Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lévy-Bruhl (Lucien)

Sociologue français (Paris 1857 - id. 1939).


Docteur es lettres (1884), il succéda à Auguste Burdeau (1851-1894) dans la chaire de philosophie du lycée Louis-le-Grand (1885-1895) ; il devint successivement maître de conférences à la Sorbonne (1895), chargé du cours d’histoire de la philosophie moderne (1902), professeur adjoint (1905) et professeur titulaire en 1908. Il a publié : l’Idée de responsabilité (1884), thèse d’inspiration kantienne ; l’Allemagne depuis Leibniz : essai sur le développement de la conscience nationale en Allemagne (1890) ; la Philosophie de Jacobi (1894) ; la Prohibition de l’inceste (1897) ; la Philosophie d’Auguste Comte (1900), le Totémisme (1900) ; la Morale et la science des mœurs (1903), où il adhère à la morale sociologique de Durkheim* et jette sur les formes primitives de la vie mentale humaine des lumières nouvelles ; les Structures matrimoniales des Australiens, (1904) ; les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures (1910) ; la Mentalité primitive (1922), ouvrage marquant qu’il complète l’année suivante ; l’Âme primitive (1928), le Surnaturel et la nature dans la mentalité primitive (1931) ; la Mythologie primitive (1935) ; l’Expérience mystique et les symboles (1938).

Après sa mort, on a publié de lui des Carnets (1949).

Dans la Morale et la science des mœurs, Lévy-Bruhl montre que les tentatives faites jusqu’ici pour fonder la morale ne pouvaient être que vaines, « métamorales », aussi impossibles que la métaphysique elle-même. Mais est possible l’étude sociologique des mœurs, qui détermine ce qu’elles sont, les circonstances qui les font naître, les modifient. Une science des mœurs permettrait de pratiquer un « art social rationnel » qui donnerait pour la société des résultats analogues à ceux de l’art médical ou chirurgical.

La pensée de Lévy-Bruhl a exercé une influence notable sur la conception française de l’anthropologie* sociale. Or, elle a évolué de façon importante, et la publication posthume des Carnets a fait même apparaître une sorte de conversion, après renoncement aux premières thèses.

Dans les sociétés anciennes ou dans celles qui sont demeurées à l’écart de la civilisation technique, on trouve l’homme « primitif », un homme dont la mentalité diffère profondément de l’homme de la civilisation historique. La mentalité primitive est dite « mystique » ou « prélogique » par Lévy-Bruhl, en ce sens qu’elle ignore la causalité et la loi comme catégories scientifiques pour analyser les phénomènes physiques, et qu’elle recourt à un système mythique. Celui-ci explique le monde et ses phénomènes à la fois par analogie entre des observations et leur transposition dans la trame d’un récit mythique, et par affinité entre les êtres, par exemple entre l’homme, les phénomènes naturels, etc., et les animaux qui les représentent dans le mythe.

À cette mentalité s’oppose celle de l’homme moderne, dominée par le raisonnement logique, cartésien, fondée sur le principe de la non-contradiction. Lévy-Bruhl donne un fort ébranlement à cette théorie dans les trois derniers livres en affirmant que les différences de pensée entre l’homme primitif et l’homme moderne proviennent essentiellement du rôle que joue l’affectivité, très grand pour le primitif, amoindri pour l’homme moderne. Enfin, dans ses Carnets, Lévy-Bruhl affirme que la structure de l’esprit humain dans ses opérations intellectuelles est permanente.

D. C.

 J. Cazeneuve, Lucien Lévy-Bruhl (P. U. F., 1963).

Lewin (Kurt)

Psychologue américain d’origine allemande (Mogilno, près de Bydgoszcz, 1890 - Newtonville, Massachusetts, 1947).



L’homme et son œuvre

Issu d’une famille juive de la région de Poznań, Kurt Lewin entre dans le laboratoire de Carl Stumpf (1848-1936) à Berlin en 1912 et professe la psychologie dans la même université jusqu’en 1932 : il y collabore avec le groupe gestaltiste. Émigré aux États-Unis, il enseigne successivement à l’université du Iowa et au Massachusetts Institute of Technology ; il disparaît prématurément en 1947, alors qu’il vient de fonder le Centre de recherches pour la dynamique de groupe.

Envisagée dans l’ordre de ses productions expérimentales, la carrière de Lewin se développe de la psychologie individuelle (1912-1935) à la psychologie sociale des groupes restreints (1937-1941) et à la psychosociologie (1942-1947).

De la première étape relève, outre la critique expérimentale de l’associationnisme qui en constitue le prélude, la série des travaux conduits, notamment, avec le concours de Bluma Zeigarnik (sur les activités interrompues, 1927), d’Anitra Karsten (sur la saturation, 1928), de Tamara Dembo (sur la colère, 1931) : ils justifieront la mise en place d’un triple système de concepts, les uns destinés à représenter la structure des activités (concepts topologiques), les autres leur détermination causale (vecteurs représentatifs des forces), le troisième groupe enfin les voies de résolution des tensions (espace hodologique).

À l’étape suivante appartient, avec l’étude expérimentale des « atmosphères » autoritaires et démocratiques, la conceptualisation du rôle de leader et des statuts.

Enfin, les dernières années d’élaboration introduiront, sous la forme de la « recherche-action », une conjugaison originale de la théorie des décisions de groupe avec la praxis sociale.

D’inspiration « galiléenne » en ce sens qu’elle tend à substituer à la classification statistique une explication dynamique des processus singuliers de l’ordre psychologique et psychosocial, l’ensemble de cette œuvre répondra en son domaine propre aux exigences formulées par Husserl*, dès 1912, à l’égard des sciences humaines. De la même impulsion, elle tient son souci de la mise en perspective du vécu individuel et l’ouverture de la personne sur son milieu. Elle s’en écarte cependant en tant qu’elle vise, au-delà de la description, l’explication, et, dans cette vue, dépasse l’hétérogénéité qualitative des domaines psychologique et psychosocial, pour les soumettre à un système articulé.