Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Law (John) (suite)

Le royaume se débat dans une crise financière. Law propose une solution simple et rapide. L’État est riche si le pays est prospère ; ce dernier le devient si la monnaie est suffisamment abondante. Le stock de monnaie métallique détenu par les habitants du royaume peut s’accroître d’un coup : il suffit de transformer les espèces sonnantes et trébuchantes en monnaie de papier, car « la circulation du papier-monnaie étant trois fois plus rapide que celle de l’or et de l’argent, c’est comme s’il y avait en réalité trois fois plus de moyens d’échanges ». Une banque protégée par l’État drainera le métal et refoulera dans le public la monnaie fiduciaire. Négociants et fabricants trouveront le crédit nécessaire à la multiplication de leurs entreprises. C’est encore le crédit qui permettra l’édification d’une compagnie de commerce par actions. Celle-ci pourra être associée à la banque. Elle monopolisera le commerce extérieur, accroîtra l’exploitation coloniale et suscitera de nouvelles richesses. L’État est d’emblée déchargé du souci de ses dettes puisqu’une part des actions de la banque peut être souscrite en billets d’État. À long terme, la banque peut se substituer à lui pour la rentrée d’impôts, qui seront mieux prélevés sans que l’État en soit lésé.

En trois ans, l’idée prend corps. Le 2 mai 1716, Law crée une banque de dépôt et d’escompte ; elle devient banque d’émission, les billets au porteur sont à tout moment convertibles en monnaie métallique. À partir du 10 avril 1717, on peut s’en servir pour payer ses impôts. Le 4 décembre 1718, elle est banque royale, l’État détenant seul les actions.

L’année suivante, la Compagnie d’Occident, créée en 1717 et chargée de l’expansion de la Louisiane, absorbe les compagnies du Sénégal, de Chine, des Indes orientales et de la mer du Sud. Elle prend le titre de Compagnie des Indes. Elle est associée à la banque. C’est l’apogée du système : Law a le monopole des monnaies et il est le fermier général des impôts. En 1720, il est contrôleur général des finances. Il cultive l’enthousiasme du public ; la spéculation est un moyen d’absorber rapidement la dette de l’État et d’augmenter le capital de la compagnie. Dès lors, le péril le guette : les gros bénéfices promis ne peuvent être donnés qu’avec le temps, et encore seront-ils proportionnés au capital réellement investi ; or, les agioteurs de la rue Quincampoix ont fait monter les actions de 500 à 18 000 livres. Qu’adviendra-t-il lorsque les porteurs toucheront des dividendes jugés trop maigres ? Qu’adviendra-t-il lorsque, gagnés par la méfiance vite transformée en panique, les détenteurs de billets de banque demanderont, puisqu’il n’y a pas cours forcé, des espèces métalliques ?

La réponse est imaginée par les ennemis de Law. Ils sont nombreux. Tous sont des parasites que le système social et politique entretient. Il y a l’aristocratie. Certains de ses membres jouent avec Law ; le plus grand nombre est effrayé par ses projets d’un impôt foncier unique reposant sur le revenu de la terre. Il y a ceux qui participent à la ferme de l’impôt et qui se voient dépouillés de leur moyen d’oisiveté ; il y a leurs multiples frelons, les banquiers, tels les frères Pâris. Les uns et les autres se partagent la tâche ; les parlementaires, au grand jour, attaquent sur le plan du droit ; les financiers et leurs séides, de manière plus couverte : après avoir fondé une compagnie rivale pour retenir le plus possible les capitaux, ils poussent les gros actionnaires de Law à la réalisation. C’est en voitures que le prince de Conti ou le duc de Bourbon viendront en quelques heures chercher leurs millions.

Dès lors, c’est l’effondrement. Law se bat avec ténacité. Il achète les actions pour maintenir les cours ; il ruine ainsi sa banque et obtient alors l’interdiction de la monnaie d’or. Les actions continuant à être bradées, il fait intervenir la police, qui ferme la rue Quincampoix. On se tue pour vendre ses papiers ; il organise des défilés publicitaires pour ses entreprises coloniales. Au milieu d’un monde où le plus rustre est souvent du plus haut lignage, il découvre la grandeur ou la naïveté de ces bretteurs qui font face. Il était millionnaire à son arrivée à Paris, il meurt à Venise en 1729, sans une livre. De nos jours encore, les historiens s’interrogent : génial précurseur ou bon élève des mercantilistes du xviie s. ?

Homme de son temps, il apparaît, au travers d’écrits d’ailleurs contradictoires comme les Considérations sur le numéraire et le commerce (1705) ou le Projet de banque d’État (1715), à l’image d’un mercantiliste. S’il croit que ce qui institue la puissance et la richesse d’une nation « c’est une population nombreuse et des magasins pleins de marchandises étrangères », il affirme aussi que le commerce et le nombre des peuples dépendent de la quantité et de la conduite des monnaies. Mais il repense la notion même de monnaie, et approche de celle de la « monnaie-marchandise » à la fluctuante valeur. Il affirme qu’elle n’est qu’un signe : elle n’est pas « la valeur pour laquelle les marchandises sont échangées mais la valeur par laquelle les marchandises sont échangées ». Son dirigisme monétaire et sa confiance en la valeur créatrice du crédit en font un moderne. Paradoxalement, pourtant, son expérience aura retardé en France l’accoutumance du crédit.

En dépit de la profonde crise morale que le système révèle, la France du Régent lui est redevable. Il a allégé la dette de l’État ainsi que celle de certains groupes sociaux, telle la paysannerie. Il a suscité en Amérique le développement de la Louisiane et la création de La Nouvelle-Orléans (1718) : les ports de Nantes, de Bordeaux et surtout de Lorient en bénéficièrent pour tout le siècle.

J.-P. B.

 R. Trintzius, John Law et la naissance du dirigisme (S. F. E. L. T., 1950). / J. Bouvier et H. Germain-Martin, Finances et financiers de l’Ancien Régime (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1964 ; 2e éd., 1969).