Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

latins du Levant (États) (suite)

Forces et faiblesses des États latins dans la première moitié du xiie s.

Cédant à Jocelin Ier de Courtenay le comté d’Édesse (1119-1131), sur lequel il conserve comme son prédécesseur une grande influence, Baudouin II du Bourg, nouveau roi de Jérusalem (1118-1131), doit assurer dès 1119 la régence d’Antioche, dont le prince Roger de Salerne (1112-1119) a été vaincu et tué par les Turcs à Tell-’Aqibrīn (près d’Alep) le 28 juin. En moins de trois ans, le territoire perdu en Syrie du Nord est reconquis, et la prépondérance du roi de Jérusalem dans les États du Levant est confirmée lorsque Jocelin Ier de Courtenay, puis Baudouin II lui-même sont capturés en septembre 1122 et en avril 1123 par un chef turc, l’Ortoqide Balak, qui les enferme dans la forteresse de Harput (près de Elâziğ, Turquie). Contrairement à toutes les prévisions, cette décapitation politique n’ébranle pas la puissance franque, alors assez enracinée non seulement pour repousser une offensive égyptienne, mais aussi pour liquider l’enclave musulmane de Tyr le 7 juillet 1124 sous la direction successive des deux régents du royaume : le connétable Eustache Garnier, seigneur de Sidon, et Guillaume de Bures, seigneur de Tibériade. À sa sortie de captivité, Baudouin II peut donc renouer les liens de la coalition latine, qui, sous sa direction, tente d’occuper Alep à la fin de 1124, puis Damas en janvier 1126 et en 1129 afin de tenir les clefs du désert et de mettre définitivement la Syrie maritime à l’abri d’une attaque par surprise.

C’est un échec, mais l’occupation de Bānyās, au nord-est du lac Houleh, assure néanmoins la protection de la Galilée du Nord contre une telle éventualité. Renforcée par la militarisation de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean et par la fondation en 1119 par Hugues de Payns de l’ordre militaire des Templiers, la défense de la Syrie franque est dès lors mieux à même de résister à un nouveau danger, celui que représente la politique des atabeks turcs de Mossoul : ‘Imād al-Dīn Zangī (1127-1146) et Nūr al-Dīn Maḥmūd (1146-1174), qui entreprennent de réunifier la Syrie musulmane pour mieux rejeter à la mer les Francs, qui réagissent en accordant leur protection aux petits États musulmans dont l’indépendance est en jeu.

Maîtres d’Alep dès 1128, s’emparant en 1135 de plusieurs places situées au nord de l’Oronte, Zangī attaque enfin en 1137 la forteresse de Montferrand près de Ba’rīn, dans le comté de Tripoli, et réussit à s’emparer de la personne du nouveau roi de Jérusalem, Foulques d’Anjou (1131-1143), gendre et successeur de Baudouin II. Paradoxalement la situation est rétablie grâce à l’intervention de l’empereur Jean II Comnène, venu pourtant assiéger Antioche en août 1137, afin de contraindre les croisés à respecter les termes du pacte de 1097, qui avait reconnu à Byzance la suzeraineté de la ville. Conseillant du fond de sa prison au prince d’Antioche Raimond Ier de Poitiers (1136-1149) de prêter hommage au souverain byzantin, Foulques d’Anjou s’assure l’alliance de ce dernier et obtient par contrecoup sa libération, Zangī espérant ainsi ôter tout prétexte d’intervention à Jean Comnène. En fait, la xénophobie dont les Latins font preuve à l’égard des Grecs à Antioche en 1138 ruine l’alliance franco-byzantin et contraint Foulques à chercher à Damas une alliance de substitution qui contraint Zangī à lever le siège de cette ville le 4 mai 1140.

La mort accidentelle de Foulques vers le 10 novembre 1143, la régence de sa veuve Mélisende (1143-1152) au nom de leur fils aîné Baudouin III (1143-1163), l’incapacité de Jocelin II de Courtenay (1131-1150) permettent pourtant à Zangī, puis à son fils Nūr al-Dīn de reprendre l’offensive en liquidant le plus exposé des quatre États latins du Levant : le comté d’Édesse. Occupée temporairement par le premier le 23 décembre 1144, sa capitale est définitivement reconquise le 3 novembre 1146 par le second, qui en massacre toute la population arménienne avant d’enlever la place d’Artésie, qui protège Antioche vers le nord-est.


De la chute d’Édesse (1144-1146) à la chute de Jérusalem (1187)

La survie des États latins du Levant paraissant menacée, l’Occident organise alors la deuxième croisade* sous la direction de Louis VII et de Conrad III de Hohenstaufen, qui commettent l’erreur de s’attaquer, d’ailleurs en vain, en 1148, à l’État musulman de Damas, allié traditionnel des Francs, au lieu de chercher à éliminer définitivement leur ennemi principal : l’atabek d’Alep Nūr al-Dīn. Après le réembarquement de Louis VII en 1149, celui-ci reprend sa marche en avant, occupant aussitôt la moitié septentrionale de la principauté d’Antioche, avant de s’emparer, le 25 avril 1154, de Damas, dont le jeune Baudouin III a tenté en vain de sauver l’indépendance.

Maître d’Ascalon le 19 août 1153, le jeune et habile roi de Jérusalem tente alors de reconstituer l’alliance franco-byzantine en épousant en 1158 Théodora Comnène, nièce de l’empereur Manuel Ier Comnène, et en abandonnant le prince d’Antioche, Renaud de Châtillon (1153-1160), qui doit se reconnaître vassal du souverain byzantin, lequel veut attirer sa cour à Antioche en 1159. Mais cette politique échoue, cette fois, du fait des Grecs, qui espèrent régner en Orient en se maintenant en position d’arbitres entre les Francs et les musulmans. En réalité, une telle attitude privilégie l’atabek, désormais maître de Damas, qui envoie son lieutenant Abū al-Ḥārith Asad al-Dīn Chīrkūh († 1169) au Caire prendre en main le gouvernement de l’Égypte, que les Fāṭimides ne parviennent plus à défendre. Cette politique d’encerclement des États latins par les Turcs est combattue à deux reprises avec succès en 1164 et 1167 par le frère et successeur de Baudouin III, Amaury Ier (1163-1174), qui réussit même à imposer son protectorat à l’Égypte en 1167 ; pourtant, elle triomphe finalement du fait même de la maladresse du roi de Jérusalem. Commettant l’erreur de vouloir conquérir l’Égypte en octobre-novembre 1168, Amaury Ier provoque en effet l’appel du Caire à Chīrkūh, qui s’établit dans cette ville le 8 janvier 1169, où son neveu Saladin (Ṣalāḥ al-Dīn Yūsuf [1138-1193]) lui succède le 26 mars. Dès lors, le sort des États francs du Levant est scellé.