partie, trois méritent une mention spéciale : Eubulide, Diodore et Philon le Mégarique. Eubulide est l’inventeur de paradoxes célèbres, dont le plus fameux est celui du menteur. Un homme dit qu’il ment : ce qu’il dit est-il vrai ou faux ? Les mégariques semblent avoir été, d’une manière générale, des maîtres dans l’art d’embarrasser l’adversaire par des arguments captieux. Mais leur contribution ne se borne pas à cet aspect éristique et négatif. Diodore Cronos († 296 av. J.-C.) et son élève Philon se sont opposés sur un point qui semble avoir été un objet de querelles incessantes parmi les mégariques et les stoïciens : ce que nous appellerions la « table de vérité de l’implication », c’est-à-dire la question de savoir quelle valeur de vérité on doit attribuer à une proposition de la forme « si A, alors B » pour chacune des combinaisons de valeurs de vérité possibles des deux propositions qui la composent. La conception de Philon correspond à celle du calcul des propositions modernes, c’est-à-dire à ce que nous appelons depuis Russell l’« implication matérielle » : la proposition composée est fausse uniquement si, des deux propositions composantes, la première est vraie et la seconde fausse ; elle est vraie dans tous les autres cas. La conception diodoréenne est moins claire : elle consiste, d’après Sextus Empiricus, à dire qu’une implication est vraie si elle n’a jamais pu ni ne peut avoir un antécédent vrai et un conséquent faux. Cela semble vouloir dire qu’une implication est valide au sens diodoréen si elle est valide dans toutes les circonstances possibles au sens philonien. Par exemple, la proposition « Si c’est le jour, il fait clair » est vraie au sens diodoréen si, et seulement si, pour toutes les valeurs de t, la forme propositionnelle « Si c’est le jour au temps t, alors il fait clair au temps t » est une implication philonienne vraie. Sextus Empiricus (iie-iiie s.) mentionne deux autres interprétations proposées par des logiciens de l’école mégarico-stoïcienne, dont l’une correspond à ce que nous appelons l’« implication stricte » : une proposition de la forme « si A, alors B » est vraie si, et seulement si, la négation de B est logiquement incompatible avec A.

Le logicien le plus original et le plus fécond de l’école stoïcienne a été indiscutablement Chrysippe (281-205 av. J.-C.), qui a bénéficié dans l’Antiquité d’une réputation comparable et quelquefois supérieure à celle d’Aristote lui-même. L’idée que l’on peut se faire de la logique stoïcienne (essentiellement d’après les fragments cités et les commentaires — souvent peu sympathiques — fournis par des auteurs postérieurs) est celle d’une logique déjà très raffinée et formalisée, tout à fait différente de celle qui avait été construite par Aristote. Il s’agit d’une logique des propositions, alors que la syllogistique était une logique des propriétés (des classes) ou des termes : les stoïciens utilisent des variables qui prennent comme valeurs des propositions, alors que les variables aristotéliciennes étaient des variables d’attribut ou de classe. C’est, en outre, une logique qui énonce des schémas d’inférence valide, alors que celle d’Aristote s’exprime habituellement dans des formes propositionnelles implicatives. La négation et les liaisons interpropositionnelles usuelles (et, ou, si... alors, etc.) sont interprétées, comme nous le faisons aujourd’hui, en termes de « fonctions de vérité », et certaines possibilités de définition des connecteurs propositionnels les uns par les autres sont clairement reconnues. Les inférences sont bien distinguées des implications correspondantes.