Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lassus (Roland de)

ou Orlando di Lasso. Compositeur de l’école franco-flamande (Mons v. 1532 - Munich 1594).


Éclipsé à la fois par un devancier illustre — Josquin Des* Prés —, un contemporain au talent officiellement reconnu — Palestrina* — et la génération suivante, où brille l’un des plus illustres compositeurs de tous les temps — Monteverdi* —, Lassus n’occupe pas la place qu’il mérite. Et, pourtant, le « divin Orlande » — comme l’appellent ses contemporains — doit être considéré à l’égal des plus grands musiciens.


La carrière

De par ses origines, Lassus s’inscrit tout naturellement dans le grand courant des compositeurs franco-flamands qui, depuis Guillaume Dufay*, donne à l’Europe ses plus célèbres musiciens ; sa carrière ne viendra pas démentir cette filiation. Né à Mons, dans le Hainaut, il reçoit sa première éducation musicale dans sa ville natale, à l’église Saint-Nicolas, où il est enfant de chœur. La beauté de sa voix le fait rapidement remarquer et, dès l’âge de douze ans, il est appelé au service de Ferdinand Gonzague, vice-roi de Sicile. Il séjourne alors à Palerme, puis à Milan, où il reste environ quatre années, se trouvant ainsi, dès son jeune âge, en contact avec la musique italienne. Vers 1550, il quitte le prince, et nous le retrouvons à Naples, au service d’un gentilhomme-poète, Giovanni Battista d’Azzia della Terza, qui lui permet de parfaire ses connaissances musicales. De là, Lassus se rend à Rome, où il obtient (1553) le poste de maître de chapelle de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Entre-t-il alors en contact avec Palestrina ? Tout permet de le supposer, bien que sa conception de la musique sacrée ne conserve pratiquement aucune trace d’une telle influence.

À ce moment, sa carrière paraît, comme celle de ses devanciers, devoir se dérouler dans la péninsule, lorsque la maladie — puis la mort — de ses parents le contraint de rentrer dans son pays natal. En 1555-56, Lassus séjourne à Anvers, sans tâche musicale bien définie. Il met cette liberté à profit pour faire quelques voyages (l’Angleterre, Paris) et assurer la publication de ses premières œuvres : des madrigaux, chansons et motets « faictz à la nouvelle composition d’aucuns d’Italie », dont le modernisme l’impose à l’attention de ses contemporains. C’est pourtant, de nouveau, au titre de chanteur qu’il va être appelé à la cour de Bavière (1556) pour entrer au service du duc Albert V.

Cet engagement va être déterminant pour la carrière du musicien. Chargé tout d’abord de recruter des chanteurs, Lassus va rapidement atteindre aux plus hautes fonctions. En 1558, il épouse la fille d’une des dames d’honneur de la duchesse ; vers 1563, il est nommé maître de chapelle ; en 1570, enfin, il est anobli par l’empereur Maximilien II. Pourvu de hauts protecteurs, comblé d’honneurs et de bénéfices, chargé finalement d’organiser toute la vie musicale de la Cour, il apparaît à la fois comme un grand seigneur et un musicien honoré sur le plan international. À plusieurs reprises, la cour de France (en particulier le roi Charles IX) tente de le rappeler à Paris. Lassus n’y consent point, acceptant seulement de faire publier ses œuvres par la célèbre maison d’édition A. Le Roy et R. Ballard. Mis à part de nombreux voyages à l’étranger (en Italie notamment), il restera fixé à Munich jusqu’à sa mort. En dépit d’une si brillante destinée, les dernières années de sa vie se trouvent assombries par la crainte et l’inquiétude. Atteint de melancholicahypocondriaca, il meurt le 14 juin 1594.

Trois des fils du compositeur exerceront également le métier de musicien : Ferdinand (v. 1560-1609), Rodolphe (v. 1563 - v. 1625) et Ernest (?). Les deux premiers restent cependant surtout connus en tant qu’éditeurs des œuvres de leur père.


L’œuvre

L’œuvre de Lassus, immense, comprend environ deux mille numéros d’opus (soit soixante volumes) et touche à tous les genres. Par ce caractère d’universalité, aucun autre musicien ne peut lui être comparé ; en outre, dans quelque domaine que ce soit, religieux ou profane, son art atteint une perfection achevée.


Les œuvres profanes

• Les madrigaux. Par leur nombre, les madrigaux occupent une place de tout premier plan. Le madrigal est alors la forme musicale la plus répandue en Italie, et il n’est pas douteux que le musicien ait été séduit par les possibilités qu’elle offre dès ses premiers contacts avec la péninsule. L’un des plus grands madrigalistes, Cyprien de Rore (1516-1565) vient, en effet, de publier ses Madrigali cromatici (1544) lorsque le jeune chanteur arrive à Milan. Comme la plupart de ses contemporains, Lassus va s’intéresser au madrigal durant toute son existence. Son premier recueil publié (1555) en témoigne, et son œuvre se termine par les Lagrime di San Pietro, cycle de vingt madrigaux spirituels, dont il rédige la préface quelques semaines seulement avant sa mort. Lassus compose ainsi cent quarante-six madrigaux, où se remarque l’influence de Rore. La plupart sont à cinq voix, mais certains sont à quatre, six, sept ou huit voix. Le poète préféré du musicien est Pétrarque*, dont il traite plus volontiers les sonnets. Une évolution se marque toutefois dans le choix des textes ; Lassus puisera en effet tout d’abord dans In vita di Madonna Laura, puis, plus tard, dans In morte di Madonna Laura. Sur le plan musical, il se lance délibérément dans l’emploi des madrigalismes expressifs : mélismes en valeurs brèves, accidents chromatiques, harmonies parfois heurtées abondent, introduits en vue de souligner l’expression matérielle ou psychologique du texte. L’œuvre vaut ainsi « par les contrastes expressifs dont elle tire vie », qui sont directement issus de la frottola italienne.

• Les villanelles et les moresques. Moins raffinées que les madrigaux, les villanelles sont des chansons originaires du sud de l’Italie qui mettent en scène les amours de paysans et de bergers. Généralement brèves, divisées en épisodes symétriques, elles sont, pour la plupart, écrites en dialecte napolitain et possèdent un caractère populaire marqué. Les moresques, plus développées, relatent la vie des esclaves noirs. Deux recueils de pièces de cette sorte nous sont parvenus (1555 et 1581). Lassus y use d’une technique volontairement simple, où la recherche contrapuntique, réduite, ne fait que rarement appel aux mélismes expressifs dont fourmille le madrigal. Certaines de ces pièces sont néanmoins de véritables petits chefs-d’œuvre, tels que Matona mia cara, avec son amusant refrain, ou La Cortesia, qui se retrouvera dans d’innombrables recueils de musique instrumentale.