Kaverine (Veniamine Aleksandrovitch) (suite)
Tout en restant fidèle à ce goût de l’intrigue élaborée, qui donnera à la plupart de ses œuvres la structure du roman d’aventures, Kaverine fait cependant une place de plus en plus grande à l’observation et à la description du milieu social. La nouvelle policière Konets khazy (la Fin du repaire, 1925) est en même temps un reportage bien documenté sur le monde de la pègre, qui prospère pendant les premières années de la N. E. P. Dans Deviat desiatykh soudby (Neuf Dixièmes de destin, 1925), les journées révolutionnaires de 1917 servent d’arrière-plan à l’action. Enfin, l’intrigue du premier roman de Kaverine, Skandalist, ili vetchera na Vassilievskom ostrove (l’Homme à scandales, ou les Soirées de l’île Vassilievski, 1928), a pour cadre les milieux universitaires et littéraires de Leningrad, que l’auteur connaît bien.
L’évolution des « compagnons de route » vers le réalisme socialiste trouve Kaverine partagé : s’il sacrifie à la littérature du plan quinquennal par une suite de reportages sur une grande entreprise agricole (Prolog [Prologue], 1931), il illustre dans Khoudojnik neizvesten (Peintre inconnu, 1931) le conflit tragique de l’artiste avec une société planifiée et utilitaire. Le conflit de l’inventeur, du créateur, de l’explorateur de voies nouvelles avec la routine, l’envie, la pesanteur du milieu, conflit qui sera désormais au centre de son œuvre, trouve cependant une solution optimiste dans les romans des années 1934-1956, les plus tributaires de l’esthétique du réalisme socialiste : le roman Ispolnenie jelani (l’Accomplissement des désirs, 1935-36), où le conflit est situé dans un milieu de philologues ; le roman d’aventures pour la jeunesse Dva kapitana (Deux Capitaines, 1940-1945), où se trouvent confrontées les destinées d’un explorateur polaire d’avant la révolution et de son héritier soviétique ; enfin la trilogie Otkrytaïa kniga (le Livre ouvert, 1953-1956), dont le personnage central est une femme, médecin et microbiologiste, qui doit lutter pour imposer sa découverte.
La sévérité de la critique pour cette dernière œuvre montre, cependant, que Kaverine n’a jamais abjuré le sentiment aigu des conflits de son temps. Les œuvres écrites après 1956, notamment les nouvelles Koussok stekla (le Morceau de verre, 1960), Sem par netchistykh (Sept Couples d’impurs, 1962) et Kossoï dojd (la Pluie oblique, 1962), ainsi que le roman Dvoïnoï portret (le Double Portrait, 1966), ont pour thème central l’analyse des mécanismes d’oppression de l’époque stalinienne et de leurs survivances, et elles occupent ainsi une place importante dans la littérature du dégel. Il en est de même des souvenirs autobiographiques (Neizvestnyidroug [l’Ami inconnu], 1960) et littéraires (Zdravstvouï brat, pisat otchen troudno [Salut, frère, écrire est très difficile], 1965), notamment sur les Frères Sérapion, ainsi que de son discours au IVe Congrès de l’Union des écrivains, en 1967, qui appuie la lettre de Soljenitsyne contre la censure (et qui, pour cette raison, n’a pu être prononcé et n’a été diffusé qu’en manuscrit).
M. A.
