Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, dit) (suite)

En 1924, Staline, dans son discours pour l’enterrement de Lénine, déclare : « Camarades ! nous communistes, nous sommes des gens d’une facture à part. Nous sommes taillés dans une étoffe à part. Nous formons l’armée du camarade Lénine. Il n’y est rien de plus haut que l’honneur d’appartenir à cette armée. Il n’est rien de plus haut que le titre de membre du parti, qui a pour fondateur et pour dirigeant le camarade Lénine. » « Donnez-nous une organisation de révolutionnaires et nous retournerons la Russie », avait déjà dit Lénine.

Cette conception l’a emporté contre les critiques de gauche parce qu’elle ouvrait le chemin le plus court vers la prise du pouvoir, et aussi parce qu’elle correspondait au besoin des masses de remettre leur pouvoir entre les mains d’une autorité. Au regard de ce réalisme-là, le projet marxiste d’une révolution où le prolétariat prend et exerce lui-même la totalité du pouvoir (« l’émancipation du prolétariat sera l’œuvre du prolétariat lui-même ») devait paraître renvoyé à trop long terme, voire utopique. Il reste que, pour vaincre, le léninisme avait reproduit la séparation entre dirigeants et dirigés, entre les travailleurs et le pouvoir, séparation que le socialisme voulait abolir et que le stalinisme porta à son comble.

A. S.


De Brest-Litovsk au communisme de guerre (1917-1921)

Les bolcheviks ont pris le pouvoir dans l’isolement : dirigeants mencheviks et socialistes révolutionnaires ne les soutiennent pas et rallient l’opposition bourgeoise. L’économie est sérieusement atteinte, et la guerre avec l’Allemagne n’est pas encore terminée (v. Révolution de 1917).

Les soviets sont l’organe du pouvoir. Le comité exécutif du Congrès des soviets choisit le Conseil des commissaires du peuple, dont Lénine est le président. En mars 1918, le P. O. S. D. R. deviendra parti communiste (bolchevik), et, en juillet 1918, le Ve Congrès des soviets ratifiera la première Constitution soviétique.

Les négociations d’armistice avec l’Allemagne avaient commencé à Brest-Litovsk en décembre 1917. L’armistice est signé le 15 décembre ; il accorde, outre le maintien du statu quo territorial, le droit aux relations entre soldats russes et soldats allemands. La propagande bolchevik peut se développer.

Mais l’Allemagne reprend l’offensive en février 1918. En dépit de l’opposition de Boukharine et d’une partie du Comité central, Lénine exige la paix, alors que les conditions allemandes sont extrêmement dures : la Russie perd le quart de son territoire. Le traité est signé le 3 mars 1918. La discussion sur la paix a durement ébranlé le parti.

Au cours de l’été 1918, la guerre civile s’étend, et les anciens alliés du tsar interviennent. Une armée tchèque sous commandement français envahit la Sibérie ; Anglais et Français attaquent par la mer Blanche et la mer Noire. La tuerie et le chaos dureront jusqu’en 1920 (défaite de Koltchak).

La guerre civile a entraîné la « terreur rouge ». C’est la Tcheka, créée en décembre 1917 et dirigée par F. Djerzinski (1877-1926), qui exerce la fonction répressive. Lénine déclare : « Il est indispensable de prendre des mesures urgentes pour combattre les contre-révolutionnaires et les saboteurs. » Après l’attentat du 30 août 1918 (au cours duquel il est blessé au cou d’une balle de revolver), Lénine affirme : « Ceux qui espèrent une révolution sociale « propre » l’espèrent en vain. »

Le VIIIe Congrès du parti, réuni en mars 1919, réorganise son fonctionnement, avec un bureau politique et un comité central, et la création d’un bureau d’organisation. La politique du « communisme de guerre » entraîne la mobilisation et le contrôle de toutes les ressources du pays : le commerce privé disparaît. Trotski propose la militarisation du travail (déc. 1919) ; il obtient d’abord le soutien de Lénine, mais les formes de plus en plus autoritaires que prend cette militarisation entraînent son abandon en novembre 1920. En mars 1921, la question syndicale est au centre du Xe Congrès du parti. Lénine refuse l’égalitarisme et le contrôle ouvrier à la base, proposé par l’opposition ouvrière d’Aleksandra Mikhaïlovna Kollontaï (1872-1952). Il maintient le contrôle du parti sur les organisations ouvrières, mais assure leur indépendance face à un État qu’il définit alors comme un « État ouvrier et paysan à déformation bureaucratique ».

La répression intérieure contre les socialistes révolutionnaires et les anarchistes, l’échec de la révolution européenne (défaite des communistes allemands) entraînent l’isolement et le durcissement du pouvoir bolchevik : Lénine est à la tête d’un État dont les conditions de survie sont précaires.


La N. E. P. et le renforcement de l’appareil

Après la guerre civile, l’économie russe s’est effondrée. En 1921, la crise touche à son point maximal avec la révolte de Kronchtadt. La propagande bolchevik proclame que les gardes blancs sont les vrais responsables de l’insurrection qui éclate au début de mars dans la flotte et dans la ville. Lénine assure : « Ils ne sont pas des gardes blancs, mais ne veulent pas non plus de notre régime. » Il craint que les marins ne servent, en fait, de couverture aux forces contre-révolutionnaires. Kronchtadt est reprise par la force entre le 7 et le 18 mars. Quand Lénine affirmera que la répression est allée trop loin, il est trop tard : la coupure entre la tradition anarchisante et le jeune pouvoir soviétique est définitive.

La nouvelle politique économique (N. E. P.) adoptée par le Xe Congrès vise à mettre fin aux tensions qu’a révélées Kronchtadt : c’est la fin des mesures de réquisition, le rétablissement de la liberté du commerce, le retour à l’économie monétaire, la tolérance d’une industrie privée de petite taille. Lénine explique le compromis réalisé alors par la nécessité d’obtenir l’appui de la majorité paysanne de la population.