Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

législative (Assemblée) (suite)

Une partie de la bourgeoisie l’espère et tente pour cela même le compromis avec l’aristocratie. Nobles ou bourgeois, l’important n’est-il pas d’abord d’être des propriétaires que les « partageux » menacent ? Les Feuillants, qui ont abandonné les Jacobins*, sont la traduction politique de cette attitude de conservation sociale. Mais ils sont divisés à l’égard de la famille royale. La Fayette*, qui sait ne plus pouvoir jouer d’elle, lui garde rancune. Au contraire, ceux qui suivent les « triumvirs » Alexandre de Lameth, Adrien Du Port et Barnave lui portent crédit. Le roi, la reine aidant, appliquera le pacte constitutionnel et sauvera la France des notables. C’est cette tendance qui influence le ministère formé le 6 décembre.

En face de cette orientation politique, il y a celle que forment d’autres bourgeois : ceux-ci n’oublient pas que Louis XVI, avant de signer l’acte constitutionnel, a battu la campagne du côté de Varennes. Capet accepte-t-il d’être le premier des citoyens ou reste-t-il encore le chef des aristocrates acharnés à effacer 1789 ? Ceux que Lamartine appellera les « Girondins* », car beaucoup sont les élus de cette région, se posent avec méfiance la question. S’ils ont tous peu de confiance en l’aristocratie, ils craignent aussi le porteur du bonnet phrygien. Ils sont capables de donner leur vie pour la liberté ; ils ignorent la vie dure du maître et de son artisan, dans l’échoppe ou la boutique ; la plupart appartiennent en effet à des milieux aisés.

Merlin de Thionville (1762-1833), C. Basire (1764-1794), F. Chabot (1756-1794) ou le régénérateur du club des Jacobins, Robespierre*, savent, eux, au contraire, le pain cher, l’enfant qui pleure, la femme qui se lamente et le désespoir de l’homme qui, après seize heures de labeur, ne peut assurer aux siens le droit à l’existence. Ils seront ces « Montagnards » qui tendent la main aux pauvres et leur font place dans la patrie nouvelle.

Cette patrie est rejetée par la majeure partie des aristocrates. Eux, qui, hier, défiaient le roi, sacralisent la royauté d’Ancien Régime dès lors qu’elle est le meilleur exorcisme des démons que juillet 1789 libéra. Ils le font par la presse ou par l’action. Publicistes à la solde de la Cour, l’abbé Royou ou Durozoi expliquent à longueur de colonnes l’anarchie qui guette le pays et le seul espoir qui reste à l’industrieuse bourgeoisie : l’armée des princes. Le compromis avec la Révolution ? Monsieur, frère aîné du roi, a répondu ; tout comme son frère le comte d’Artois ou leur cousin le prince de Condé, qui entraîne à sa suite son petit-fils, le duc d’Enghien, il a émigré. Si la fuite a été le premier acte, le regroupement pour l’attaque et l’anéantissement de la Révolution a été le second. Pour eux, point de doute, la Révolution est le fait de démagogues. Cette lie de la société a égaré le peuple avec l’aide sournoise des protestants ou des francs-maçons ; on ne transige pas avec l’antéchrist.

C’est ce qu’affirment aussi les prêtres réfractaires égarés par la passion de leurs ouailles ou ébranlés par les prises de position du pape ; ils vont aller jusqu’à identifier Dieu avec le dieu des armées contre-révolutionnaires. Celles-ci agissent à l’intérieur du royaume. Leurs hommes assassinent des patriotes dans le midi de la France. Dans l’Ouest, c’est le marquis de La Rouërie (1750-1793) qui prépare le rassemblement des nobles vendéens et bretons qui donneront la main, le moment venu, aux troupes d’émigrés.

Celles-ci se désespèrent de la lenteur de l’Empereur. Le souverain autrichien, le parent de la reine Marie Antoinette, n’a rien fait depuis la déclaration de Pillnitz. Or, pendant ce temps, la Révolution se maintient. Bien plus, elle somme (31 oct.) Monsieur, frère du roi, de rentrer en France et frappe tous les autres Français restés en émigration (9 nov.). Le 29, c’est au tour des prêtres réfractaires d’être menacés. Il est vrai que, le 19 décembre, le roi oppose son veto à cette décision de l’Assemblée législative.

Cette mesure renforce les masses populaires dans leur conviction : le roi n’est pas un arbitre, le roi est avec l’aristocratie. Il l’a toujours été. La ruine de l’aristocratie, la naissance d’un monde où la richesse de quelques-uns n’injuriera plus la pauvreté du plus grand nombre passent par la déchéance du roi. Cette leçon est dictée par l’expérience des luttes sociales menées depuis 1789 ; celles-ci ont appris au peuple que ceux qui transigent avec l’aristocratie sont des contre-révolutionnaires en puissance.

C’est contre eux que les paysans font une révolution qui, depuis 1789, pénètre la révolution bourgeoise. Ce qu’ils veulent, c’est d’abord la libération de leurs terres, sur lesquelles repose encore la féodalité. La nuit du 4 août 1789 a été pour eux une nuit des dupes. Ils exigeaient, les armes à la main, l’abolition des droits seigneuriaux ; la bourgeoisie des Constituants les a déclarés rachetables. Ils croyaient, grâce à la Révolution, acquérir des terres et mêmes les obtenir gratuitement ; les biens nationaux sont vendus pour le plus grand profit des riches.

Les pauvres, écartés de la vente, sont aussi ceux qui souffrent de la disette, et ceux-là mêmes qui les privent de terres sont ceux qui envoient les grains vers le marché à la hausse. Depuis 1789, les campagnes s’agitent çà et là ; c’est désormais une poussée de fièvre qui les gagne toutes. Dans le Nord, mais aussi dans l’Orléanais, en Beauce comme dans le Massif central ou dans le Midi, il y a des bandes qui taxent la farine après en avoir arrêté la circulation. Quand la bourgeoisie locale ne parvient pas à les canaliser, elles tuent ceux qui s’opposent à elles. C’est ainsi que le maire Simoneau tombe sous leurs coups.

La faim tenaille aussi les masses populaires urbaines. Ce qu’il y a de neuf, c’est leur éducation politique. Leurs éducateurs sont Robespierre et surtout Marat* qui, dans l’Ami du peuple, ne cesse de dénoncer une révolution qui n’est faite que pour les riches. Mais si le petit bourgeois est le pédagogue, la meilleure école reste encore la rue, c’est-à-dire l’atelier, où l’on commente les nouvelles du jour que le maître colporte, ou bien le café ou le club, tel celui des Cordeliers, où chacun est à la fois spectateur et acteur.