Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anorexie (suite)

Le traitement est difficile. Il exige d’abord la séparation d’avec le milieu familial, séparation totale, sans visites. Des méthodes brutales de « déconditionnement » ont été utilisées, mais on préfère aujourd’hui la psychothérapie, qui cherche à libérer, par l’expression verbale, les structures inconscientes de la malade, et à la faire accéder à une maturation affective et à une réorganisation de ses liens filiaux. Cependant, le refus d’accepter la situation de malade et les soins ne facilite pas la tâche du thérapeute. Dès que possible — et ceci est plus facile aussi en milieu hospitalier —, on luttera contre la cachexie et contre les troubles endocriniens associés.

R. M.

➙ Appétit.

Anouilh (Jean)

Auteur dramatique français (Bordeaux 1910).


Le premier essai dramatique de Jean Anouilh, Humulus le muet, écrit à dix-neuf ans, est toujours au répertoire des jeunes compagnies. Quarante ans plus tard, Cher Antoine (1969) est salué comme un chef-d’œuvre par une critique quasi unanime. Voilà bien l’auteur le plus célèbre et le plus méconnu. Tout vient de ce que son œuvre demeure étrangère aux deux grandes aventures théâtrales de l’après-guerre, la recherche d’un théâtre populaire et l’avant-garde des années 50. Les défenseurs du nouveau théâtre ont d’ailleurs fait de lui leur cible préférée, bien qu’il ait, non sans élégance, contribué au succès des Chaises de Ionesco et de En attendant Godot de Samuel Beckett, qu’un public, le sien, refusait de prendre au sérieux.

Comme Albert Camus et Jean-Paul Sartre, Jean Anouilh est un héritier de Jean Giraudoux et du Cartel. Son premier grand succès, le Voyageur sans bagage (1937), porte la marque de Siegfried. Il a la chance, après des débuts difficiles, d’attirer l’attention de Georges Pitoëff, grâce auquel il fait d’abord figure d’auteur d’avant-garde, avant de donner ses lettres de noblesse au Boulevard littéraire. L’Atelier d’André Barsacq et la Comédie des Champs-Élysées sont tour à tour ses fiefs. Souvent même les théâtres parisiens affichent deux ou trois pièces de lui en même temps.

Son public refuse à la fois les balivernes du Boulevard et les outrances de l’avant-garde. Il demande au théâtre un divertissement de qualité, où la comédie de mœurs et le drame de style débouchent sur une réflexion familière mais sans vulgarité, poétique sans excès de lyrisme, impertinente mais non subversive. Mesurant ses propres limites dès son départ, Jean Anouilh s’est efforcé de répondre à ces exigences. Il vise souvent assez bas de peur de passer trop haut.

Les premières pièces d’Anouilh centrent l’action sur le personnage de la jeune fille, vue comme le stéréotype d’une pureté intransigeante qui préfère la mort de l’hermine ou la solitude de la sauvage à la souillure du réel. Cette jeune fille pauvre vient tout droit des « deux orphelines », avec sa petite lumière (elle s’appelle souvent Lucile) et ses deux sous de violettes. Elle offre la fraîcheur, le calme, la simplicité à ceux dont le cœur a été corrompu par l’argent, la célébrité, la mondanité. Par malheur, la pauvreté corrompt autant que la richesse. Elle abîme, elle salit, elle rapetisse toute chose. Jean Anouilh méprise l’argent, mais il hait la pauvreté, et à travers elle il hait les pauvres. La vulgarité, la sottise, la mesquinerie des pauvres qui besognent autour de Lucile, musiciens de brasserie, petits commerçants, théâtreux de tournée, dépassent en horreur les vices des riches. Ainsi le théâtre de Jean Anouilh s’est teinté d’un cynisme de moins en moins supportable, d’autant que son pessimisme viscéral n’était soutenu par aucun nihilisme tragique. Théâtre d’humeur et non théâtre de pensée. Pourtant, à la Libération, Antigone (1944) a pu figurer aux côtés des Mouches de Sartre et de Caligula de Camus, comme pièce témoin d’une époque en proie au tragique moderne. Or, l’échec d’Antigone signe en quelque sorte l’arrêt de mort de la sauvage. Par la suite, Jean Anouilh n’a manqué aucune occasion de stigmatiser l’idéalisme de la gauche, de tourner en dérision les valeurs humanitaires de la Révolution française et de la Résistance.

Pour échapper à la pauvreté, les pauvres n’ont plus d’autre choix qu’entre la mort et la corruption. Ils sont condamnés à entrer dans le jeu sans espérer y gagner la désinvolture élégante dont jouissent les riches par droit de naissance. C’est dans la Répétition ou l’Amour puni (1950) que Lucile reçoit de Héro le roué la leçon dont elle ne se relèvera plus. Antigone entame un pas de danse avec les toréadors. Rien ne vient compenser la débâcle des valeurs, ni le regard candide de l’ingénue, ni la mesure d’un raisonneur moliéresque. Or, Anouilh sent naître en lui l’ambition d’être le Molière de son temps et de faire le procès comique de l’homme, « animal inconsolable et gai ». À sa manière, il refait Dom Juan (Ornifle ou le Courant d’air, 1955), le Tartuffe (Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes, 1956), le Misanthrope (l’Hurluberlu ou le Réactionnaire amoureux, 1959), multipliant les mots d’auteur et les allusions déplaisantes à l’actualité. Son anarchisme de droite se déploie contre les libéraux et les révolutionnaires. Parallèlement se poursuit la démythification des héros de la tragédie, de l’histoire et de la légende. Après Shaw, il interprète l’aventure de Jeanne d’Arc (l’Alouette, 1953), après T. S. Eliot, celle de Thomas Becket (Becket ou l’Honneur de Dieu, 1959). Et, dans chaque cas, il rapproche son héros de l’humanité moyenne, identifiée au public de Boulevard, en regardant le personnage par le petit bout de la lorgnette. Ce recours aux intercesseurs par la médiation de son propre public a d’ailleurs quelque chose d’émouvant. C’est à deux autres intercesseurs, Tchekhov et Pirandello, qu’il a encore fait appel pour se mettre lui-même en question dans la plus sincère de ses pièces, Cher Antoine (1969), avant de retrouver sa désinvolture avec les Poissons rouges (1970) et le Directeur de l’Opéra (1972).

A. S.