Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Liban (suite)

La montagne libanaise : peuplement et vie traditionnelle

À la base de l’État se trouve en effet une accumulation exceptionnelle de population. Elle s’explique par des conditions naturelles particulièrement favorables. Parmi les montagnes littorales du Moyen-Orient*, le mont Liban (djabal Lubnān) est la plus élevée (dépassant 3 000 m) et par conséquent la plus arrosée. Il s’y ajoute une dissymétrie topographique particulièrement propice : le versant oriental est abrupt, tandis que le versant occidental est en pente relativement douce et largement ouvert aux effluves maritimes. Du côté des vents pluvieux s’étendent des plateaux subhorizontaux ou en faible pente. Par ailleurs, l’emmagasinage et la résurgence des eaux sont assurés par une disposition lithologique favorable. Les précipitations infiltrées dans les puissantes masses sommitales de calcaires perméables jurassiques et cénomaniens réapparaissent en énormes sources au niveau des grès et des marnes du Crétacé inférieur, qui donnent également des terres fertiles et des sites cultivables de conques évasées en roches tendres à des altitudes moyennes. Enfin, la montagne libanaise bénéficie d’un contact direct avec la mer. La plaine côtière, qui, au djabal Anṣariyya et en Palestine, est largement développée et a tout de suite été dominée par des populations extérieures à la montagne, est ici à peu près totalement absente. Les pentes du mont Liban dominent géographiquement et politiquement les ports et les anses du littoral. Le Liban est une montagne qui a des débouchés maritimes. L’érosion quaternaire a cependant été suffisante pour qu’on n’éprouve pas de difficulté majeure à construire une rocade côtière, seul axe de circulation et d’unification longitudinal, qui aurait été impossible à réaliser en montagne (et y serait d’ailleurs sans intérêt autre que touristique) et qui assure en revanche la symbiose de la montagne et de la mer, base permanente de l’unité libanaise.

Cette association s’est réalisée une première fois dans l’Antiquité, au profit d’une civilisation maritime, la thalassocratie phénicienne. L’origine en fut le commerce du bois, richesse naturelle de la montagne, exportée vers les grands centres de civilisation du Moyen-Orient antique : Égypte (par mer) et Mésopotamie (partiellement par mer, puis par la trouée d’Alep et le cours de l’Euphrate). Les petites cités phéniciennes naquirent comme des ports exportateurs de bois, Byblos, Sidon, Tyr, Tripoli, dans les criques du littoral qu’occupent actuellement Djebail, Saïda, Sour, Tripoli et dominèrent, au début du Ier millénaire avant notre ère, le commerce méditerranéen. La montagne était à peu près vide, peuplée de rares chasseurs et bûcherons. À l’époque romaine, elle restait une immense sylve, à peine éclaircie par les chemins d’exploitation forestière que jalonnent les inscriptions d’Hadrien.

La seconde expression politique de l’originalité libanaise s’est construite en revanche à partir de la montagne, peuplée comme un refuge. Le grand tournant se situe lors de la conquête islamique. Au milieu du viie s., les chrétiens maronites habitant les plaines de l’Oronte, dans la région de Homs, commencent à quitter celles-ci et à s’établir dans la vallée de la Qadīcha, dans le Liban septentrional, où ils éliminent et remplacent les populations autochtones, qui devaient être peu nombreuses. Un embryon d’organisation politique apparaît dès le viiie s. Cette colonisation maronite aura son foyer principal dans le Liban septentrional, le plus massif et le plus riche en eaux. Son rattachement à la chrétienté occidentale, déjà ébauché au temps des croisades, sera définitif au xvie s. (ouverture d’un séminaire maronite à Rome en 1584), et des liens s’établiront de bonne heure avec l’outre-mer, créant le climat préparatoire de la future émigration libanaise. Une première autonomie politique sera acquise, dans le cadre de l’Empire ottoman, sous des émirs (Fakhr al-Dīn, 1585-1635) largement orientés vers l’Occident.

Un second élément sera constitué par les druzes, secte islamique très marginale, née en Égypte à la charnière des xe et xie s., qui se développa dans l’Hermon (Ḥaramūn) et qui, devant les possibilités très limitées de peuplement de cette dernière montagne, s’infiltra rapidement dans le Liban central. Totalement absents du Liban septentrional, où les maronites étaient déjà prépondérants, ils apparaissent au sud du Nahr el-Kelb (Nahr al-Kalb) jusqu’à une ligne Damour (Dāmūr) - Djezzin (Djazzīn), dans les régions du Metn, du Kesrouan (Kisarwān), du Chouf (Chūf). Ils y sont mêlés aux chrétiens, qui redeviennent prédominants dans le Liban méridional.

Maronites et druzes ont été conjointement à la base de l’indépendance libanaise. Il s’agit de sectes cohérentes, dynamiques. Venues toutes deux de l’extérieur, elles ont trouvé un rempart dans l’escarpe de l’abrupt oriental de la montagne. C’est là que se trouve la frontière. Derrière cet abri, la montagne a vu se développer des densités considérables (211 hab. au km2 vers 1950 ; encore 161 hab. au km2 pour la montagne seule sans Beyrouth à la même époque).

Ces populations ont réalisé un remarquable aménagement de la montagne. Solidement encadrés par leur clergé et leurs princes, établis en gros villages groupés, les maronites ont transporté dans le massif leurs techniques agricoles minutieuses de la plaine, et notamment le système des terrasses, qu’ils ont multipliées sur des pentes parfois vertigineuses, faisant du mont Liban une montagne « reconstruite ». La rançon du développement de cette puissante civilisation agricole fut en revanche le déboisement quasi total de la montagne. Si le mont Liban n’était déjà plus un grand producteur de bois d’œuvre au Moyen Âge, il alimentait encore en bois de feu et en charbon de bois les plaines voisines et Damas. Cette fonction a totalement disparu à l’époque moderne, et l’étage des forêts montagnardes de sapins et de cèdres se réduit à quelques vestiges sévèrement protégés.