Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Laxness (Halldór Kiljan) (suite)

Le petit roman Station atomique, qu’il publie en 1948, âpre critique de l’installation de bases américaines en Islande, est un bel exemple de l’emploi d’une stylisation hardie. Et en 1952 paraît le roman Gerpla, dont l’action se situe à l’époque viking ; l’auteur y satirise l’esprit guerrier, qu’on retrouve dans les sagas tout comme de nos jours. Gerpla marque la fin de la deuxième phase de son œuvre, qui, depuis le Livre du peuple, est placée sous le signe d’un engagement social passionné. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1955.

Dès lors, il n’offre plus sa vision d’un futur meilleur, mais se borne à dévoiler le présent par rapport au passé, non sans quelques touches de nostalgie. C’est sous ce jour qu’il faut voir le milieu et les personnages de ses trois pièces de théâtre : le Jeu de cheminée, paru en 1961, Soleil d’atelier de couture, en 1962, et le Banquet des colombes, en 1966.

En 1957, le roman Annales de la chaumière, tableau de Reykjavík au début du siècle, est presque dépourvu de satire ; ce qui est aussi le cas pour le conte : le Paradis retrouvé, publié en 1960. Son livre de souvenirs, Temps des poètes, écrit en 1963, fait également comprendre le recul qu’il a pris par rapport à toutes sortes d’idéologies.

Halldór Laxness est l’un des plus grands écrivains de notre temps, citoyen du monde mais aussi profondément islandais. Toute son œuvre reflète, de façon intense, l’évolution rapide qu’a vécue l’Islande après la Première Guerre mondiale. Il a redonné à sa langue maternelle la souplesse qu’elle avait perdue en tant que moyen de narration.

J. R.

 S. Einarsson, History of Icelandic Prose-Writers, 1800-1940 (New York, 1948). / P. Hallberg, H. K. Laxness (en suédois, Stockholm, 1952). / I. Eskeland, Halldór Kiljan Laxness (en norvégien, Oslo, 1955). / G. Kötz, Das Problem Dichter und Gesellschaft im Werke von Halldór Kiljan Laxness (Giessen, 1966).

Lazarsfeld (Paul)

Sociologue américain (Vienne 1901 - New York 1976).


Il mène de front à l’université de Vienne des études d’économie et de science politique et des études de mathématiques. Après un doctorat en mathématiques appliquées, il devient professeur de lycée. Son intérêt pour les sciences sociales est stimulé par ses préoccupations politiques et par l’attrait qu’exercent sur lui les idées socialistes. Mais l’événement qui l’oriente définitivement vers les sciences sociales est l’arrivée à l’université de Vienne, alors qu’il est encore étudiant, de deux célèbres psychologues, Karl et Charlotte Bühler.

Un de leurs livres, Krise der Psychologie, de Karl Bühler (1879-1963), va en particulier exercer une influence importante sur son itinéraire intellectuel. K. Bühler s’est initié au béhaviorisme* au cours d’un voyage aux États-Unis. Il est par ailleurs familier avec la psychologie introspective. Du béhaviorisme, il garde l’idée que la psychologie doit procéder par la voie de l’observation contrôlée. De la psychologie introspective, il conserve la conviction qu’une psychologie éliminant la subjectivité est impossible. De W. Dilthey (1833-1911), il reprend d’un autre côté l’idée que les états subjectifs dépendent des situations sociales. Cela le conduit à l’idée révolutionnaire d’une psychologie in vivo, reposant sur des techniques d’observation contrôlée. Dès les premières années de sa collaboration à l’institut de psychologie dirigée par les Bühler, Lazarsfeld va avoir l’occasion d’appliquer et de perfectionner cette nouvelle forme d’observation, d’abord dans ses contributions à Jugend und Beruf (les Jeunes et leur métier), puis dans l’étude qu’il réalise en 1930 sur les chômeurs d’un village du sud de Vienne (Die Arbeitslosen von Marienthal).

La plupart des recherches qu’il entreprend ensuite après son départ définitif pour les États-Unis en 1931 participent de la préoccupation fondamentale qu’il a tirée de son séjour chez les Bühler de jeter les bases d’une « analyse empirique de l’action » par la méthode des enquêtes. À Newark, à Princeton et à l’université Columbia, où il enseigne, les enquêtes qu’il organise portent sur des processus de décision : comportements de consommation culturelle (Radio Research, en collaboration avec F. Stanton), comportements électoraux (The People’s Choice, en collaboration avec Hazel Gaudet ; Voting, en collaboration avec B. Berelson et W. McPhee), décisions d’achat (Personal Influence, en collaboration avec E. Katz). Ces enquêtes auront une influence considérable non seulement par leurs résultats, mais aussi parce qu’elles sont l’occasion de recherches et d’innovations méthodologiques qui connaîtront une large diffusion. C’est dans The People’s Choice qu’on trouve par exemple la première utilisation de la technique du panel. Cette méthode, dont l’importance est fondamentale pour l’analyse des processus sociaux, consiste à répéter une enquête sur un même échantillon à intervalles réguliers. Elle représente un équivalent avantageux de l’expérimentation in vivo. Une autre enquête, effectuée sur un échantillon d’universités américaines au moment du maccartisme (The Academic Mind, en collaboration avec W. Thielens), introduit l’analyse « contextuelle », qui généralise la méthode des enquêtes en les étendant aux échantillons à plusieurs niveaux. Cette forme d’analyse est fondamentale dans l’étude des interactions entre structures sociales et comportements individuels.

Car la partie de son œuvre par laquelle Lazarsfeld a exercé une influence considérable sur la sociologie contemporaine est sans doute constituée par ses travaux de méthodologie. Son intérêt pour cette discipline remonte au temps où, étudiant, il comprit, en lisant Einstein* et H. Poincaré*, que les découvertes scientifiques sont souvent le produit d’une analyse critique du langage scientifique. C’est pourquoi il a consacré une énergie considérable à explorer, dans de nombreux articles et dans un livre collectif (The Language of Social Research), la structure du langage des sciences sociales. Cet intérêt méthodologique devait également le conduire à jouer un rôle important dans le domaine de l’application des mathématiques aux sciences sociales. Dans Latent Structure Analysis, il présente une famille de modèles mathématiques répondant au problème méthodologique de la classification et de la mesure dans les sciences sociales.

Lazarsfeld a joué un rôle considérable dans l’organisation de la recherche en sociologie et dans le développement d’une institution dont il a contribué à imposer l’idée, celle de laboratoire de sciences sociales. C’est cette préoccupation pour l’organisation de la recherche qui l’a conduit également, dans plusieurs articles, à analyser l’histoire, mal connue de ce point de vue, de la sociologie européenne.

R. B.