Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lacan (Jacques) (suite)

 J. Lacan, « La famille », dans Encyclopédie française, t. VIII (Larousse, 1938) ; Écrits (Éd. du Seuil, 1970) ; Le Séminaire. Livre XI. Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (Éd. du Seuil, 1971). / Cahiers pour l’analyse, numéros 1 à 10 (Éd. du Seuil, 1966-1969). / J.-M. Palmier, Lacan (Éd. universitaires, 1969). / A. Hesnard, De Freud à Lacan (E. S. F., 1970). / A. Rifflet-Lemaire, Jacques Lacan (Dessart, Bruxelles, 1970). / J.-B. Fager, Comprendre Jacques Lacan (Privat, Toulouse, 1971).

Laclos (Pierre Choderlos de)

Écrivain français (Amiens 1741 - Tarente 1803).


Une naissance médiocre, peu de fortune amenèrent Laclos à choisir le métier des armes. Officier d’artillerie besogneux qui ne trouva pas le champ libre pour ses ambitions, il n’était encore que capitaine en 1769. En garnison à l’île d’Aix et à l’île de Ré, il résolut de « faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit ». Ce livre sera les Liaisons dangereuses, qui parurent en 1782 et qui provoquèrent le scandale. Du moins, leur auteur fit figure de grand personnage dans la société, sans, toutefois, qu’il se déterminât à embrasser la carrière des lettres. S’il se fit remarquer des autorités militaires par sa Lettre à MM. de l’Académie sur l’éloge de Vauban (1786), ce fut pour être envoyé à Toul et y apprendre la discipline. À la veille de la Révolution, il entra au service de Philippe d’Orléans, puis devint membre du club des Jacobins (1790), réorganisa l’artillerie des armées de la République (1792), mais, accusé de complicité avec Dumouriez, fut incarcéré l’année suivante. Il recouvrit la liberté pour faire des expériences sur une de ses inventions, le « boulet creux », mais il fut de nouveau arrêté à la fin de 1793. Libéré après Thermidor, il fut affecté à l’armée du Rhin avec le titre de général de brigade (1800). Il mourut de dysenterie en défendant la ville de Tarente.

« Pour prévenir contre le vice, il faut bien le peindre. » Tel est le prétendu propos des Liaisons dangereuses, ce livre qui, suivant le mot de Baudelaire, « s’il brûle, ne peut brûler qu’à la manière de la glace ». Sans doute s’agit-il d’une satire des mœurs contemporaines qui montre la décadence des valeurs morales à la fin du xviiie s. (on n’est d’ailleurs pas très sûr que Laclos n’éprouve pas quelque admiration pour le monde corrompu qu’il dépeint). Mais ce chef-d’œuvre est bien autre chose qu’un témoignage. Le choix des lettres, comme moyen d’expression, n’est pas indifférent ; elles donnent un caractère de liberté et de spontanéité qui situe l’ouvrage hors du temps. Les acteurs du drame, si l’on écarte les comparses, sont au nombre de trois : le séducteur (Valmont), la victime (la présidente de Tourvel), le meneur de jeu (la marquise de Merteuil). Tous trois vont occuper la scène, chacun devenant à tour de rôle le principal personnage d’un univers désolant.

Valmont est le produit d’un système. Ce système est qu’il ne croit pouvoir exister que dans la mesure où il obéit à des principes. Et ces principes, c’est de conquérir les corps et les âmes. Nous sommes en présence de la plus parfaite volonté de puissance. Elle est peut-être mal employée (ce goût de la conquête peut correspondre à une insatisfaction fondamentale) ; en tout cas, elle tend de toutes ses forces vers la réalisation du but qu’elle s’est assigné. Valmont veut discipliner l’avenir, le fléchir suivant des règles préalablement établies et mûrement réfléchies, arrêter le cours du temps. « Sa conduite est le résultat de ses principes. » Ce qui signifie que tenir le sort de la présidente entre ses mains revient pour lui à être capable de gouverner sa vie comme il l’entend. Il croit échapper au destin commun en voulant choisir une proie, en la choisissant et en l’exécutant. Il s’est fixé des règles, et il les applique : voilà son bonheur et sa plénitude. Il se sent supérieur aux autres et exactement lui-même pour autant qu’il commande à sa guise sa destinée en pliant celle d’autrui. Cette affirmation de soi par la conquête est pour lui vitale : « J’ai bien besoin d’avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d’en être amoureux. » La chute, la mise à mort de l’adversaire procurent une sorte d’ivresse intellectuelle : « Qu’elle croit à la vertu, mais qu’elle me la sacrifie [...]. Je serai vraiment le dieu qu’elle m’aura préféré », ou encore : « Voyez mon ouvrage et cherchez-en dans le siècle un seul exemple. »

Les caprices, les nécessités du hasard font que cette belle mécanique se dérègle. De séducteur, Valmont devient l’être séduit. Que dit-il après la chute ? « Je suis encore trop plein de mon bonheur, pour pouvoir l’apprécier, mais je m’étonne du charme inconnu que j’ai ressenti [...]. Il faut tout avouer, je pensais ce que je disais. » Le chasseur se transforme en gibier, captivé à son tour par un « sentiment involontaire ». De là cette rage, cette frénésie de pousser sa victime dans ses derniers retranchements ; de là cette passion haineuse qui traduit le désarroi de voir son être apparaître différent de ce qu’il projetait. Valmont a beau invoquer sa « pureté de méthode », multiplier les images de stratégie, conter longuement les péripéties de la victoire, au fond de lui-même il n’est pas dupe : il pensait dominer, et tout s’effondre sous ses pas. Il y a là un autre roman dans les Liaisons dangereuses : la conquête inattendue du séducteur par sa victime.

À l’arrière-plan de ce double drame, la marquise de Merteuil, femme supérieure, qui est son propre « ouvrage » et qui tient les rênes, conscience de Valmont et maître d’œuvre. Au fil des pages, la tension monte entre les deux anciens amants pour aboutir au choc de deux volontés contraires qui finissent par s’entre-déchirer. Mme de Merteuil ne supporte pas que l’image qu’elle s’est faite de Valmont s’altère, apparaisse autre que ce qu’elle a été. Il ne s’agit pas de jalousie ni d’orgueil blessé : la marquise se moque des conquêtes de son complice ; au contraire, elle les encourage. Mais, dans le cas de la présidente, ce qui lui est intolérable, c’est que sa vision de Valmont se dégrade et finalement sorte de son contrôle. Faust échappe à Méphisto. La marquise ne peut se résigner à jouer seule le jeu stérile et artificiel de la séduction et de la conquête. Si son partenaire s’enfuit, prend son autonomie, tout s’écroule pour elle. Elle n’a plus que la solitude. Aussi choisit-elle la « guerre », unique issue qui permette d’apporter un souffle nouveau à leurs destins.