Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
K

Keiser (Reinhard)

Compositeur allemand (Teuchern, près de Weissenfels, 1674 - Hambourg 1739).


Il étudie la musique avec son père, organiste à Weissenfels, puis à la Thomasschule de Leipzig (1685-1692). À la cour de Brunswick, où l’on joue en 1693 son premier opéra, Basilius, il connaît J. S. Kusser (1660-1727), ancien élève de Lully, et travaille avec lui. Quand celui-ci est nommé directeur de l’Opéra de Hambourg, il lui succède comme maître de chapelle, mais s’empresse de le rejoindre (1694). Dès lors, il contribue par son talent au rayonnement d’une cité qui, épargnée par la guerre de Trente Ans, connaît la prospérité. Jusqu’à 1717, il fournira au théâtre la plus grande partie de son répertoire. Par ailleurs, il dirige des soupers-concerts (1700-01) et devient organiste du duc de Mecklembourg. En 1703, il prend la direction de l’Opéra, mais l’abandonne, à la suite de difficultés financières, en 1706. Nullement découragé, il continue — peut-être stimulé par les premiers succès de Händel — à écrire au moins trois opéras par an. En 1712, il organise des concerts avec son ami J. Mattheson (1681-1764). À partir de 1718 — cherche-t-il un poste fixe ? —, sa vie devient instable. Il va à la cour de Stuttgart (1719), revient à Hambourg (1721), puis gagne Copenhague (1722), où il est nommé maître de chapelle à la Cour. Enfin, en 1728, il succède à Mattheson comme cantor de la cathédrale de Hambourg et se consacre surtout à la musique religieuse.

Il fut avant tout un homme de théâtre, et son nom est lié à l’histoire de l’Opéra de Hambourg, qui disparut avant lui (1738). Dans ses cent seize opéras — ou œuvres de circonstance —, il surclasse ses contemporains. Il emprunte ses sujets à la mythologie (Crésus, 1710), à l’histoire (Octavia, 1705) et à la farce réaliste et populaire (Der Hamburger Jahrmarkt [la Foire de Hambourg], 1725), où certaines scènes préfigurent celles du singspiel. Compositeur fécond, plein de verve, il a le don de l’expression juste, une grande habileté d’écriture et un sens inné de la couleur orchestrale. Son mérite est d’avoir pressenti, bien qu’influencé par les conceptions française (Lully) et italienne (A. Steffani), l’esthétique de l’opéra allemand. En ce sens, il est le précurseur de Gluck, de Hasse et de Mozart. Il a laissé de la musique instrumentale (trois sonates en trio, un concerto pour flûte) et de la musique vocale (airs, cantates, motets, psaumes, oratorios et une messe).

A. V.

 H. Leichtentritt, Reinhard Keiser in seinen Opern (Berlin, 1901). / H. C. Wolff, Die Barockoper in Hamburg (Wolfenbüttel, 1957 ; 2 vol.).

Keller (Gottfried)

Écrivain suisse de langue allemande (Zurich 1819 - id. 1890).


Fils d’un artisan originaire de la campagne, il perdit son père à l’âge de cinq ans. Expulsé injustement de l’école en 1834, il mena pendant plusieurs années une existence d’autodidacte velléitaire. En 1840, il se rendit à Munich pour y poursuivre des études de peinture commencées en Suisse. Ce fut un échec, suivi d’un retour humilié (1842). Brusquement, sous la pression d’émotions personnelles et d’événements politiques (le combat du jeune radicalisme suisse et la lutte contre les Jésuites), l’inspiration lyrique jaillit. Le peintre manqué se révélait poète, un poète lié profondément à la nature, doué de sens cosmique et d’un sens visuel aigu, d’une véritable passion pour la lumière. Une subvention des autorités lui permit, en 1848, de se rendre en Allemagne pour parfaire sa formation. À Heidelberg, les cours libres du philosophe L. Feuerbach* furent déterminants pour lui. La croyance en l’au-delà fit place à un enracinement terrestre décidé, les tendances romantiques à une prise de conscience du caractère irremplaçable de la réalité concrète, plus belle d’être périssable. En 1850, l’écrivain s’établit à Berlin pour quelques années, dans l’espoir trompeur d’y réaliser une œuvre dramatique. C’est là qu’il se découvrit dans la souffrance et l’échec, et composa la première version (dont la fin est tragique) de son grand roman en partie autobiographique Henri le Vert (Der grüne Heinrich), un des chefs-d’œuvre de la littérature allemande du xixe s. (1854-55). Dans la seconde édition, entièrement remaniée, de ce Bildungsroman (1879-80), le héros, résigné, échappe à la tentation du suicide et se consacre au service de la collectivité. Le premier volume des nouvelles intitulées les Gens de Seldwyla (Die Leute von Seldwyla, 1856), contenant entre autres « Roméo et Juliette au village », est, lui aussi, le fruit des expériences et des réflexions des années berlinoises, où s’ébauchèrent la plupart des œuvres ultérieures de l’écrivain.

En 1855, Keller revint à Zurich, auprès de sa mère et de sa sœur. Cet homme de très petite taille, au caractère taciturne et orageux, à la sensibilité délicate cachée sous une rude écorce connut d’amères désillusions sentimentales et ne se maria jamais. La nouvelle du Bailli de Greifensee (Der Landvogt von Greifensee) est la transfiguration lumineuse de ces expériences amères. Jusqu’à l’âge de quarante-deux ans, Keller n’exerça pas d’activité lucrative régulière. Il souffrait d’être à la charge des siens en dépit de sa notoriété. En 1861, le gouvernement cantonal lui confia la charge de chancelier de l’État de Zurich. Il s’acquitta de sa tâche d’une façon exemplaire pendant quinze ans. En 1876, il démissionna de son poste pour se vouer exclusivement à une activité littéraire gravement entravée jusque-là par ses devoirs professionnels.

Les Sept Légendes (Sieben Legenden, 1872), tournées non point vers le ciel, mais vers la terre, et le second volume des Gens de Seldwyla (1874), plus âpre que le premier à distinguer entre l’être et le paraître (voir la nouvelle « le Rire perdu »), parurent avant sa démission. Suivirent les Nouvelles zurichoises (Züricher Novellen, 1878), s’inspirant de l’histoire et traitant, entre autres, de la vraie et de la fausse originalité, la version définitive d’Henri le Vert, l’Épigramme (Das Sinngedicht, 1881), les Poésies complètes (1883), revues et corrigées, et enfin le roman civique Martin Salander (1886), dont l’inspiration pessimiste contraste avec l’allégresse républicaine qui s’exprimait vingt-cinq ans plus tôt dans le Fanion des sept braves. Quelques années après la publication de Salander s’acheva une vie assez pauvre en événements extérieurs, mais riche en amertumes surmontées, en tristesse sublimée dans une œuvre de beauté animée du plus tonique humour en même temps que d’un souci implacable de véracité, d’authenticité. Nietzsche, Gide, Hesse ont dit la place éminente — place de créateur — qu’occupe Keller dans l’histoire de la prose allemande. G. Lukács, de son côté, souligne la haute importance civique de son œuvre.

A. B.